C₇₇H₁₂₀N₁₈O₂₆S
Sam 26 Mar 2022 - 16:01
Appliquée Ordonnée Avenante Curieuse Intelligente Obsessive Boudeuse Carriériste Sensible Égocentrique | Je n’ai que très peu de possessions. J’ai tout perdu en 2015. Tout ou presque. J’ai toujours un ouvrage auquel je tiens plus que tout. Un livre sur Antoni van Leeuwenhoek - précurseur de la biologie cellulaire et de la microbiologie. La seule chose que j’ai réussi à sauver de l’écrasement d’avion de Winona. J’ai cependant mis la main sur un couteau durant mes années à errer sur la route. Outre cela, j’ai pu obtenir une blouse blanche à mon arrivée au laboratoire. Il n’est pas difficile de deviner que je suis métisse. Le frisé de mes cheveux et ma peau mate sont les vestiges d’une généalogie mixte. Ma grand-mère paternelle était Nigérienne. Mon grand-père lui issus d’une famille blanche d’Angleterre. L’apport maternel de mon ADN est également blanc sur plusieurs générations. J’ai donc les traits assez fins, malgré le sang africain qui coule dans me veines. De grands yeux bruns, un front protubérant, le teint clair, on m’a dit belle, mais je n’ai jamais trop accordé d’importance à cela. Je suis dans la moyenne niveau mensuration, 1m73 pour 54kg lorsque je me nourris correctement. J’ai une démarche silencieuse, au point que j’en fais souvent sursauter les autres qui ne m’entendent pas arriver. Je lisse bien souvent mes cheveux, n’aimant pas les laisser au naturel. Vestige du racisme que j’ai vécu toute ma vie. Le plus j’ai l’air blanche, le mieux les choses se passent en général. Je ne peux supprimer mon ethnicité cela dit et je n’ai pas envie de le faire pour autant, aussi contradictoire cela puisse être. J’achète la paix sans doute. Niveau vêtements, je porte ce qui est à ma taille. Je n’aime pas me découvrir inutilement cependant. J’ai toujours eu un look professionnel, mais de nos jours, si le pantalon est propre et le haut aussi, ça me suffit. Ma meilleure alliée a toujours été ma blouse blanche après tout. Un bonheur d’en avoir récupéré une aujourd’hui. |
Appliquée : J’apporte beaucoup de soin et de méticulosité à tout ce que je touche ou entreprends. Je ne fais rien à moitié ou bâclé. Sans être perfectionniste, il est important pour moi d’offrir une certaine qualité et de mettre l’effort nécessaire pour y arriver, que ce soit au travail ou dans ma vie personnelle.
Ordonnée : L’organisation est pour moi quelque chose de primordial. Impossible de fonctionner dans le désordre. Chaque objet a sa place et il n’y a jamais un grain de poussière chez moi. Ou à ma place au laboratoire. Est-ce exacerbé par mon TOC, sans aucun doute, mais j’ai toujours été du genre assez méthodique.
Avenante : La politesse et la courtoise m’ont rapidement été inculquées dès un jeune âge, mais je suis d’un naturel agréable et aimable. Jamais une enfant difficile, malgré les obstacles, on me trouve une certaine gentillesse, un certaine chaleureusité même.
Curieuse : J’aime apprendre et comprendre. Poser des questions ne m'a jamais fait peur. Je n’aurai jamais assez d’une seule vie ! Il est plus fort que moi de vouloir chercher réponses à diverses questions, de découvrir le fonctionnement des rouages sociaux ou scientifiques. Je suis facilement intriguée par un rien.
Intelligente : La faculté de connaitre et de comprendre, j’en ai hérité dès ma naissance. Toujours un peu trop intelligente pour mon âge, j’en ai également souffert. Sur papier, mes fonctions mentales sont plus élevées que la moyenne, mais je ne suis pas un génie pour autant.
