Avril 2022

Bordel, je dégouline de sueur. C'est un peu le propre quand on bosse à la scierie, on a pas vraiment le temps de se préoccuper de ça. A côté, Caleb me fait signe que ça se passe nickel et je hoche la tête fermement. Je m'y remets de plus belle avant de cerner une ombre derrière moi soudainement, qui me fait sursauter. J'ai un moment suspendu en me demandant ce que ça peut être, mais je réalise qu'à l'abri ici, y'a qu'une personne qui s'autorise à venir se planter de temps en temps.

Je coupe les machines, pose la hache par sécurité. Caleb est plus là et c'est pas lui que ça va déranger. Mina ! Que je l'appelle doucement en m'approchant avec prudence. C'est l'occasion pour retirer les gants et les lunettes de protection, et aviser vers la planque que j'ai déduit de la jeune fille. Je dois avoir des copeaux de bois partout, c'est un peu frustrant. Qu'importe, je lui fais un signe de la main pour attirer son attention : Qu'est-ce que tu fais ? que je lui demande avant de soupirer : Je t'ai dit que la scierie pouvait être un peu dangereuse, te cache pas là, ok ?

Le refus manifeste de Mina me raidit soudainement. Quoi ? Je crois que je m'attendais tellement pas à ça que j'ai l'air d'un vrai crétin en la regardant les yeux ronds. Je suis censé être l'adulte ici, alors du coup, elle devrait plutôt m'écouter et m'entendre quand je lui dis qu'il vaut mieux pas qu'elle reste. Bon euh... Je fais preuve d'autorité ou si j'essaie d'être conciliant. J'imagine que le premier cas lui fera peur, mais au moins l'amènera a plus venir dans le coin...

Sauf que je peux pas m'y résoudre : c'est pas moi. Je suis pas comme ça, je l'ai jamais été. Les lèvres pincées, je soupire un instant avant de me reprendre : Eh Mimi, qu'est-ce qu'il se passe ? que je lui demande en m'accroupissant devant elle pour être à sa hauteur. Pourquoi tu veux pas bouger d'ici ? Que j'insiste même en esquissant un sourire qui se veut rassurant. Peut-être qu'elle trouvera les bons gestes pour m'expliquer.

Danger. Je me tourne pour regarder d'où elle vient, sans trouver l'agitation qui expliquerait le danger. Je me concentre. Aucun éclat de voix non plus, rien qui justifierait sa réaction. Je pince les lèvres en comprenant que Mina est peut-être toujours une enfant à l'imagination fertile, qui se restreint pas tout à fait à sa tête. Je souffle doucement avant de revenir vers elle : Ok, j'arrive, je lui fais signe de se pousser un peu, et je me trouve un peu trop grand pour l'espace qu'elle me dédie.

Mais je vais pas râler de trop. Les jambes ramenées contre moi, je pose mon dos comme je peux contre la surface et soupire un coup. Y'a un long silence qui tombe entre nous deux, étant donné qu'absolument rien se ramène, un peu comme prévu quoi. Et je pince les lèvres dans la foulée en venant l'interroger du regard : De quoi tu te caches ? que je demande finalement en me tournant un peu dans sa direction.

Je fais une grimace de circonstances à la réponse de Mina, qui ne veut pas dire grand chose pour moi. Mains griffues, dents, gorge tranchée, je crois que c'est l'idée. Mais par contre, je suis pas sûr que le monstre soit dans le campement. Je la fixe longuement en comprenant que ça la terrifie vraiment, et que la scierie est donc la planque idéale parce que le monstre trouvera pas le battement erratique de son cœur dans toute cette cacophonie. Un bref soupir m'échappe tandis qu'elle se prostre contre moi et vient finalement me saisir la main.

La vérité, c'est qu'elle trempe comme une feuille. Comme si elle était morte de froid, et parvenait pas à se réchauffer. Elle a peur à ce point ? J'avise dehors un instant avant de passer machinalement mon bras autour de ses épaules et la ramener contre moi. Je l'aide à se recroqueviller encore plus et l'entoure pour la protéger de tout ce qu'elle voudra. Même si c'est un monstre qui vient de sa tête, je sais pas vraiment comment je pourrais l'aider mais on a tous des peurs, et tous des cauchemars, où l'enfer nous parait trop réel. Je comprends.