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Double peine | Luther

Dim 15 Mai 2022 - 15:42

Une main pressant son épaule douloureuse, Ray s’affaire à quelques étirements précis et appliqués pour tenter de réduire le tiraillement. Il n’a pas encore retrouvé toute sa motricité, et se doute que ce sera un travail de longue haleine - pourvu qu’il puisse tout à fait récupérer. Il remonte le couloir alors que son service touche bientôt à sa fin, aux urgences… Luther et lui y remplacent régulièrement les effectifs absents dû aux expéditions sur Seattle et Glenwood, et l’équipe de nuit viendra bientôt prendre le relai alors que le soir tombe sur la ville et commence à leur infliger les premiers signes de fatigue.

Ils viennent de traiter un doigt coupé sur une jeune femme, le couteau a dérapé pendant qu’elle cuisinait. Elle s’en sort bien, n'aura qu'une simple cicatrice. Ray vient de classer le dossier avant de revenir aux côtés de son mentor, prêt à prendre en charge le prochain cas qui leur arrivera. Il s’assoit sur un tabouret, esquisse à peine un sourire à celui qui, de toute façon, ne le lui rendra pas.

Le docteur lui semble toujours aussi froid, même s’ils ont dorénavant passé beaucoup de temps ensemble. Ils sont au moins habitués à leur présence l’un à l’autre, et les silences ne dérangent plus le kiné. A vrai dire, après ce qu’il a vécu à Glenwood, il était heureux de le retrouver, lui et leur petite routine, il y a tout juste quelques jours - le temps qu’il se remette de l’infection de sa blessure. C’est bien plus simple de se plonger dans le travail que de penser à tout le reste.

Les portes s’ouvrent brusquement à l’autre bout du hall. Un homme étendu sur une civière, apparemment inconscient, est porté par deux hommes et suivi par l’infirmier trieur qui s’applique à presser le ballon d’oxygénation contre sa bouche.

“Tentative de suicide par pendaison, il a perdu connaissance il y a vingt minutes environ.” Lance leur collègue d’une voix nerveuse. Les médecins se relèvent déjà pour s’approcher et le prendre en charge. Impossible de rater la marque violacée qui tranche le cou du patient à la base de sa mâchoire. Il porte une odeur qui effleure le kiné d’une très désagréable sensation de déjà vu. C’est l’un des hommes qui confirme cette intuition, “Il pensait sûrement échapper à son châtiment, mais il a réussi à se rater.” Fait-il en abandonnant le brancard aux médecins. Ray prend le relai sur la respiration assistée en remerciant l’infirmier, et sent le regard vaguement familier de l’autre type s’attarder sur lui. “Pas de thérapie pour celui-là.” Le ton n’est pas amical. Au contraire, et Ray peine à relever les yeux pour croiser les siens. Tout autant à réaliser que c’est un cas comme Franck, qui est en train de leur claquer entre les mains…

Il se sent d'un coup plus fébrile, comme en danger, et se raccroche à l’approche purement méthodique pour ne pas laisser son esprit tomber en miettes. “Il faut préparer une intubation.” Fait-il d'une voix éraillée à son collègue alors que le brancard avance vers la réanimation. “Allez bonne chance !” Et les deux geôliers les laissent avec leur nouveau patient qui, quoi qu'ils fassent, se retrouve déjà condamné.
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Re: Double peine | Luther

Mer 18 Mai 2022 - 12:37

Le nez plongé dans un dossier, Luther fait abstraction du brouhaha des urgences. Comme toujours, il profite d’un instant pour superviser, même de loin, la bonne marche du service de gynécologie-obstétrique. Durant ses absences occasionnelles, tout semble fonctionner comme il faut, mais le médecin préfère garder un œil sur ses équipes. D’autant plus depuis qu’il a pris la responsabilité d’accueillir les médecins féminins qui, jusqu’à maintenant, avaient été tenues éloignées des établissements de santé. Mais le flux tendu exceptionnel qui agite tous les hôpitaux, cliniques et dispensaires de la ville appellent à des mesures tout aussi exceptionnelles, et il n’a eu d’autre choix que d’accepter ce compromis de la part de Newman. Faire venir les femmes, oui, mais à la condition expresse que les équipes d’Hawksley soient déplacées sur les services les plus surchargés, et que le gynécologue supervise lui-même le travail des nouvelles arrivées. Le jeu est dangereux mais jusqu’à maintenant, il en vaut la chandelle et s’il craint tous les jours de découvrir une erreur médicale grave, il se couche chaque soir soulagé qu’aucun drame ne soit survenu.