Obsessive : J’ai beau avoir tempérament assez tenace, j’ai une part de moi qui est plus problématique cependant. Je souffre en fait d’un trouble obsessionnel compulsif concernant la propreté. Mes parents n’ont jamais vu qu’il s’agissait d’une affectation mentale, comme ce genre de trouble ne se déclare pas subitement, mais se développe avec le temps. Il peut m’arriver de me laver les mains une trentaine de fois dans la même journée, et ce en dehors du cadre de mon travail. Il m’est arrivé de me laver la peau jusqu’au sang après avoir été éclaboussée par les fluides d’un rôdeur. Le savon avait déjà fait son travail, mais mon esprit malade ne pouvait s’empêcher de laver, laver, laver et laver de plus en plus fort. Je dois faire le ménage. Chez moi, au travail, parfois chez les autres au pire de mon trouble… Je recherche la symétrie le plus possible, mais mon trouble est surtout dirigé contre ma personne, contre mon corps qui n’est jamais assez propre à mes yeux. Ma propreté personnelle me cause bien de l’angoisse et si j’ai eu quelques conseils lorsque je consultais, ce n’est pas simple à gérer maintenant que le monde est ce qu’il est devenu.
Boudeuse : Ce n’est pas la chose la plus rationnelle à faire, mais je ne suis qu’humaine au fond : je boude. Lorsque quelque chose, une remarque ou quelqu’un me déplaît, je deviens maussade. Renfrognée même et c’est ainsi que je trouve comment exprimer mon mécontentement.
Carriériste : La réussite professionnelle a toujours passé avant tout pour moi. C’est ainsi que je me voyais réussir dans le monde, devenir quelqu’un, prouver ma valeur. J’ai délaissé bien des pans de ma vie, le social en grande partie au profit de mes études, puis de ma carrière. Je n’ai jamais rêvé d’avoir une famille et une grande maison avec la clôture blanche, puis le retriever. Non, mon rêve c’était de me démarquer dans mon champ scientifique. Je ne me suis donc que très peu impliquée dans les autres sphères de ma vie.
Sensible : Mes émotions font toujours échos avec trop de force en moi. J’aimerais être de ces personnes pragmatiques qui ne semblent atteintes par rien, qui trouve trivial de ressentir un trop grand éventail de sentiments sans en avoir le control. Je prends les choses trop à cœur et les vies durement parfois. Émotive m’a-t-on souvent qualifié.
Égocentrique : L’égocentrisme n’est-il pas la base même de la survie ? C’est du moins ainsi que j’essaie de voir les choses, car je le suis à mes heures. C’est ainsi que je ne suis pas morte à Winona. C’est ainsi que j’ai pu obtenir la bourse qui m’a permis d’étudier au MIT, qui m’a permis d’être sélectionnée pour un contrat au CDC dans l’état de Washington. De penser à moi, m’a permis d’avancer et de persister dans ce monde à jamais changé. Je ne suis pas un monstre d’égo toutefois, simplement que j’ai tendance à m’occuper de ma personne avant de voir au bien des autres.
♆ 1987 - Alexandria, Virginie ♆
Il y a peu à dire sur mon enfance. Je suis née à Alexandria, une ville de Virginie, dans une famille de classe moyenne tout ce qu’il y a de plus banal. Métissée par mon père, j’ai tout comme lui subit mon lot de racisme. Je me souviens que cela a débuté dès la maternelle. On me demandait si j’étais sale, car ma peau était plus foncée que celles des autres. Les insultes ont bien évidemment évolué avec le temps, plus incisives, plus douloureuses. C’est quelque chose qui me sidère, même aujourd’hui encore. Un pays aussi mixte que les États-Unis, mais grouillant de xénophobie, de racisme et de sexisme à ce point… Bref.
L’on m’a rapidement qualifié d’en avance sur mon âge. Je savais lire et écrire avant même d’entrer à l’école. J’ai toujours été curieuse et mes parents étaient fiers de leur petit prodige, comme ils disaient. Est-ce à cause des déceptions sociales que j’ai vécu très jeune ou simplement par ma propre nature ? Je ne saurais dire, mais j’ai toujours privilégié mon éducation à tout le reste. Je n’avais pas vraiment d’amis et ça ne me posait pas tant problème. J’aimais étudier, j’aimais avoir d’excellentes notes et je nourrissais rapidement l’ambition d’être une scientifique, même si le domaine m’était encore inconnu. Pas de fêtes, pas de petits-amis, rien. Que les livres, les documentaires et mes cours du soir pour préparer mes notes et mes futures demandes dans les plus grandes universités de ce pays. Une vraie « nerd » comme bien des jeunes de mon âge me qualifiaient. Mes parents eux, m’encourageaient. Je pense qu’ils auraient aimé que je sois un peu plus sociable, ils se seraient sans doute moins inquiétés pour ma santé mentale, mais ils n’en ont jamais fait un cas. Acceptant que j’étais plutôt du type cérébral. La vérité, c’était que j’étais assez rejetée au lycée. « Pas fun », « pas assez noire », « trop noire », « ennuyeuse », « trop intello ».
