Elle a un panier sous le bras quand elle remonte l’allée de la maison, avec quelques douceurs faites par Sylvia. S’il était convenu qu’elle retrouve Hoani dans l’après-midi, le silence qui résonne après ces quelques coups frappés à la porte lui dit qu’elle est probablement arrivée un peu tôt. Qu’à cela tienne.

Habituée de la maison depuis quelques semaines, l’israélienne décide de faire le tour pour déposer le panier sur la terrasse arrière afin de mettre les biscuits à l’abri des regards envieux. L’esprit un peu ailleurs, elle passe la barrière toujours ouverte et s’avance vers la terrasse de la maisonnée… avant de s’arrêter net. Il y avait bien quelqu’un dans cette maison.

Elijah se tenait là, assis dehors. Il est aussi surpris de la voir là qu’elle de le trouver ainsi. Si elle se sent prise en faute quelques secondes, elle sait qu’au fond c’est loin d’être le cas - et elle croit même presque voir l’ébauche d’un sourire-façade sur son visage. Mais elle sait bien dans le fond, que quelque chose le bouleverse. « Elijah… Bonjour. » Il était rentré depuis peu, mais elle n’était pas encore venue lui souhaiter un bon retour - Hoani d’abord, n’est-ce pas.

« Je devais retrouver Hoani pour lui donner ceci, mais je suis arrivée trop tôt… Tu me permets de déposer ceci ? » Qu’elle lui demande, en s’avançant. Arrivée à sa hauteur, elle dépose le panier de gourmandises sur la table du jardin. « Bon retour parmi nous… » Elle tente un sourire, elle aussi. « Comment tu vas ? » Lui souffle-t-elle ensuite, avec bienveillance.

Une fois de plus, Elijah s’est égaré dans ses pensées, sans même s’en rendre compte. Il se souvient être venu s’asseoir dehors, sur la terrasse… et puis ensuite, rien d’autre, mis à part l'afflux constant de ses pensées. Depuis combien de temps est-il là ? Quelques minutes seulement, ou bien déjà plus d’une heure ? L’heure sur sa montre lui donnerait sûrement une réponse concrète, mais il n’est pas bien sûr de vouloir savoir, au final.

De toute façon, il n’a pas le temps de plus y réfléchir: car un mouvement, légèrement plus loin, attire bien assez rapidement son attention. Ela. Il est surpris de la voir ici, et n’essaie même pas de le cacher: finalement, il esquisse un sourire. Bonjour Ela. Pas sûr qu’il soit aussi convaincant que d’habitude, mais au final, est-ce réellement important ?

Oui bien sûr, répond-t-il à sa question. Effectivement, elle n’est pas encore rentrée. Depuis combien de temps est elle partie déjà ? Bonne question. Mais elle ne devrait pas tarder. Ses yeux se posent un instant sur le panier posé sur la table, avant de regarder Ela. Merci… S’il y a bien une chose qui le rend heureux actuellement, c’est de pouvoir être de nouveau avec sa famille. Parmi eux.

Je… Un léger instant de silence. Je vais plutôt bien, je suppose. Du moins il essaie de s’en persuader, avec plus ou moins de succès. Et toi ? Son attention se repose de nouveau sur elle: mais avant qu’elle ne puisse répondre au retour de politesse, il réalise. Est-ce que tu veux t’asseoir ? Il s’en voudrait de la laisser debout, alors que lui est tranquillement assis.

Il y a quelque chose de lourd dans le regard du cinquantenaire qui la touche, un regard qui fait sensiblement écho à bien trop nombreux déjà croisés. Cette guerre était lourde en conséquences. Pour tous les partis. Elle n’était pas au courant de la disparition d’Evan - qu’elle connaissait bien peu, pour tout avouer. Mais il était difficile d’ignorer le trouble dans le regard d’Elijah, d’autant plus qu’elle l’avait surpris quand il se pensait seul.

« Oui, merci. » Il ne le savait pas encore, mais le ménagement était de mise pour l’israélienne depuis quelques semaines déjà. Et elle prend naturellement place sur une chaise en bois, non loin de lui. Elle aurait pu s’en aller, ne pas s’imposer. Mais il faisait partie de la famille, et cette famille, elle voulait en prendre soin. « Je vais bien, merci. » Souffle-t-elle, en douceur, avant de laisser le silence s’installer un moment.

« Raconte-moi, Elijah… Je vois bien les fantômes dans ton regard. » Sa voix est étonnamment plus mûre, plus sérieuse que d’ordinaire. Plus vieille aussi, de ceux qui avaient déjà combattu et vu les siens tomber sous le coup des autres.

