Mars 2022

Cher Lissandro,

Quel étrange exercice, envoyer une lettre. Plus personnel qu’un simple e-mail, c’est certainement le fait d’écrire qui l’acte rend aussi … intime. C’est certainement pour cette raison que l’on envoyait tant de courriers par internet, et si peu par la poste. L’effort était moindre. J’ai mis quelques jours à écrire cette lettre, sans savoir si je l’enverrais un jour.

Je me suis longtemps posé la question de savoir si oui, ou non, je pouvais t’envoyer une lettre. Pouvais-je assumer l’arrogance, la prétention d’attendre une réponse de ta part ? Je suppose que je serais assez rapidement fixée, même si je n’ai aucune idée de l’allure à laquelle peut aller ce genre de missives par les temps qui courent.

À vrai dire, je pense qu’il est préférable que ce courrier ne soit pas trop débordant de bons sentiments, et qu’il reste assez léger. J'ai déjà l'impression de manquer de sobriété avec ce simple courrier.

La vie à Sanctuary Point est, sans l’ombre d’un doute, plus stable aussi bien pour moi que pour les enfants. Je dois dire que nous nous étions habitués à ta présence, moi, certainement plus que Poppy et Adriel, ou simplement pour des raisons différentes. Nous avons respectivement des responsabilités auprès de nos proches, il était impossible de transformer ces quelques mois en quelque chose de plus tangible, j’en ai quelques regrets, je peux l’avouer. C’est la raison de cette lettre, je suppose, même si nos situations respectives n’ont pas changées et qu'en réalité, elles n'ont pas à l'être. Mais je ne peux m'empêcher de me demander .. Et si ?

Je ne pensais pas que te voir partir aurait un vrai impact, mais avec les chamboulements que cela à pu entraîner, je me compte que ce n’est le cas, bien plus que je ne l'admet. Peut-être dans cette lettre y verra-tu l’opportunité de mettre fin à ce qui n’était qu’un début, et rien d’autre. Dans tous les cas, j’espère que tu vas bien et que tu as pu retrouver tes enfants et tes proches, une longue séparation est toujours difficile.  

Dans l’attente d’une réponse,
Eden.

PS : Désolée pour le dessin à l'arrière de la lettre, Poppy n'est pas très généreuse avec ses feuilles à dessins.

Mars 2022.

Querida Eden,

C’est vrai que cela paraît un peu formel. Je n’imaginais pas qu’une feuille blanche serait aussi… intimidante ? J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois, je ne suis pas aussi doué à l'écrit que toi, j’espère que tu seras indulgente.

Ta lettre m’a beaucoup touché, je suis content de pouvoir te lire à défaut de te parler. Et tu ne devrais pas t’en faire, cariña, ta sobriété n’a rien à craindre de ces lettres je pense.

Tes nouvelles me font du bien. Je suis content que tu aies trouvé ce que tu cherchais à Sanctuary Point. Je t’avais bien dit que c’était difficile de ne pas se plaire chez Matias, non ? Je suis content de lire que tes enfants le vivent bien, eux aussi. De mon côté, j’ai retrouvé mes filles en rentrant à Nisqually et je suis autant impressionné qu’angoissé quand je vois à quel point Annabella a grandi en mon absence… Pourtant… Je comprends ce que tu veux dire par… Et si ?

Il m’arrive souvent de me poser la question depuis que je suis parti.

Moi aussi je m’étais habitué à vivre avec vous trois, avec toi. Cela me manque presque de devoir me réveiller avant l’aube pour rejoindre ma chambre avant que tes enfants ne se réveillent.

Je ne sais pas vraiment si ça se dit ou si c’est moi qui suis trop sentimental, mais même si mes filles sont ici et qu’elles sont mon bonheur au quotidien… Tu me manques.
(Alors, est-ce que tu te sens toujours trop démonstrative dans ta lettre ?)