J’en ai souffert, ça oui, mais ma réussite était plus importante que ma popularité. J’ai pleuré, souvent, trop souvent, mais je n’ai pas changé pour plaire. Je n’ai pas abandonné mes objectifs.
♆ 2005 - Cambridge, Massachusetts ♆
Tout ça, chaque larme, chaque occasion sociale ratée, chaque amitié avortée en aura valu le coup toutefois. Mon travail acharné a porté fruit et à la fin du lycée j’ai été accepté au MIT, mais pas seulement ! La totalité de mon cursus scolaire payé au moyen de bourse d’excellence. Rien de moins ! Je me souviens m’être sentie libérée de ce que j’ai longtemps considéré comme une prison. Le lycée a été mon enfer personnel en somme. Maintenant, j’allais pouvoir poursuivre mon cheminement, exceller dans un domaine qui me passionnait, rencontrer des gens comme moi qui me comprendraient enfin dans mes démarches et motivations.
J’ai commencé un doctorat en microbiologie, déménageant à Cambridge dans l’état du Massachusetts pour vivre sur le campus universitaire. J’ai bien pris les choses, mes parents eux moins. J’étais prête à voler de mes propres ailes, à me donner corps et âme dans ces cinq années d’études et de recherches qui m’attendaient, pas mes parents. Ils ont accepté les choses, au bout d’un certain temps, mais les premiers appels et les premières visites n’étaient pas des plus agréables vus comment ils s’inquiétaient. Honnêtement, c'était irritant pour moi et je ne me souciais pas trop de la façon dont ils prenaient les choses.
J’ai réussi rapidement aussi à décrocher un emploi à temps partiel dans un des labos de notre département de microbiologie. Pas pour avoir une rémunération, mais simplement pour appliquer d’ores et déjà ce que j’apprenais. Pour être certaine de bien assimiler le savoir que j’étudiais. J’ai commencé à développer mes premières amitiés, mes premières expériences de fêtes, mes premiers pas vers l’intimité. Je ne crois pas jamais avoir été amoureuse cependant. J’étais cependant confortable auprès de ces gens, je me sentais comprise, connectée à d’autres pour la première fois de ma vie. J’ai donc eu quelques aventures, sans jamais réellement trouvé ce qui m’attirait le plus, sans jamais que l’on ne capture mon cœur. Rien de sérieux finalement. Rien pour me détourner ou me distraire de mon doctorat.
J’avais d’ailleurs à faire face à un choix cornélien à cette époque. Quelle spécialisation de la microbiologie m’intéressait le plus pour en faire une carrière ? Tout. Tout m’intéressait et heureusement je n’avais à choisir qu’à la fin de mon doctorat.
C’est durant ma troisième année d’université que j’ai commencé à être beaucoup plus à cheval sur la propreté des espaces que je fréquentais. Sur la mienne aussi. Ça a bien sûr évolué avec le temps, mais bien vite, les choses escaladaient. Ménages répétitifs au point de me causer de l’angoisse, plusieurs douches par jour, toujours avoir une bouteille de désinfectant à porter de main…
♆ 2010 - New York, New York ♆
J’ai gradué avec tous les honneurs bien évidemment. Deuxième de ma classe toutefois, difficile à digérer. J’ai accepté un emploi dans les laboratoires Johnson & Johnson à New York, ayant envie de tenter le champ plus pharmaceutique de la microbiologie. Une erreur. Ma première à vrai dire.
Je n’avais jamais été aussi bas dans ma vie. Sans comprendre l’affectation mentale qui m’affligeait, je suis allée vivre dans une grande ville sale, ignoble, répugnante. Si je réussissais dans le cadre de mon travail, il s’agissait du seul endroit où je ne me sentais pas coincée dans un étau, à chercher mon air. Les laboratoires étant stérilisés, contrôlés, je me sentais plus chez moi là-bas que dans mon appartement, malgré les nuits à tout désinfecter.
