Tucker haïssait Marlon. Il le trouvait trop coincé, pince sans rire, intéressé principalement à sa petite personne. Mais surtout, surtout, il haïssait les commentaires qu'il pouvait sans cesse faire sur lui. Les critiques étaient généralement non fondées en plus de cela. Marlon disait que Tucker chantait mal, jouait mal. Une perte de temps de se donner à la musique lorsqu'il est voué à l'échec. Le brun était susceptible. Beaucoup trop même. Il était facilement outré, offensé, vexé. Et Marlon avait le don de toujours taper dans le mille.

Encore aujourd'hui, Marlon avait heurté la sensibilité de Tucker. Et le brun était bien décidé à lui rendre sa monnaie de la pièce. Ah, il pensait que sa voix laissait à désirer ? Il allait lui montrer ce que chanter faux voulait dire. Il comptait l'empêcher de dormir, malmener les cordes de sa guitare un moment histoire de lui faire fermer sa bouche.

Il y avait de grandes chances pour que le camp entier ne vienne à être réveillé par ses conneries. Mais est ce que Tucker s'arrêtera là ? Bien sûr que non. Il allait faire chier son monde. Du début à la fin.
Debout à 2h du matin, Tucker attrapa sa guitare, courbaturé d'ailleurs par les entraînements de Nima qu'il avait commencé il y a quelques semaines. Il avait plusieurs bleues, ses membres inférieurs étaient plus que douloureux mais il faisait des progrès et c'était suffisant.

- Gnagna je préfère me crever les yeux que de t'écouter chanter. Espèce de gros con là..

Tucker ruminait dans sa barbe, sortant de son mobil-home, instrument en main. Il avança vers la demeure de ce cher Marlon et rejoignit la fenêtre où sa chambre se trouvait. Tucker glissa les doigts sur les accords pour désaccorder son instrument le temps d'emmerder Marlon.
Tucker finit par se redresser, épaules en arrière, fierté sur le visage avant de faire violemment glisser le médiator sur les corps. Hors de question d'utiliser ses doigts sous peine de perdre des morceaux. Tucker se mit à chanter -ou plutôt hurler- marquant des accords non présent, montant dans aigus pour repartir dans les graves. A tous les coups, il se cassera la voix pour les prochains jours mais ca vaudra le coup.

Depuis son retour à Nisqually, Marlon passait une grande partie de ses journées à l’intérieur de son mobil home, à travailler. Installé à son bureau, le nez constamment fourré dans les papiers, il restait focalisé sur une seule et même chose: préparer le dossier de défense d’Harper, pour son procès à venir. Aller à Providence lui avait permis d’avoir un peu plus d’informations à ce sujet, notamment concernant les chefs d’accusations portés contre la jeune femme: mais c’était la longue entrevue avec elle qui lui avait permis de regrouper le plus d’informations. Son témoignage ne pourrait qu’être utile dans la construction de leur défense, ce sur quoi il travaillait actuellement.

Si bien qu’il ne remarquait pas que le temps défilait, inlassablement: ce ne fut qu’en posant le regard sur l’horloge murale non loin, qu’il se rendit compte de l’heure avancée. Minuit. Il eut un soupir. Il travaillerait bien une heure supplémentaire, mais cela ne serait pas raisonnable, et il le savait très bien: s’il ne se reposait pas, il ne pourrait pas travailler aussi efficacement demain, et il perdrait encore plus de temps… Alors, après un rapide rangement, il délaissa finalement la pièce pour aller dormir: une fois changé et installé, le sommeil ne se fit pas attendre bien longtemps.

2 heures du matin. Un hurlement atroce vint soudainement mettre fin au calme de la nuit, réveillant en sursaut Marlon. Violemment tiré de son sommeil, un court temps lui fut nécessaire pour comprendre que cela ne s’arrêtait pas, partant au contraire dans les aigus pour virer au grave. Une atrocité auditive, qui ressemblait plus au cri d’une poule égorgée qu’autre chose… Qui visiblement avait lieu juste à côté de chez  lui, tant il l’entendait bien. Autant dire qu’avec ça, l’ancien avocat fut bien assez rapidement de très mauvaise humeur, surtout en reconnaissant à qui cette voix de dindon appartenait. Tucker.

