Elle est sortie de son sommeil sans rêve quand elle perçoit maladroitement du mouvement à côté d'elle. C'est comme un sursaut qui la dégage des bras de Morphée tandis qu'elle se redresse d'un bond et voit son mari s'esquiver dans la chambre. Mani, lui aussi, est redressé et soucieux de ce qu'il se passe : Min-Oh ? l'appelle-t-elle avant d'attraper sa robe de chambre pour la passer autour de ses épaules doucement. Les lumières de la chambre sont allumées, et sans pouvoir talonner celui qui a pris trop d'avance dans les escaliers, elle ne peut s'empêcher de sentir une bouffée d'inquiétude la prendre à la gorge.

Merde, marmonne-t-elle en dégageant quelques mèches de ses cheveux emmêlés. Elle dévale les marches avec précaution, le retrouve dans la cuisine, raccroché au lavabo, transpirant, essoufflé comme s'il venait de courir un marathon. Haletant, presque. Les lèvres pincées, c'est avec douceur qu'elle s'approche et pose doucement une main pour son épaule pour la frotter avec tendresse. Respire, elle se montre prudente dans ses gestes, dans ses mots. Ses doigts dégagent les cheveux collés à son front : Tu veux quelque chose ? De l'eau ? Un thé ? Te rafraichir ? Lui demande-t-elle.

La panique. Elle la reconnait. Quelques mois en arrière, les places étaient inversées. Avec la plus grande fermeté, Min-Oh parvenait à les contrôler, très pragmatique pourtant, mais si intègre que ça la canalisait. Comment s'y prendre ici. Ce n'est pas la première fois qu'il s'esquive soudainement, qu'elle sait qu'il ne ferme pas l'oeil dans leur lit, malgré la sécurité renouvelée de cet endroit. Quoi qu'il lui demande, l'indienne n'entend pas l'abandonner de toute façon, pas quand il se trouve à la merci d'émotion qu'elle sait terrifiante. Elle pince les lèvres, et tire l'un des tabourets de la cuisine.

Assieds-toi, je m'en occupe, lui ordonne-t-elle d'une voix maitrisée. Quoi qu'il veuille de toute façon : Dis-moi de quoi tu as besoin, et je te trouve ça, lui promet-elle. Même si ça se résume à l'impossible. Elle relève les yeux vers les lumières allumées, les fenêtres ouvertes, le fait qu'il doit se sentir étouffer ici. Mais ce sentiment-là, elle ne peut pas le balayer aussi facilement que ça. Elle aimerait pourtant : avoir cette force, cette prégnance. Comment faire ?

Elle s'exécute, lui livre son verre d'eau et essaie de se montrer à la fois présente, à la fois distante. Toute la complexité de l'idée réside dans cette duplicité qu'elle ne peut porter totalement. Et pourtant, à force de vivre à New Eden, sans doute devrait-elle avoir l'habitude de faire double jeu avec tout le monde. Même si avec lui, désormais, ça lui semble parfaitement inadapté. Alors, elle le laisse faire. Retrouver un semblant de souffle, reprendre l'illusion où il l'a laissé. Sans pour autant que ça prenne vraiment ou qu'elle se montre spécialement convaincue. Elle fait mine de ne pas juger, mais ne passe pas non plus pour une naïve dans le genre alors qu'elle porte un regard perçant sur lui.

Non, lui souffle-t-elle dans un murmure. Les mensonges passent, tombent, lui arrachent un soupir tandis qu'elle revient le fixer plus fermement encore. Elle sait que lui rentrer dedans n'aurait aucun intérêt, sinon le brusquer davantage quand il n'a pas besoin de ça. Mais Neela a besoin qu'il entende les choses, les mêmes qu'elle a dit à Mason quand elle l'a vu, et n'en est repartie qu'avec une image abimée de qui était son ami. Ça ne va pas, ajoute-t-elle. Il n'a pas besoin de maintenir le masque, parce qu'elle n'est pas dupe. Lui ne l'est pas non plus. Et ils n'ont pas à insulter l'intelligence de l'autre. Pas entre eux.

Elle se doute que ça n'est pas pour lui plaire, mais c'est néanmoins que ce qu'elle a à dire. Elle détourne les yeux un instant, garde un ton calme, égal, presque doux. Ecoute... soupire-t-elle simplement en se rapprochant d'un pas avec précaution. Sa main se porte sur son dos un instant, l'autre vient se poser sur sa joue pour l'amener à la regarder : Tu n'as pas besoin de me mentir, lui assure-t-elle sans détour en secouant la tête. Très honnêtement, elle ne pourra pas le trahir, et elle ne laissera personne lui faire du mal.

Neela se contente de le regarder tendrement : Je ne sais pas ce que tu as vécu, je n'étais pas là, et je ne permettrais pas de te dire que je comprends parce que... Je ne peux probablement même pas imaginer ce que c'était, lui murmure-t-elle doucement. Mais tu n'es plus seul et tu n'as pas besoin de me mentir, répète-t-elle simplement en le relâchant un temps. Elle ne sait pas vraiment ce qu'elle attend. Elle veut juste qu'il le sache, qu'il l'entende, et qu'il prenne le temps qu'il faut pour le réaliser.

C'est désespérant et désespéré. Le constat lui semble amer l'espace d'une seconde alors que presque trop vivement, Min-Oh saisit sa main et l'écarte de lui. Comme si ce contact le brûlait, comme s'il ne le supportait pas. Si évidemment ça lui arrache le cœur, l'indienne n'en dit rien et se contente de le scruter pour essayer de lire en lui. Rien de très aisé. C'est pourtant la première fois depuis qu'ils se connaissent qu'elle n'a aucun mal à saisir les émotions qui se bousculent dans son regard. S'il veut donner l'impression de les cacher, il se trompe.

Parce que c'est justement ce qui est dissonant chez lui aujourd'hui, ce qui ne fait pas sens. Dans l'incompréhension de ce qu'il vit, de ce qui bataillent pour sortir et ne lui laissent aucun répit. Elle pince les lèvres quand il lui demande de retourner se coucher, ne sait pas vraiment si elle doit renoncer maintenant. Elle sait ce qu'il contient cependant. Quand elle garde un calme presque légendaire à ce niveau, Neela soupire, réfléchit à comment tourner la chose. Se doutant que ça ne sera pas pour lui plaire, mais qui a peut-être besoin d'être dit.

Si tu as besoin de t'énerver et que par mégarde tu t'en prends à moi, glisse-t-elle pour commencer avant d'y songer. Je peux encaisser, assure-t-elle simplement. Qu'il s'agisse de s'énerver ou autre chose, prendre les coups n'est pas un problème. Enfin, ça ne l'est plus. Elle a pris l'habitude sans doute, et sait quand elle doit lever les armes de quand il vaut mieux simplement être un punching bag. Nul doute que la réaction de Min-Oh ne risque pas d'être celle forcément attendue. Qu'il s'y refusera probablement. Fais-le, assure-t-elle simplement.

Car sur toutes les personnes qui l'entourent, elle est la seule qui saura payer la note sans sourciller. Elle a l'endurance, les nerfs solides, à se dire que plier parfois sous la tempête n'est pas la pire chose possible. Elle pince les lèvres, hoche finalement la tête. Si ça n'est pas maintenant, alors ça sera une autre fois. Elle ira se rallonger, faire comme si dormir après tout ça était seulement possible. Même si ça l'étrangle de le garder pour elle.