Ma mère à fini par remarquer que quelque chose clochait et j’ai craqué. Finalement craqué même si j’aurais préféré être plus forte, plus pragmatique, plus consciente de ce qui m’arrivait. Après des jours de conversation et de remontrance par mes parents, j’ai fini par accepter de consulter.
Trouble obsessionnel compulsif lié à la propreté. Voilà le diagnostic qui a été posé. Je mentirais si je disais que cela n’avait pas dès lors facilité les choses. Posé un nom sur ce défaut de ma psyché, sur cette tare à effacer, à éliminer, voilà que je suis partie en croisade contre moi-même avec l’aide d’un psychiatre renommé. J’étais en moyen de me payer les professionnels réputés après tout. Après une bonne année de thérapie, j’ai eu l’impression de recommencer à respirer.
L’impression de revivre.
J’ai pu reprendre ma vie sociale là où je l’avais laissée. Ce n’était pas grand-chose, mais suffisant pour moi. Quelques aventures par-ci par-là pour répondre à des besoins physiologiques irrépressibles. Quelques fêtes ou soirées pour élargir mon cercle de contacts professionnel, pour rencontrer plus de gens comme moi, carriéristes et intellectuels. Oui, j’acceptais aisément ces étiquettes et savais pertinemment que j’étais loin d’être seule dans ce monde froid.
♆ 2015 - New York, New York ♆
Malgré mon TOC un peu plus sous contrôle, j’ai vite compris que j’avais atteint mon plein potentiel chez Johnson & Johnson. Il s’agissait après tout de recherches plus limitées, plus contrôlées et à moindre impact sur le monde.
Le spleen. Découverte pour moi. Un ressenti ma foi plus qu’improductif.
Il était temps pour moi de viser plus haut, plus important. J’ai donc préparé quelques applications et j’ai été contacté assez rapidement par le CDC de Spokane à l’autre bout du pays. Ma mère, après une petite crise d'inquiétude, parlait d’astres alignés, de « lorsque tu as besoin de quelque chose, la vie te l’offre »… Je l’ai laissée gaspiller sa salive, sachant très bien qu’au fond, tout cela était de mon fait. L’importance et l’application que j’ai portées à mes études, à mon travail. Mon curriculum était apprécié par ma propre implication et non celle d’entités invisibles ou spirituelles.
J’ai eu droit à une crise d’un collègue lorsque j’ai remis ma démission. Visiblement, il avait développé des sentiments pour moi sans jamais avoir eu le courage de me les avouer. Je l’ai utilisé à quelques reprises avant cela, mais toujours en gardant les choses claires entre nous : je ne m’attachais pas, je ne souhaitais rien de plus qu’un peu de plaisir. Il n’a pas bien pris les choses lui non plus, mais fidèle à moi-même j’ai choisi cette opportunité de carrière plutôt que la fragilité d’une relation inexistante. J'ai pensé à moi et seulement qu'à moi.
L’opportunité était trop belle de toute façon. Étudier les différentes souches virologiques et bactériologiques. Leurs évolutions, leurs mutations. Déterminer des meilleures méthodes de control, l’implication sur les populations. Aller plus loin que jamais dans ce domaine de l'infiniment plus petit et avoir un réel impact sur le monde scientifique, voilà qu’elles avaient été mes motivations, mon inspiration, mes aspirations.
♆ 2015, Winona, Washington ♆
Je ne regarde pas les canaux nouvelles à la télévision. Il s’agit ni plus ni moins de sensationnalisme, de désinformation pure. Ce n’est que lorsqu’il a été annoncé qu’il s’agissait d’un virus que j’ai réellement commencé à y porter attention. Beaucoup d’attention. Je n’allais pas annuler mon emménagement à l’autre bout du pays pour une éclosion dangereuse et nouvelle, bien au contraire ! C’est exactement au CDC que je dois me trouver, même s’il est à Spokane. Quel meilleur endroit pour étudier, analyser et trouver comment contrôler ce nouveau virus ? Je me sentirai bien mieux dans les laboratoires d’une telle institution reconnue, que chez moi ou chez Johnson & Johnson.