Bien décidé à faire taire cet imbécile fini, quitte à lui faire regretter au passage de venir l’emmerder, il enfila à la va-vite une veste: derrière lui les cris continuaient de plus belle, lui arrachant un long soupir. Si cela ne tenait qu’à lui, il serait déjà en train de lui découper les cordes vocales, histoire d’avoir définitivement la paix: il se plaisait à y penser, même. Cela lui permettait de rester un tant soit peu calme d’apparence, ou du moins maître de sa colère. Il se retrouva dehors, fermant calmement la porte derrière lui, avant de se tourner vers l’homme-enfant un peu plus loin.

Tiens, quelle surprise… commenta-t-il d'un ton rempli d'ironie, ne cherchant même pas à cacher toute la colère et le mépris qui pouvaient se lire dans son regard. Croiser Tucker plus souvent ces derniers temps le confortait dans son opinion à son propos: c’était un écervelé, accompagné d’une mentalité digne d’enfant de trois ans. Un bon cocktail explosif, que Marlon n’avait aucunement la patience de gérer. Ni même l’envie. Je peux savoir ce que tu fais là ? Mis à part faire exprès de chanter plus mal que d’habitude, cela allait de soit. Autant dire que s’il continuait ainsi, Marlon ne serait définitivement plus le seul réveillé d’ici quelques minutes…

Si Tucker savait faire une chose correctement. C’était bien d’emmerder son monde. En particulier Marlon. Il n’aimait pas le type, avait décidé que se méler de sa dernière dispute avec Quinn était suffisant pour lui casser les noix de façon royale. Et bruyante, évidemment. Il y a de grandes chances que les quelques habitations présentes autour de Marlon ne soient pas impactées et pour ça, Tucker prendra rapidement ses jambes à son cou si l’un des cinglés ne débarquent. Pas folle la guèpe. Lorsque la porte s’ouvre finalement sur Marlon, tête dans le cul, cernes de trois kilomètres et débraillés jusqu’au profond de son fondement, Tucker cesse de faire grincer les cordes de sa guitare. Un grand sourire sur le visage, Tucker fait une révérence exagérée à l’homme en face de lui.

- Tiens, vous ici !

Qu’il ajouta d’un ton ironique. La question de Marlon était aussi stupide que son amour pour ses meubles. Qu’est ce que Tucker faisait à ce moment précis ? Du bruit. Est-ce qu’il allait continuer maintenant qu’il était réveillé ? Pas sûr. Il pouvait au moins l’emmerder et le tenir hors de son sommeil. Jusqu’à ce qu’il ne se rend compte que de Marlon dépendait la liberté d’Harper. Mais ça, il lui faudra quelques temps avant de s’en souvenir.

- Je t’emmerde ! Quelle question.

Tucker gardait ses distances avec Marlon. Un sourire sur le visage, éternel petit con pour la soirée. Le brun avait la rancune tenace. Guitare en main sans qu’une note ne sorte pour le moment, le brun fait un pas sur le côté, théâtrale comme à son habitude. En réalité, il n’avait pas réfléchi à ce qu’il allait faire. Gueuler comme un putois ? Oui. Mais après ? Pas sûr qu’il pourrait lui tenir la grappe plus de quelques minutes. Mais ce sera déjà quelques minutes de victoire pour le brun.

- J’ai dérangé ton précieux sommeil ? Je suis désolé. J’étais en plein rituel pour attirer les cons, visiblement ça marche ! J'étais pas persuadé au départ.

Pour ne pas dire les connards tout court, d’ailleurs. Mais Tucker n’était pas toujours vulgaire. Sauf en cas d’énervement, de pépin, de stress. Sinon, il était rare de le voir utiliser ce type de mot. Mais là, c’est Marlon. Il s’en fiche donc royalement.