J+3, après la mort de Sasha.

Elle gravitait autour de lui comme un satellite depuis la mort de Sasha. Elle n’était jamais loin, jamais. Mais elle était comme une de ces lunes autour de Jupiter, à tourner, tourner, tourner sans jamais toucher la planète. Et la nuit ? La nuit elle prenait les premières gardes, avant de se glisser en silence dans leur lit en essayant de ne pas trop le réveiller, osant à peine à le toucher pour lui offrir le réconfort dont il avait peut-être besoin.

Elle ne le fuyait pas, pas vraiment. A dire vrai, elle était même prête à l’écouter et à l’aider sauf que, elle ne savait pas comment prendre cette initiative. Alors elle s’était contentée d’être là, de glisser sa main dans la sienne le jour de l’enterrement et d’essayer quelques gestes, quelques paroles soufflées rapidement, et lui laisser l’initiative d’en parler. Elle avait essayé d’être présente en lui laissant l’espace nécessaire - trop ? Elle ne savait dire. C’était la première fois qu’elle essayait d’être là. Oui parce que, ça aurait été n’importe qui d’autre ; elle se serait enfuie. Parce qu’un être humain qui souffre, c’est compliqué à gérer, pas vrai ? Elle a toujours été bien trop égoïste pour ça. Même ici, elle l’est sûrement un peu - à vouloir éviter cette conversation, tout en la cherchant.

Sauf que Cesare s’enfonçait, vraiment. Et pas sûre que de boire avec Lex’ soit la meilleure idée - en plus, ce n’est pas à elle de l’aider ? genre c’est elle la petite amie, non ? Pourquoi serait-elle jalouse aujourd’hui, de cette complicité qui ne l’a strictement jamais dérangée ? Sans doute parce qu’elle cherchait comment faire pour l’approcher et lui parler de Sasha sans savoir comment faire. C’est peut-être face à ce constat qu’elle s’est décidée à échanger sa garde avec Valerian en dernière minute, pour trouver un Cesare encore assis au bord de leur lit de fortune, éveillé. « Hey… » Elle y met même un peu d’entrain et un sourire comme il les aimait - qui se fane un peu vite, c’est vrai.

Elle s’approche, avant de venir s'asseoir à côté de lui et de prendre son courage à deux mains : « Faut qu’on cause… De toi… De Sasha… Tu veux bien ? » Qu’elle lui demande quand même, même si elle est prête à profiter d’une riposte, d’une rebuffade pour s’enhardir et insister un peu. Ils fonctionnent un peu comme ça leurs échanges, pas vrai ? La conversation se force un peu avant de s’enclencher, mais ils y arrivent. Toujours. Est-ce encore vrai aujourd’hui ?

Il porte son masque sur son visage et tâche d’en montrer moins que ce qu’il ressent réellement. Depuis quand il la protégeait aussi de ça ? C’était effrayant de voir à quel point il la connaissait par coeur. A quel point il savait qu’elle ne gérait pas ce genre de chose, d’ordinaire. Ce n’était pas leur deal, après tout ? Le fun, le cul et l’assurance de l’avoir lui, pour la protéger elle. Face à ce constat-là, elle était obligée de s’avouer que ça ne lui convenait plus vraiment. Leur histoire n’a pas déjà dépassé ce stade ? En tout cas ce soir, c’était comme si un tournant avait été franchi. C’était comme ça qu’elle le ressentait alors qu’il tentait de balayer son état en la rassurant calmement. Elle, ça ne lui allait pas comme réponse. Alors elle l’observe, quelques secondes, en fronçant légèrement les sourcils.

« Il y a quelques mois, j’me serais contentée de cette réponse mais là, c’est pas l’cas. » Qu’elle lui dit, de but en blanc. Elle lui laisse le temps de regarder au fond de ses prunelles pour voir à quel point elle est sérieuse. « Tu t’enfonces, et je n’sais pas ce que je dois faire pour t’aider. Je crois qu’en parler c’est un début… Et puis j’n’pense vraiment pas que ça passera comme ça… » Et puis Sacha, ce n’était pas n’importe qui pour lui. Il avait beau se donner un genre, il était bien plus touché par ce qui l’entourait qu’il ne le prétendait - comme elle, au final. Ce n’est pas parce qu’ils agissaient comme de parfaits connards qu’ils n’en avaient rien à foutre. Donc, sa main dans son dos, elle vient s’en saisir pour la ramener entre eux et glisser ses doigts dans les siens. « J’sais qu’elle était comme une gosse pour toi… Tu m’feras pas croire qu’il n’y a rien à en dire… Pas à moi. » Qu’elle lui dit, un peu plus assurée même. Avec une certaine fêlure aussi, de celle qu’il connaissait bien. Elle avait eu son lot de perte elle aussi. Sasha comptait pour elle, mais c’était la mort de Carlotta qui avait manqué de lui faire perdre pied aussi. Heureusement, elle l’avait eu lui.