J’ai donc conservé mon vol, appeler ma psychiatre pour avoir une petite consultation de dernière minute avant d’affronter le monde extérieur et sa saleté - cette nouvelle éclosion - quelques jours plus tard j’ai pris place dans l’avion qui me mènerait dans l’état de Washington. Je n’ai pas pris les appels de mes parents. J’ai simplement envoyé un petit texto pour leur dire que tout allait bien malgré les barrages et les émeutes, que je les contacterais en arrivant. Eux étaient bien trop branchés aux nouvelles du soir il faut dire, donc ils paniquaient pour rien.
Je suis partie juste à temps, car la veille, la loi martiale tombait dans la majorité des grandes villes. Il semble que les gens en profitent et que la violence ne fait qu’empirer depuis certaines annonces. J’ai pris un Xanax et j’ai dormis une bonne partie du vol, l'un des derniers autorisés avant le gel aérien.
C’est l’annonce du capitaine nous disant que nous devions encore faire demi-tour qui m’a réveillé en fait. J'ai demandé à une agente de bord de m'expliquer. Il semblerait que l’aéroport de Spokane était rempli d’émeutiers et que le seul autre aéroport pouvant accueillir un avion de notre capacité était à Pasco. Nous avions donc tourner en rond depuis quelques heures, car ils étaient à pleine capacité malheureusement et il n'était pas possible d'atterrir ici non plus. Nous revenions vers Spokane in extremis apparement.
Irritée par ce contretemps, je ne pouvais pas m’attendre à la suite cependant.
Que s'est-il passé exactement ? Manque de carburant sans aucun doute vu les détours. Le capitaine a cru pouvoir faire un atterrissage d’urgence en douceur, mais il semble qu’il ait surestimé ses capacités. Au milieu de nulle part, nos vies ont changé en une petite minute à peine. Au milieu de nulle part, nous nous sommes écrasés plus que posés. Les lumières vacillantes, les masques à oxygène, les secousses, les cris, les pleurs, les prières. Puis plus rien. Qu’un choc. Que le noir. Que le silence.
Lorsque je suis revenue à moi en classe affaires, je me suis vite détachée de mon siège. Me redressant d’un bond, je me suis aplatie comme une crêpe au sol, mes jambes tremblant trop. L’avion était coupée en deux et je pouvais voir l’extérieur en regardant vers la queue. Les cris et les pleurs reprirent. Des corps tordus sous l'impact - par la dépressurisation ou je ne sais quoi - étaient une réelle vision d'horreur... d'autres inconscients dans leur siège semblaient simplement endormis. Combien de temps aie-je perdu connaissance ? Je ne saurais dire. Ce dont je me souviens le plus cependant, c’est la chaleur. Le feu.
J’ose m’imaginer que la majorité d’entre nous avons pu nous enfuir de cette carcasse enflammée, mais cela n’a pas été chose aisée. J’ai attrapé mon petit sac à dos en cuir et je me suis enfuie comme tous les autres survivants, faisant de mon mieux pour descendre de l’appareil en flamme, là où la tôle tordue me le permettait.
Nous nous sommes réfugiés chez un agriculteur qui nous a accueillis après avoir entendu le crash. Il a appelé les pompiers, la police et tout ce qui devait l’être. Nous avons attendu. Puis attendu… Puis nous les avons entendus.
Les râles.
Nous n’avons pas compris de quoi il s’agissait, jusqu’à ce que d’autres survivants du crash nous rejoignent. Ce qu’ils nous ont raconté… Nous avons refusé d’y croire. Jusqu’à ce que nous le voyions de nos propres yeux. Nous n’avons eu d’autre choix que de nous réfugier dans la ferme. J’ai perdu le contrôle à ce moment bien précis. La saleté, le choc, la vue de ces gens qui ne devraient plus être debout. De celui qu’ils ont dévoré sous nos yeux.
On m’a dit que j’ai été catatonique pendant plus ou moins 24 heures. Je ne saurais dire ce qu’il s’est passé durant ce temps. Je sais seulement que lorsque j’ai repris mes esprits, des inconnus frappaient à la porte pour entrer et que notre petit groupe refusa d’ouvrir. Oh, certains s’insurgèrent, mais dès qu’ils entendirent les râles de nouveaux… puis les cris… Moi la première pensa qu’il valait mieux eux que nous, que moi.