Les portes qui s’ouvrent brutalement le tirent de ses pensées et il abandonne là le dossier qu’il tenait à la main. L’un des brancardiers leur délivre les constantes vitales du blessé, alors que l’infirmier trieur leur annonce qu’il s’agit d’une tentative de suicide. Pris au dépourvu, Luther se ressaisit rapidement, et parcourt des yeux le maigre rapport écrit établi sur place. Le commentaire de l’un des deux hommes attire son attention et il relève la tête, surpris. C’est à l’évocation de la thérapie qu’il comprend la conversation sous-jacente et unilatérale qui se déroule devant lui. Un coup d’œil rapide à Ray lui confirme ce qu’il soupçonne et il referme d’un claquement sec le dossier du blessé – Jack Reynolds – avant de se tourner vers les deux hommes. Merci, messieurs. Nous prenons le relais. Le renvoi est subtil, mais sans appel. Il n’aurait pas pu leur indiquer la porte plus clairement et ils s’exécutent, non sans un bonne chance aussi ironique que sarcastique.

Se tournant vers l’interne, Luther hoche la tête en signe d’assentiment. Allez-y. De son côté, le médecin décroche le téléphone mural pour contacter le service imagerie. J’ai besoin en urgence d’un scan cérébral en TDM, indique-t-il tout en gardant un œil sur Ray. Il fait confiance au jeune homme mais se doit de s’assurer qu’aucune erreur n’est commise. À l’autre bout du fil, la voix lui répond, lui faisant froncer les sourcils. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris quand j’ai dit en urgence ? Débrouillez-vous, trouvez-moi une place. Nous arrivons. Raccrochant le combiné, il reporte son attention sur Ray. Vous êtes prêt ?

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Re: Double peine | Luther

Sam 21 Mai 2022 - 21:39

Les deux hommes les abandonnent avec leur patient. Si Ray sent qu’il respire un peu mieux sans les regards réprobateurs dardés sur lui, ce cas le perturbe. Lui-même a sérieusement hésité à achever Franck de ses mains lorsqu’il s’est retrouvé piégé avec lui en cellule, dans un face à face terrifiant avec le châtiment. Avec les gémissements. L’odeur. Le sang.

Bien sûr que la pendaison est une mort plus souhaitable que le pal.
Mais l’acte de fuite est peut-être plus répréhensible encore que la déviance.
Newman lui avait certifié que la souffrance était la seule façon de se laver de ses péchés.

La tête pleine, il saisit les tuyaux en plastique que lui ramène l’infirmier et hésite un instant en posant les doigts sur la mâchoire crispée de l’homme.

On devrait le laisser partir.

Il cille, chasse ces pensées inappropriées pour se concentrer sur ce qu’il a à faire. Il n'est là que pour le remettre sur pied - c'est son putain de métier. Le tube passe dans la gorge tuméfiée du pendu et, pour les quelques secondes que cela lui prend à le mettre en place, il ne rencontre pas de difficulté. Le respirateur artificiel peut prendre le relais. Si ce n'est évidemment pas suffisant pour le sortir d'affaires, le procédé devrait au moins permettre de cesser l'aggravation trop immédiate de son état.

“On peut y aller.” Fait-il à Luther en passant un regard bref et fébrile sur le sien. En espérant que le service d’imagerie leur aura bien fait de la place.

Ray pousse le brancard le long du couloir, alors que le personnel va et vient près de lui pour brancher, piquer, noter, dans un ballet si bien huilé que rien ne ralentit leur avancée.

