Ça me fait tout drôle de me retrouver dans un campement. Tout aussi organisé que celui-ci du moins. Ça semble faire des années et des années que je ne me suis pas retrouvée dans un endroit aussi… normal. Et ça me démange de retourner à l’extérieur. Cependant, vu l’heure… Il vaut mieux que je me trouve un coin pour dormir. Je ne sais pas si j’irai rejoindre leur dortoir par contre. Je devrais en profiter non ? Un endroit sécurisé où je pourrai dormir les deux yeux fermés, ça me changerait beaucoup de mes nuits incomplètes ou carrément en dormir dans les arbres. Suis-je entêtée au point de me priver de confort ou suis-je simplement précautionneuse ? La réponse ne me vient pas.

Mes iris clairs se détachent du feu de camp qui brûle devant moi pour essayer de percevoir les différentes vigies qui gardent cet endroit. Bien sûr, à me perdre dans la danse des flammes, je ne vois maintenant plus assez bien pour distinguer les autres sur leur point de garde. J’entends des voix qui me confirment cependant qu’ils y sont bel et bien, donc je reviens à mon repas du soir. Un lapin que je fais doucement griller à la broche. J’ai pu échanger sa peau contre quelques carottes que je fais aussi griller contre les pierres qui entourent le feu. Mes parents m’ont toujours dit que c’était très important d’essayer de varier mon alimentation, même depuis que Coyote envahi la terre des vivants avec ses esprits maléfiques. Je n'ai pas eu le temps de chercher des racines ou des légumes sauvages, donc j’ai dû troquer ma peau de lièvre…

Au fond, ce n’est pas bien grave. Comme l’été approche, je n’ai pas besoin de tenter de me faire des vêtements chauds.

Quelques personnes passent près du feu de camp, mais ne s’arrêtent pas. Je me crispe instantanément, prête à me défendre, mais bien sûr rien ne vient. Je me sens un peu idiote de réagir comme ça, mais quand on passe le plus clair de son temps seule à se méfier de tout le monde, les vieilles habitudes reviennent au galop.

Tout me corps se tend lorsqu’un inconnu s’approche de mon feu et me souris. J’essaie de me détendre lorsqu’il me demande si je vais bien. Visiblement je n’arrive pas à cacher ma fébrilité. Rien ne sert de mentir, je suppose.

- Oui, je… je n’ai pas l’habitude de voir autant de monde. Ceci explique cela donc. Vous êtes beaucoup ici et on me dit que ce n’est qu’un avant-poste. Il est grand à quel point ce groupe ?

Je pense que c’est une information relativement importante à connaitre, si je compte échanger mes services contre leurs ressources. J’aurais peut-être dû demander avant, mais je crois que j’étais trop impressionnée par tout ça. Ce rassemblement, cette organisation, cette… gentillesse. Apparente, peut-être… Réelle, peut-être aussi. Le temps me le dira, mais je ne compte pas vivre ici avec eux pour autant.

- Ça fait longtemps que vous êtes dans la région ? La curiosité prend tout de même le pas sur tout le reste avec moi. Vous êtes comme moi ? Un voyageur ou vous êtes avec ce groupe ? Le seul endroit que j’ai connu comme ça, c’était un village de mennonites. Vous êtes comme ça ? Ou… des amish ?

Je me tais un instant. Je me rends compte que je l’assaille de questions et je n’ai pas spécialement envie d’être désagréable non plus. Alors je préfère river mon regard sur mon lapin que je fais tourner doucement sur le pieu de bois que j’ai taillé un peu plus tôt.

- Vous avez mangé ? Je peux partager. C’est ce que mes parents m’ont appris à faire en tout cas. Je m’appelle Nascha, au fait. C’est plus polie de se présenter aussi et les gens ont moins tendance à vous vouloir du mal comme ça.

Ça n’empêche pas nécessairement les attaques, je ne suis pas idiote non plus, mais de sympathiser, ça permet aux inconnus de ne pas vous percevoir comme un danger. C’est maman qui m’a appris ça du temps où on était dans notre réserve. À l’époque c’était plus pour éduquer les racistes et leur prouver que l’on n’était pas des bêtes ou des sous-hommes. Aujourd’hui ça peut peut-être me sauver la vie.

Très grand. Ça ne répond pas spécialement à ma question, mais un peu à une autre.

- Oh, désolée. Vous êtes le premier groupe aussi grand que je croise. Je suis curieuse du coup. Sans doute un peu trop peut-être, mais je ne m’empêcherai pas de poser des questions pour autant.

J’ai certainement les infos qu’il me faut, puisque je travaille pour eux de temps à autre, mais d’en savoir plus est logique, non ? J’hoche bien sûr de la tête pour lui permettre de s’asseoir à mon feu de camp. Corray donc, je note mentalement en espérant m’en souvenir si nous nous recroisons. Il refuse mon lapin, ce qui au font me soulage un peu. J’ai très faim, mais je partagerai toujours avec ceux qui en ont besoin néanmoins.

Continuant de faire rôtir mon repas, j’écoute attentivement ce qu’il m’explique, ou plutôt qu’il précise après m’avoir dit ne faire partie de ce groupe que depuis deux ans. Pas doué pour survivre tout seul dehors ? Je suis un peu surprise pour le coup, avant de me dire que ce n’est pas tout le monde qui a les connaissances pour que ça se passe bien. J’ai de la chance au fond, que mes parents m’aient appris les plantes comestibles, comment pêcher ou chasser. Que ça ait fait partie de mon éducation à la maison.

- Donc, ils sont assez bien organisés pour ramasser des blessés ou des mourants. Je dis ça tout haut, sans trop m’en rendre compte. Je me demande vraiment de quoi à l’air leur camp principal pour le coup.

Ils ont l’air de bien manger, d’avoir l’armement pour se défendre et de ne pas souffrir de ramasser des gens dans le besoin. Est-ce qu’ils ont de l’électricité ? Est-ce que c’est comme le monde d’avant chez eux ? J’ai tant de questions, mais j’écoute plutôt Corray tandis qu’il me décrit un peu plus son groupe.

Une communauté qui s’entraide. Ça me rappelle un peu la maison, dit comme ça. Brewster aussi, mais eux… c’était des religieux. Des fanatiques qui ont réussi à faire fuir mon frère ainé et à convertir mon frère cadet. Je fixe les flammes en me remémorant tout ça. En me rappelant de quoi notre vie se résumait là-bas, avec ces gens… J’espère que Tokala est toujours en vie, qu’il a trouvé ce qu’il espérait. J’espère que Kele se souvient de nous, de notre famille, de notre héritage…

- Je ne sais pas. J’ai juste… marché, suivi les troupeaux de gibiers et je suis à Tacoma un peu par hasard. J’étais à Brewster quelques années avant ça, à The Refuge. Tu connais ?