Nous sommes restés une journée de plus à la ferme, avant de nous risquer dehors pour nous éloigner le plus possible de la grande plaine avec la carcasse de l’avion. Le bruit, les râles… ces devenus fous et cannibales… Nous devions nous mettre à l’abri.
Nous avons donc réussi à nous sauver, à prendre la route en espérant rejoindre une grande ville, en espérant croiser les forces de l’ordre et être secourus. Nous étions une quinzaine tout au plus. Il ne me restait que mon sac à dos de cuir avec mes effets personnels dedans. J’avais tout perdu. Même ma santé mentale, pensais-je.
Les bouchons, les détours, les groupes de ces choses et des rescapés des villes, tout cela a eu raison de notre itinéraire. Avec nos maigres moyens, avec la peur qui nous tiraillait les tripes, nous n’avons jamais trouvé un moyen de rejoindre une grande ville ou les militaires qui les protégeaient. Là commença notre longue marche pour tenter de survivre.
♆ 2016, Kennewick, Washington ♆
Presqu’une année s’est écoulée depuis la fin du monde moderne tel que nous le connaissions. Je ne saurais trop dire comment nous avons réussi à survivre, ce qui a motivé certains de nos choix, l’abandon de nos véhicules à un moment, la décision d’aller vers l’océan… mais j’étais encore là. Malade d’esprit, terrifiée, mais toujours là.
Aujourd’hui, je pourrais expliquer que les véhicules étaient trop faciles à repérer, trop coûteux en essence, que personne dans notre petit groupe ne savait comment bien les réparé. Je pourrais expliquer que l’être humain est un loup pour l’être humain, que nous avons été poursuivis, chassé même. Que les bouchons sur les routes étaient nos pires ennemis.
Je me souviens que deux frères dans le groupe parlaient de leur ainé qui était stationné dans un bateau militaire. Que ça devait être plus sécuritaire et que faute de savoir où aller, nous nous raccrochions à cette idée de sécurité, de sauvetage. Que des hordes nous ont fait maintes et maintes fois dévier de nos objectifs.
Mais à l’époque, j’étais cassée. Détruite par mon TOC, par le monde d’horreur dans lequel j’avais trouvé le moyen de survivre jusqu’ici. Docile, je suivais ceux qui me protégeaient, faute d’être aptes à réfléchir comme auparavant. Oui, c’est après un hiver passé à Kennewick que le groupe a pris la décision de tenter de joindre la cote au lieu de s’établir et d’apprendre à vivre avec le monde d’aujourd’hui. La fuite, l’espoir, la peur, voilà ce qui nous faisait avancer.
♆ 2017, Longview, Washington ♆
Sur le pilote automatique, voici comment j’ai vécu ces premières années d’apocalypse. Ma survie avant celles des autres, c’est tout ce qui m’importait également. Quand je trouvais du savon, je le gardais pour moi. De même pour tout ce qui était dans la famille des nettoyants ou des désinfectants. J’en avais besoin. Cela était une question de vie ou de mort à mes yeux.
Le chemin était ardu. Long. Épuisant. Je ne pouvais que ronger mon frein et attendre que l’on s’arrête pour trouver le moyen de laver mes vêtements et ma personne. Ce n’était pas toujours chose aisée. Certains ont sans doute remarqué ma… particularité. Je le sais, on chuchotait sur mon passage et les regards ne mentaient pas.
J’ai tué mon premier rôdeur, comme on les appelle maintenant, à Longview. J’en reste marquée encore aujourd’hui, tout comme au premier jour. D’autres suivirent bien sûr et à chaque fois je me perdais dans une spirale maniaque, mais le premier… J’ai reçu des … fluides. J’ai brulé mes vêtements. Couper mes cheveux très courts en ayant l’impression que je ne pourrais jamais les purifier. Et ma peau… Là où ce sang, cette chair pourrie m’a touché, m’a souillée. J’ai lavé. Lavé, lavé, lavé, lavé et lavé. Jusqu’au sang. Jusqu’à employé une laine d’acier pour qu’aucune particule de cette affliction ne soit présente sur ma personne.
Je n’ai jamais eu d’épisode comme cela. Je n’ai jamais touché le fond ainsi. Je ne m’étais encore jamais blessé. C’est l’une des femmes du groupe qui est venue m’arrêter. Qui a essayé de me réconforter. Qui a commencé à veiller un peu sur moi. Une femme d’âge mûr au cœur bien trop grand pour son propre bien-être.