Le kiné entre dans la salle de radio sous les râles du machiniste pour l'aider à mettre le patient en place, tandis que son mentor pourra jeter un premier coup d’oeil aux images. Après les quelques précieux clichés, la tension de l’homme se révèle assez basse pour qu’ils s'attèlent à le mettre sous perfusion et le redresser dans une meilleure posture. Pendant ce temps, Ray presse le pas pour rejoindre Luther. “Qu’est-ce que ça donne ?” Fait-il, sans savoir vraiment masquer la nervosité qui l’habite, bien plus que pour toutes les autres urgences qu’ils ont eu l’occasion de traiter ensemble.


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Re: Double peine | Luther

Lun 20 Juin 2022 - 19:40

Sous ses yeux, Ray semble hésitant, peu assuré. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été formé par Yeo-Jeong, puis par Luther lui-même. Le jeune homme a appris à gérer la pression, à travailler même dans les situations les plus stressantes. Pourtant, il semble perturbé par l'homme étendu sur le brancard, dont la vie ne tient qu'à un fil. Il faut quelques secondes à Hawksley pour se rappeler pourquoi Ray a été transféré dans son service, et comprendre les raisons de son malaise. Un malaise qui l'affecte également, mais qu'il dissimule plus facilement - fruit de longues années d'expérience, de répression, de repentance. Ces pensées coupables qui occupent l'esprit des deux hommes présents avec lui, Luther ne les connaît que trop bien.

Ray lui confirme qu'ils sont prêts à quitter les urgences, et le cinquantenaire s'empare des montants du lit, poussant de concert avec le jeune homme. Ils atteignent vite le service d'imagerie, laissant son interne installer leur patient avec l'aide du manipulateur radio. Pour la forme, le médecin avec lequel il a discuté au téléphone le prend à partie, mais Luther ignore l'homme et ses récriminations. Concentré sur les clichés qui s'affichent sur l'écran, il se détend un peu. Il ne semble pas y avoir d'œdème cérébral, et l'état du patient se révèle finalement moins grave qu'il n'y paraissait au premier abord.

Très vite, les ordres sont donnés, pour que l'homme soit conduit en service de réanimation. Il n'y a rien d'autre qu'ils puissent faire pour lui, et les spécialistes du genre sauront mieux le prendre en charge. Avec un soupir, Luther quitte la cabine du radiologue, sans lui adresser un regard, mais un remerciement murmuré du bout des lèvres. Un coup d’œil à la pendule lui apprend qu’ils ont largement dépassé la fin de leur service et en sortant dans le couloir, il s’appuie contre le mur, épuisé. Il n’a pas le temps de souffler que déjà, il est rejoint par Ray, qui l’interroge. Il devrait s’en sortir. Le scan n’a montré aucun œdème, aucune lésion apparente. Bien sûr, il faudra attendre son réveil pour en être certains, mais dans l’immédiat, il est en réanimation, et son cas ne nous concernent plus. Venez, dit-il en joignant le geste à la parole, invitant l’interne à le suivre jusqu’aux vestiaires des médecins.

Parvenus dans la vaste pièce aux allées constituées de placards métalliques, Hawksley se laisse tomber sur un banc, les épaules voûtées. La journée a été longue, et puisqu’il n’est pas dans son service, il voit toutes sortes d’horreur, qui lui minent le moral. Ce dernier cas en particulier a été rude, et le renvoie à des années de souffrances, de tentatives infructueuses pour extirper de sa chair les désirs coupables qui l’animent. Passant une main sur son visage, il tente d’en évacuer la fatigue, sans succès. Un coup d’œil jeté à Ray, et il hausse un sourcil. Comment allez-vous ? demande-t-il, d’une voix qui paraît froide et sans compassion. Mais le seul fait qu’il pose cette question dénote déjà un certain intérêt pour les états d’âme de son interne, qui le surprend lui-même.
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Re: Double peine | Luther

Ven 24 Juin 2022 - 23:30

Jack est envoyé en réanimation. Avec un diagnostic… encourageant. Pas d’œdème, pas de lésion. Un cas qui semble leur être arraché des mains pour passer aux suivantes, plus spécialistes. Ray le ressent comme une profonde et étrange frustration. Ce patient, il aurait souhaité garder un œil dessus.