Ela s’assoit finalement non loin de lui, le remerciant au passage: son attention se pose sur sa belle-sœur, tandis qu’elle répond à sa question. Elle va bien. Tant mieux, sinon il s’en serait sûrement inquiété, se souciant bien plus de l’état de ses proches que le sien. Après tout, il sait gérer ça tout seul, non ? Pas besoin de leur imposer une telle chose.

Contrairement à ses habitudes, il n’essaie pas d’entamer la conversation, qui les sortirait de ce silence durant de plus en plus longtemps: au contraire, aujourd'hui il s’en contente sans le moindre soucis, presque fermé comme une huitre. C’est une nouvelle fois Ela qui le sort de ce marasme. Enfin…

Sa voix semble étrangement différente. Il ne saurait en expliquer les raisons, mais elle a l’air plus… assurée. Sérieuse. Pas tout à fait le timbre qu’il a l’habitude d’entendre de sa part. Son regard se détourne d’elle, comme pour éviter qu’elle en voit plus. C’est compliqué. Au point où il ne sait finalement pas quoi dire. Alors, ce n’est qu’après un certain moment de silence qu’il reprend.

Tu sais que nous étions plusieurs à être envoyés à Seattle ? Armand, Mason… -quoiqu’il ne sait pas si elle le connaît ou non- Eh bien, Evan est aussi venu avec nous. Le milicien était inquiet de ça: quelle ironie, quand il y pense maintenant… Le convoi dans lequel il se trouvait un jour a été attaqué, sur le chemin vers Providence. Et il… L’hésitation revient, et le silence aussi. Il est mort.

Il y eut un instant suspendu où le regard d’Elijah s’arrêta sur elle, comme pour remarquer quelque chose qui n’était pas là avant, ou quelque chose qu’il n’avait pas remarqué jusqu’alors. Il faut dire que l’israélienne n’était pas réputée pour parler ou faire parler d’elle - et ce, depuis qu’elle avait mis les pieds à Walla Walla. Mais… Quoi qu’il puisse lire dans son regard, cela suffit pour le pousser à lui parler.

Elle écoute, en silence. L’évocation d’Armand allume quelque chose dans son regard, juste un sursaut de paupière - à peine. Elle avait eu aussi peur pour lui qu’elle n’avait été inquiète pour Elijah. Était-ce approprié ? Elle se gardait bien d’en parler à quiconque. « Evan… Je me souviens de lui à votre mariage… » Qu’elle dit, avant qu’il ne reprenne sur un ton lourd pour lui annoncer sa mort.

Un poids tombe sur ses épaules quand elle voit la douleur sur les traits de son beau-frère. Son regard est même légèrement humide, témoin de l’émotion difficile à feindre. Elle vient poser délicatement sa main sur l’avant-bras d’Elijah, qu’elle presse délicatement. « Je suis désolée… » C’était cette guerre qui les déchirait tous. Tout comme elle avait été arrachée aux siens - probablement déclarée morte, elle aussi. « Il comptait beaucoup pour toi, et pour Hoani… Si tu veux m’en parler… » Elle laisse la fin de sa phrase en suspens. Sa main se presse encore une fois, puis elle la reprend pour la poser sur ses genoux. « ... Ou je peux rester là, avec toi, quelques minutes. » Qu’elle propose, finalement.

Les excuses d’Ela, aussi polies puissent-elles être en ce moment de peine et de deuil, ne sont pas vraiment pour l’aider. D’une certaine manière, elles rappellent au milicien qu’il n’a pas été capable de protéger Evan et de veiller à sa sécurité, comme il se l’était promis. Au final, seule la légère pression que sa belle-sœur exerce sur son avant-bras a quelque chose de rassurant, lui permettant de rester ancré dans la réalité.

Elle l’encourage à parler, avant de lui proposer de simplement rester là, sans rien dire: pendant ce temps, il reste silencieux, plus qu’il ne l’a jamais été. Ce n’est qu’après un long moment qu’il a finalement un soupir, à la fois las et rempli de tristesse. Il était… comme un fils, dit-il finalement. C’est peut-être la première fois qu’il le désigne de cette manière. Au départ, il me faisait penser à… à James, le fils de sang cette fois-ci, qu’Elijah mentionne peu souvent. Ils se ressemblaient un peu, d’une certaine manière.

Il se perd un peu dans son récit, avant de reprendre. Enfin… voilà. C’était devenu… quelqu’un d’important. Pour moi, mais aussi pour Mia. Un long silence file, avant que finalement, il ne repose son attention sur Ela. Désolé, je ne suis pas d’une très bonne compagnie en ce moment. Du moins dans un cadre privé, à l’abris des regards. Dehors, comme toujours, c’est toujours la même façade qui s’impose…