C’est également à Longview que nous avons fait la connaissance des The Undisappointed. Un groupe de marins-pêcheurs. Le chef de notre groupe - l'un des deux frères - a tenté de marchander avec eux, afin de nous acheter un passage à bord de leur bateau de pêche, histoire que nous puissions rejoindre le large et embarquer sur l’un des navires militaires. Ils ont refusé. Nous on dit que le monde d’avant n’était plus. Qu’il valait mieux s’adapter que d’aller à contre-courant. Nous sommes restés plus longtemps ici, car notre chef a bien cru qu’il arriverait à les convaincre, mais c’était peine perdue.
♆ 2018, Long Beach, Washington ♆
L’océan.
C’est ignoble. Les bactéries, les corps morts oubliés aux fonds de l’eau, les carcasses, les défécations… Je n’aime pas. Certains des nôtres ont décidé de rejoindre le groupe du phare, alors que notre chef a décidé lui de remonter la côte. Toujours docilement, je suis restée avec eux, faute de meilleure option. Pas question que j’aille chez les pêcheurs… Les tripes de poissons, l’odeur, les germes, les microbes…
Puis, je connais ces gens maintenant. Ils me connaissent aussi.
Et cette femme… Est-ce de l’attachement ? De l’affection ? Une simple praticité? Je ne saurais trop dire, je n’ai pas envie d’y réfléchir, mais je vais la rejoindre pratiquement tous les soirs. Leah. Celle qui rassure mes nuits, celle qui réussit à me faire oublier quelques instants nos vies. La belle quarantenaire que j’utilise et qui m’utilise en retour.
♆ 2019, Taholah, Washington ♆
Toujours suivant la côte, nous avons élu domicile dans une petite maison de Talolah. C’est là que je me suis finalement retrouvée. Que j’ai repris un petit peu le contrôle de mon esprit, de ma pensée critique. Leah m’aura aidé, je dois le lui concéder et au lieu de reprendre la route après l’hiver, comme nous en avions l’habitude de le faire, moi et cinq autres membres du groupe avons choisi de rester. De nous établir. D’arrêter de parcourir les routes.
Assez.
Il était temps de construire, de s’établir, de mieux vivre. Le groupe s’est donc scindé au printemps de cette année-là. Nous nous sommes lancés dans la fortification de notre petit chez nous. Avons commencer à développer certains petits dispositifs agréables, tels qu’une douche ! La plus belle surprise qu’on m’ait jamais faite. J’ai su me montrer utile avec mes connaissances. Je suis devenue l’espèce de référence médicale pour nous six. Je n’étais pas médecin, mais j’étais déjà plus qualifiée que les autres.
C’est à cette époque que nous avons entendu parler de Seattle et des communautés qui y gravitaient pour la première fois. Nous n’étions pas intéressés à reprendre la route, mais il était encourageant d’entendre ce regain de vie dans une ville aussi grande après ce désastre humain. Des voyageurs passaient par Talolah un peu par hasard, mais j'ai toujours refusé qu'on les accueuille. Je sais qu'on m'a jugé pour ça, mais pour moi il s'agissait de prudence. J'avoue également que ces gens pouvaient aussi être porteurs de virus, de maladies, qu'ils étaient sales aussi...
♆ 2021, Purdy, Washington ♆
Des cannibales. Je ne suis pas du type naïf, mais je n’aurais pas cru voir des êtres humains s’adonner ainsi au cannibalisme sans être devenus des rôdeurs. Des gens ont commencé à disparaitre. Nous n’étions plus que trois. Leah et Albert sont partis en éclaireurs à la recherche du dernier disparu, Sasha. Je les ai suppliés de rester, mais ils n’ont rien voulu entendre.
J’ai vraiment cru me retrouver seule au monde. Cela aurait pu me plaire si les menaces qui pesaient désormais au-dessus de nos têtes dans cette nouvelle ère n’étaient pas si graves, si effrayantes. Ce n’est que deux jours plus tard qu’Albert retrouvait notre maison.
Des cannibales. Sasha, Debbie, Leah… D’autres voyageurs avant, d’autres après…
Albert n’a jamais voulu me dire comment il avait fait pour s’enfuir, mais j’ai fini par le deviner. Plus tard, une fois le choc passé, une fois que nous avions fui Talolah pour ne pas être retrouvés par ces Gourmets.