Je ne sais pas plus que toi où tous ces ‘bons sentiments’ nous mènent. Je ne suis pas sûr que ce soit très important pour le moment. A moins que ce soit quelque chose qui te pèse ? Je peux l’entendre tu sais. Notre situation est un peu particulière. Mais j’ai aimé chaque moment et chaque seconde. Et je n’ai aucun regret, sauf peut-être celui de ne pouvoir faire partie de ce tableau stable que tu voudrais pour ta famille - ou de toi, pour la mienne.

Je ne sais pas te dire quand je pourrais revenir mais, j’espère quand même que nos retrouvailles seront joyeuses, quelle que soit la décision prise - s’il faut en prendre une.

Siempre tuya, Cariña
Lisandro.

PS: pour la peine, j’ai laissé Annabella griffonnée à l’arrière de ma lettre. J’espère que tu aimes l’art abstrait.

Cher Lissandro,

Je ne peux qu’exprimer une certaine forme de soulagement à la lecture de ta lettre. Je dois avouer que les derniers jours n’ont pas été marqués par la sérénité. Peut-être, voyais-je ma propre lettre comme une bouteille à la mer qui pouvait rester en suspend sans jamais obtenir de réponse. Ma lettre m’apparaissait comme presque irréelle par certains aspects. La réalité de voir ton enveloppe, contenant ta lettre et ta réponse avait mis un point final à ce suspens en suspend. Je n'ai pas assez de mots pour te dire à quel point tes mots ont apaisé mes craintes, je n'avais, je crois, pas envie de lire des phrases négative, il faut que je me l'admette et que je l'avoue.

En vérité, je dois reconnaître que mon possible manque de sobriété m’apparaissait comme une forme d’égoïsme. Je n’ai pas, et je n’aurais certainement jamais, la prétention de me croire plus importante que la vie que tu peux avoir auprès des tiens, auprès de tes enfants. Je suppose que l’on ne peut que se poser des questions au conditionnel, pourtant je ne doute pas que nous nous reverrons un jour. Je me prends, sans mal, à l’imaginer.

Je suis contente de savoir que tes filles vont biens. Les enfants en bas-âge grandissent si vite. C’est une période qui ne dure jamais assez longtemps malgré qu’elle soit éprouvante. J’ai pu obtenir une feuille blanche de la part de Poppy cette fois-ci, j’ai du justifier cet affront par le fait de t’écrire, elle semblait satisfaite de ma réponse.

L’aube n’a plus la même lueur, et je peux le dire, tu me manques.
(avec une crainte terrible pour le manque de sobriété)

Il est difficile de ne pas se poser la question du : « et si » mais malheureusement, elle devra rester une question. Je n’ai pas de mal à garder ces bons sentiments, il ne me pèse en rien. Au contraire, ils m’apportent une légèreté, longtemps oubliée au profit de mes enfants, et ce, sans regrets aucun. Je pense que nous avons tous les deux trouver, ou retrouver quelque chose qui nous semblait perdu depuis longtemps. D’une certaine manière, nous faisons partie d’un tableau familial bien propre à nos époques du moins, c’est ainsi que je vois les choses.

J’espère que cette courte lettre te trouvera,
Dans l’espoir de te revoir,
Yours, truly

Eden.

Fin juin.

Eden, Querida,

Je m’excuse, je voulais t’écrire plus tôt. Mais quelques incidents m’ont empêché d’écrire et je dois dire que j’espérais t’apporter des nouvelles de vives voix à la place.
Rien de grave, je te rassure. Je me suis pris une balle à l’épaule il y a quelques semaines déjà et écrire m’était douloureux. J’aurais bien demandé à quelqu’un d’écrire pour moi mais je trouve nos échanges trop… personnels pour ça. Même s’il n’y aurait pas à rougir de nous lire je pense. Il était également prévu que je passe vous rendre visite à Olympia mais la tempête m’en a finalement empêché.