Il fallait bien qu’il lui laisse l’opportunité de lui rendre la pareille. C’était important. Pour eux, pour le tournant que leur couple prenait - bien malgré eux. Mais ces derniers mois avaient été bien trop intenses, bien trop casse-gueule pour n’avoir aucune incidence sur ce qui les liait vraiment. « Je les épaules plus solides que j’te laisse croire tu sais… » Elle insiste, ouais. Parce qu’il n’y a pas qu’avec Lex qu’il peut aller picoler pour oublier. Elle est là, elle aussi. Pour les trucs moches aussi. Elle n’en aurait pas été aussi sûre quelques jours plus tôt, mais ça lui semblait suffisamment clair ce soir.

Il faut dire que ce n’est pas vraiment dans leurs habitudes. Mais si elle devait hausser le ton pour lui débloquer la parole, elle le ferait - tout comme lui s’y était déjà attelé par le passé pour lui faire cracher son mal être. C’était comme ça entre eux, tout simplement. Mais peut-être était-ce parce que les rôles étaient inversés cette fois-ci, la confrontation n’avait pas besoin d’être. Parce que visiblement, montrer qu’elle était là et déterminée, ça semblait suffisamment affecter Cesare pour lui faire ouvrir la bouche. Sa main dans la sienne serre un peu, un soutien ou une ancre ?

Si elle garde le silence alors qu’il ose, c’est pour mieux l’écouter. Et puis, pour ne pas le forcer non plus. Elle avait abordé la situation calmement, ce n’était pas pour attiser sa colère maintenant. Je sais qu’on va perdre des gens. C’est un peu plus fort qu’elle, son regard vacille un peu, et sa mâchoire se crispe. Elle non plus, elle n’aime pas y penser. Elle pouvait comprendre sa colère et son sentiment d’impuissance. « Cez… Parfois c’est pas l’nombre qui pèse dans la balance. » Qu’elle lui répond, calmement. Elle ne sait de toute façon pas trop comment elle doit parler, agir. Sa main vient se poser sur sa joue pour l’inciter à la regarder : « S’ils vous ont coincé comme ça, c’est parce qu’ils savaient qu’à la loyale, ils ne faisaient pas le poids…Je sais que t’aurais tout donner pour t’interposer. » Qu’elle lui dit, avec l’impression que ses paroles n’auraient malheureusement pas beaucoup de poids pour le rassurer.

« T’as rien pu faire… Et j’sais que ça te détruit. » Et il n’était pas le seul. Ils étaient tous rentrés avec ce regard affreusement vide, et à la fois chargé de haine. « Mais j’ai encore besoin de toi… » Qu’elle lui souffle. « Et Sasha encore aussi… Même si ça la ramènera pas. » Elle est un peu plus déterminée. Les responsables ne s'en sortiront pas, parce que tendre l’autre joue, ce n’était pas vraiment dans les valeurs des Exilés, pas vrai ?

Il y a un instant de silence, dans lequel son regard bleu un peu délavé par le soleil se perd dans les siennes. Ca fait mal comme elle l’aime, bordel. Ca lui fait mal de le voir à la fois aussi proche et aussi loin d’elle. « Je suis désolée que tu l’aies perdue, Cesare… » Qu’elle lui souffle, avec sa main toujours sur sa joue. Elle voulait cependant retrouver sa colère et sa hargne, parce que quelque part, ça la nourrissait plus que cette détresse dont elle ne savait que faire et qui la blessait elle aussi. C’était ça aussi, partager une intimité ? Ca craignait, clairement. « Mais je ne te laisserai pas t’enfoncer plus longtemps. » Et ça, c’était plutôt une promesse ferme.