L’interne a un léger temps de retard pour suivre le mouvement vers les vestiaires. Encore largement bousculé par ce qu’ils viennent de vivre, il peine à s'arracher à son poste.

Il lève alors seulement les yeux vers l’horloge accrochée au mur. Leur service est déjà fini, même dépassé. Vu les affaires présentes, l’autre équipe est arrivée.

Ray reste immobile, quelques secondes, debout, à guetter le mouvement ralenti des aiguilles. Combien de temps reste-t-il à l’homme qu’ils viennent de soigner ? Il soupire en déboutonnant le col de sa blouse de ses doigts tremblants puis se dépêche de s’en débarrasser. Sur sa chemise s’accroche pourtant l’odeur entêtante de l’hôpital.

Comment allez-vous ?
Ses gestes s’interrompent une seconde alors qu’il dépose sa blouse dans la pile de linge. Le docteur Hawksley ne s’intéresse jamais à ses états d’âme. Tout juste à son opinion, de temps en temps, surtout pour lui prouver ensuite en quoi il a tort.

Alors, il hésite. “Je ne sais pas.” Léger froncement de sourcils. La nervosité s'entend dans sa voix. Ray ne le regarde pas, s’occupe de ses affaires. Mais les tremblements rendent les gestes les plus simples trop maladroits. Il s’énerve contre le cadenas récalcitrant de son casier avant de soupirer, reculer et venir se laisser tomber sur le banc qu’occupe son mentor. Pour une fois qu’on lui tend une perche… peut-être devrait-il la prendre.

“Est-ce que… on l’a sorti d’affaire ? Ou est-ce qu’on l’a juste condamné à une mort plus violente que celle qu’il a voulu se donner ?” Articule-t-il comme il se l’est répété en boucle ces dernières heures.

Ray plante ses coudes sur ses cuisses et enfouit son visage entre ses mains. Le bout de ses doigts s’accroche avec colère à sa peau. Il a envie de frapper. Ou de se frapper. De sentir quelque chose là où il perd pied. Il souffle plus bas, une plainte, “Je n’étais plus censé traiter de patientèle masculine.” La guerre, l’affluence des blessés et l’absence d’une bonne partie du personnel médical en a décidé le contraire. Il le sait. Luther sait qu’il sait. S’il le rappelle, c’est surtout comme un aveu de faiblesse. Cette situation, ce Jack l’a affecté bien plus qu’il ne l’aurait imaginé.

Après un silence, Ray se décide à relever le menton pour tenter de capter le regard de son aîné. Il n’a plus les ressources pour complètement cacher l’émotion et la fatigue qui brillent dans ses yeux. “Il aurait pu être envoyé en thérapie. Et être soigné. Au moins essayer.” Fait-il tout bas, dépité.


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Re: Double peine | Luther

Mar 26 Juil 2022 - 23:40

Un long moment s’étire, pendant lequel Luther laisse retomber ses mains entre ses jambes, tête basse. Ses paroles paraissent flotter en l’air, inutiles, insensibles, incandescentes. Des mots brûlants, aux arêtes coupantes, qui ne font rien d’autre que mettre en exergue la vacuité de leur intervention ce soir. Non, ça ne va pas. Ça n’ira plus jamais, après cela. Le cinquantenaire en a conscience, ce qu’ils ont fait pour Jack ne servira à rien. Ils auraient dû le laisser mourir, au moins pour lui épargner le châtiment qui l’attend désormais. Fermant les yeux quelques instants, Luther porte une main à son visage, pince l’arête de son nez, soupire. Ils n’ont fait que retarder l’inévitable. Le précipiter de façon certaine vers une fin douloureuse, dégradante. Il n’y a rien d’humain dans ce qu’ils viennent de faire. Peut-être pour l’une des rares fois de son existence, le médecin a failli à son serment. First, do no harm.