J’espère que tout le monde va bien chez vous. Ici, le campement est sans dessus dessous. Il a fallu reconstruire et soigner, jusqu’à en tomber malade ? Il se pourrait bien. Je n’ai pas échappé à la pneumonie. Je suis toujours alité à l’heure où je t’écris, mais je vais mieux je te rassure. J’ai juste profité d’un peu de répit pour demander un papier et un crayon à Nolan - mon coéquipier dans la gestion de cette infirmerie. Il gère magnifiquement bien, je ne sais pas si j’ai encore une réelle utilité ici, mais ils ont tous l’air de s’être entendus pour prétendre que oui. Voilà les nouvelles de chez nous ; mais le plus important c’est qu’ici, les pertes ont plutôt été matérielles. Ma famille est saine et sauve.

Je ne sais pas trop si c’est la fièvre qui me monte ou si c’est juste ma ‘franchise désarmante’ mais… Tu me manques. Cela fait deux fois que je repousse mon voyage pour venir te voir et je mentirai si je disais que ça ne me frustre pas. Je suis d’accord, l’aube n’est plus pareille depuis que je suis parti il y a … trop longtemps déjà. J’imagine que cela répond un peu à tes questionnements, peut-être que cette lettre arrive aussi trop tard et que, en l’absence de réponse de ma part… tu aies pu penser que j’en avais terminé avec toi et ton souvenir.

Sache que ce n’est pas le cas. Du moins, si tu m’en laisses l’audace… Auquel cas, je t’annonce d'ores et déjà mon passage d’ici quelques semaines. Le temps d’arranger les choses ici, à Nisqually avant de monter jusque chez vous. En attendant, je laisse cette lettre, j’espère que tu la trouveras - que tu viendras la chercher, malgré tout ce temps. J’imagine que si ce n’est pas le cas, je te ferai la surprise à ce moment-là. J’espère qu’elle sera heureuse pour toi. Si ce n’est pas le cas, je ne t’en voudrais pas. Pas le moins du monde.

J’ai aimé (et j’aime encore) tous les souvenirs que nous nous sommes construits et si tes sentiments ont changé, cela n’enlèvera rien à ce que tu m’as permis de vivre à tes côtés cet hiver. J’espère néanmoins que cette lettre te parviendra, et j’espère (sans doute un peu égoïste) que tes mots, tu les penses encore. J’aime ce manque de sobriété chez toi, j’ai eu l’impression en te lisant qu’effectivement ma franchise était contagieuse. J’aime beaucoup.

Je compte les jours avant de me mettre en route - n’est-ce toujours pas trop vieux jeu ?

En attendant de te revoir…
Siempre tuya, Cariña
Lisandro

PS : Aussi, si tu avais l’occasion de prévenir Matias de mon arrivée, il ne faudrait pas que je sois trop mal accueilli.

Eden, Cariña.

Je suis désolé.
C’est un peu bateau, un peu pauvre aussi, mais je devais commencer par ça.

La situation ici n’est plus tenable et nous devons partir. Je ne sais pas vraiment où et je sais encore moins si ou quand j’aurais l’occasion de revenir te voir. L’hiver va être compliqué et ils vont avoir besoin de moi. De nous tous, en réalité. Je sais que tu comprends.  

Mais je suis désolé.

Eden, j’aurais aimé avoir le temps venir te dire au-revoir. J’espère que tu trouveras cette lettre, parce que je ne saurais pas revenir pour trouver la tienne.
Mais sache que… J’ai aimé chaque moment que nous avons partagé ensemble, ce que tu m’as donné, j’espère te l’avoir rendu également. Ne perds pas cet éclat que j’ai vu dans ton regard, même si le temps fera sans doute qu’il s’adresse à quelqu’un d’autre.

Je donnerais des nouvelles des miens dès que les choses se seront calmées. En attendant, prends soin de toi et des tiens. Ils ne sont plus très loin et deviennent de plus en plus dangereux, faites attention à vous.

Te amo, Eden.
Je n’oublierai rien et je n’ai aucun regret, sauf celui de ne pouvoir venir te le dire en personne.

Lisandro.