La route. Cette terrible route. J’ai tout perdu. Ma stabilité, mon progrès sur mon TOC, la seule personne de qui je m’étais rapprochée… Tout ça pour finir à Purdy durant l’Hiver 2021. Tout ça pour apprendre que Seattle était tombée aux mains d’un groupe violent et militarisé. De misogynes religieux, nous a-t-on raconté alors que nous avons croisé des survivants. Albert voulait les rejoindre. Y voyait la sécurité qu’il a recherché durant toutes ces années. S’aveuglait des problèmes déjà rapportés par ces rescapés. Je me suis demandée si je ne devais pas faire la même chose ?
Impossible.
Je suis donc partie. Pour la première fois depuis 2015, j’ai préféré prendre le risque de me retrouver seule, sans défense, que de rester avec un homme pareil, que de tomber aux mains d’un groupe arriéré, que de restée aux côtés d’un homme qui avait vendu Leah pour sauver sa peau.
♆ Avril 2022, Bainbridge Island, Washington ♆
Les mois se sont écoulés avec une lenteur effroyable. Je ne trouve plus rien. Plus de savon, plus de désinfectant, plus de nourriture, plus de vêtements chauds. J’erre comme une ombre dans les villages fantômes, essayant de survivre comme je le peux, me demandant si j’aurais le courage de tout arrêté.
Je suis amaigrie, sale, mal. Je dors peu ou alors trop. L’anxiété me ronge de l’intérieur, le mal-être aussi. J’évite tout contact avec les vivants. J’ai trouvé les restes d’un grand bâtiment. De la pancarte sur la route bien plus loin, je sais qu’il s’agit d’un casino. Ce qui m’attire de cet endroit, je crois, c’est le silence. Il n’y a pas de râle. L’endroit est… désert.
Du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que je sois interceptée par des militaires. J’ai bien cru que New Eden venait de mettre la main sur moi et franchement… j’espérais autant qu’ils me tuent, qu’ils me délivrent de cet enfer sur terre en me ramenant chez eux.
Mes espoirs furent vains, mais de la meilleure de façon qui soit. The Remnants. Voilà ceux qui venaient de m’intercepter, ceux qui m’ont soupçonnée un instant d’être chez l’ennemi, mais qui ont rapidement vu que je n’étais que la carcasse animée d’une femme misérable. J’ai fait savoir mon dédain pour New Eden de toute façon, plaidé ma cause en pointant leur misogynie supposée. Pourquoi enverrait-on une femme si elle ne valait pas mieux que des poules pondeuses pour eux ? Nous avons échangé quelque peu malgré ma méfiance et j’ai laissé glisser quelques informations concernant mon ancienne carrière. Je crois que c’est ce qui m’a acheté mon billet pour Fort Ward.
J’ai donc pu rejoindre non un groupe, mais une société en reconstruction. Un espoir pour l’Homme. Un endroit où je pourrais enfin trouver ma place.
C’est un réel soulagement que d’avoir rejoint The Remnants. Je passe la plupart de mon temps au laboratoire, mon endroit préféré, suivi de près par mon salon avec sa grande bibliothèque. Il m’arrive d’aller au Summer aussi de temps à autre, je reste humaine et apprécie les petits luxes de la vie. Du moins, quand je n’ai pas de crise trop importante avec mon TOC. De retrouver le monde moderne m’a aidé, mais je ne prendrai pas le dessus aussi facilement sur cette tare mentale.
Je suis à ma place ici. Je ne questionne pas l’autorité en place, tant qu’on me laisse faire des recherches et aider à faire croître nos connaissances sur ce virus. Ou a trouver comment l'utiliser contre nos ennemis...
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
Re: C₇₇H₁₂₀N₁₈O₂₆S
Sam 26 Mar 2022 - 16:08
- Faith Williams
- Modératrice
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Neela J. Yeo-Jeong
- Administratrice
She-Hulk | Neenja
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
Re: C₇₇H₁₂₀N₁₈O₂₆S
Sam 26 Mar 2022 - 16:13
- Reed Simmons
The Rogues
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
Page 1 sur 3 • 1, 2, 3