Alors qu’il n’attend plus de réponse de l’interne, certain que celui-ci va l’ignorer, manifester sa désapprobation par son silence, sa voix résonne dans le vestiaire déserté. Le timbre tremble légèrement, alors que l’homme lui tourne le dos, essayant lamentablement d’ouvrir son casier. Les cliquetis métalliques apprennent à Luther que ses tentatives sont infructueuses et il hésite à proposer son aide ; néanmoins conscient qu’il est probablement la dernière personne dont Ray attend quelque chose ce soir. Alors qu’il est prêt à abandonner la partie, le jeune homme laisse finalement retomber le cadenas et le rejoint sur son banc. Retenant son souffle, Luther se redresse légèrement, prêt à affronter la tempête.

Les mots de Ray sont hésitants, comme peinant à franchir la barrière de ses lèvres. Comme si, inconsciemment, il s’efforçait de les retenir, de les contenir. Tous deux savent qu’il n’est pas bon évoquer ces questions dans l’enceinte de New Eden. Mais ce que Dobrowolski ignore, c’est que Luther est bien plus concerné qu’il ne pourra jamais l’imaginer. Je ne sais pas, murmure-t-il à son tour, fuyant. Honteux, il détourne les yeux, ses épailles s’affaissent sous le poids de l’aveu à venir. Je crois à la compassion du Seigneur, commence-t-il doucement. Mais celle de nos maîtres… j’en doute. C’est presque une trahison, ici-bas. Presque un complot, aux yeux des puissants qui édictent les lois qui les envoient, jour après jour, à l’échafaud. Quoi qu’il arrive maintenant, je prie pour qu’il trouve une forme de paix. Rien n’est moins sûr, cependant. Mais cela, Luther le tait.

Les tourments de Ray se lisent facilement et face au fracas qu’il devine sous les traits torturés, Luther se referme. Il n’est pas dénué d’empathie, de compassion. Recevoir les émotions des autres ne lui est pas inconnu. Il est simplement incapable de les gérer, de les appréhender. Il ne sait qu’en faire, marionnette maladroite et misérable, impuissant à les transfigurer. La colère, l’incompréhension et le désespoir de Ray restent à ses pieds, comme un tas de guenilles effrayant, dont il n’ose se saisir, au risque d’être contaminé. Au risque de les voir se retourner contre lui, l’abattre sans sommation ni pitié. Depuis l’enfance, Luther n’est qu’un petit garçon, dévoré tout cru par des émotions qui le dépassent. L’adulte qu’il est aujourd’hui n’est qu’une façade, une armure fragile, qui menace de s’effondrer à chaque instant, au moindre coup de vent.

Touché en plein cœur par la plainte du jeune homme, les yeux de Luther papillonnent. Je sais. Je suis désolé, souffle-t-il, sans savoir s’il s’excuse pour l’avoir contraint à briser cette promesse, ou pour tout le reste. Pour les cicatrices qui ne se voient pas, pour celles qu’on tente de dissimuler du mieux qu’on peut ; pour les corps anonymes qu’on empilent sur un bûcher discret, pour ceux qu’on exposent sur la place public, comme un exemple. Pour le silence qu’il maintient depuis des années, honteux de sa condition, honteux de ce qu’il est, et effrayé à l’idée de finir comme Ray, comme Jack. Car il sait. Il sait que tout cela ne sert à rien. Il n’y a rien à réparer, rien à exorciser. Les démons qui les hantent sont inscrits dans leur chair et rien, rien, ne pourra jamais les déraciner.

Leurs regards se croisent et cette fois, Luther ne détourne pas les yeux. Il doit au moins cela à tous ceux qui n’ont plus la chance de respirer ce soir. Déglutissant péniblement, le médecin pince les lèvres. Non, répond-t-il, catégorique. Essayer ne sert à rien. Les thérapies sont inutiles, illusoires. Il n’y a rien à faire contre cela. Ses paroles ont des airs d’absolu, mais Luther a conscience qu’en ignorant les secrets de son supérieur, Ray ne doit pas en saisir toute la portée. Pour autant, il n’est pas prêt à se confier, à remettre son sort entre les mains d’un autre. À donner une arme à quiconque serait susceptible de se retourner contre lui un jour. Plantant son regard dans celui de l’interne, Luther carre la mâchoire. Ne croyez pas une seule seconde qu’éviter une patientèle masculine vous sauvera de vous-même. Vous pourriez vous crever les yeux, vous arracher les mains, tout cela n’y changera rien. Ce que vous êtes restera avec vous jusqu’à la fin, achève-t-il dans un souffle. Luther est bien placé pour le savoir.
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Re: Double peine | Luther

Jeu 28 Juil 2022 - 19:26

Luther est désolé mais le mal est fait. Ray ne pourra jamais se sortir de la tête qu’ils n’ont fait qu’emmener leur patient jusqu’à son châtiment. Impossible de ne pas revoir Franck, le corps traversé de part en part, la mare de sang, ses interminables gémissements. Impossible de ne pas y superposer Jack, Jake, lui-même.

Il souffle, lentement, tente de contenir l’angoisse malgré les tremblements. Comme s’il était sur le point de déborder.

Et malheureusement, les mots de Luther ne font qu’ouvrir les valves. Ses lèvres s’entrouvrent, son regard s’arrondit, rougi, le kiné est abasourdi. Trop solidement ancré dans les yeux de son mentor, il y cherche désespérément un semblant de mensonge, de sarcasme. N’y trouve qu’une cruelle sincérité. Un fatalisme familier.

“Comment…” Ses lèvres sont engourdies, il ne le lâche pas des yeux. “Comment osez-vous me dire ça ?” Une fébrilité qui vibre dans sa voix.

Très vite, c’est la colère qui lui enflamme les rétines, s'immisce dans chacun de ses muscles déjà tendus par leur intervention. “Je suis guéri.” crache-t-il sans se détourner. Ce n’est pas que leur patient. C’est surtout lui, en cet instant, qu’il traite de cas désespéré.

Et puisque Luther ne remballe pas immédiatement ses affirmations, Ray laisse faire le réflexe qui lui bouscule le corps. D’une main, il l’agrippe au col. La poigne est solide, le geste fait voler en éclats toutes les barrières professionnelles. Son autre poing se serre. Il a envie de lui en coller une. Putain, ça le démange. Pour ce qu’ils viennent de faire, pour les ordres qu'il a suivi, pour ce qu’il raconte.

“Je pourrais vous dénoncer pour avoir tenu de tels propos.” Articule-t-il furieusement en sondant le regard du médecin. Il y retrouverait peut-être un semblant de contrôle, pourvu seulement que sa parole ait du poids. Mais il y a quelque chose dans le regard du cinquantenaire qui lui fait de la peine. Qui résonne.

“Vous n’en savez rien.” Fait-il comme s’il lui suggérait de se ranger sagement derrière ce fait. Ray le relâche avant de se relever de ce foutu banc. Il faut qu’il s’éloigne, alors que sa tête se fait plus lourde, que ses yeux le piquent. Retour devant son casier, il saisit de nouveau son cadenas, réalise que son  geste est tout aussi impardonnable. La provocation pourrait lui coûter son internat, son diplôme, toute la vie qu’il a promis à Lynn et à son père. Il cille, peste silencieusement en entrant enfin le code qui libère l’attache métallique dans un petit cliquetis.

Face à ses affaires, il hésite un instant encore, silencieux, avant de glisser les mains jusqu’à son propre cou. Les boutons de sa chemise cèdent un à un sous des doigts engourdis et, quand le tissu lui glisse des épaules, il soupire. Sans chercher à voir si le regard de Luther revient vers lui, le kiné exhibe son dos comme une preuve. Les centaines de cicatrices comme autant de témoignages de ses efforts. La chair est griffée, gonflée, certaines marques plus étendues sont révélatrices d’infections passées. “Comment pourriez-vous savoir ?”


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Re: Double peine | Luther

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