Surtout ne pas forcer. Ne pas trop en faire. Sinon je me retrouverais de nouveau avec une attèle, ou pire encore. Si les paroles de Min-Oh résonnent en continu dans mon esprit, je n’arrive pas à l’écouter. Pas autant que je le devrais. Parce que je sais aussi que je ne peux pas continuer à ne rien faire, que je dois m’entrainer et être plus fort. Pour ne pas être pris au dépourvu, pour arriver à me convaincre que maintenant, des hommes ne mourront pas parce que je n’aurais pas su faire les bons choix.

Oh, je sais bien que ça n’a rien à voir, je ne suis pas idiot. Mais j’ai besoin de me focaliser sur quelque chose de concret, de tangible. Et l’entrainement en fait partie, alors que tout le reste commence à doucement mais surement à se mettre en place. Je ne sais pas encore ce qu’il en ressortira, mais je sais que, maintenant, je peux affronter mon reflet dans le miroir et vivre avec ma conscience. J’ai commis plus d’une erreur mais, aujourd’hui, je ferais tout pour aider les miens. Pour que cet Eden dont j’ai rêvé soit celui de tous et pas juste d’une poignée. Pour le bonheur des femmes qui m’entourent.

Un nouveau coup de poing dans le punching-ball alors que je sens une douleur vriller le long de mon coude. Evidemment, il est fragilisé, mais hors de question de le dire à qui que ce soit, mon meilleur ami en tête. Je préfère me dire que je renforce mes muscles après des semaines de repos. D’autant que, entre ma convalescence, ma blessure et la pneumonie, je me sens plus faiblard que jamais. Et cette virée est une nécessité.

J’ai vaguement salué les personnes présentes, préférant me focaliser sur ma cible. Qui prend des formes diverses, aussi désagréables les unes que les autres. Je suis rapidement essoufflé et je finis par m’arrêter à cause de la douleur, le front appuyé contre le cuir du punching-ball pendant quelques instants. Avant qu’une silhouette n’attire mon attention.

Jared.

Merveilleux. Il ne manquait plus que ça.

Enfin, pour être parfaitement honnête, je ne l’ai que très peu croisé depuis des mois. Depuis que je suis monté en grade. Je ne travaille plus dans le même secteur que lui et nous ne vivons pas dans le même quartier. Ce n’est pas vraiment une grosse perte, c’est même tout le contraire, l’animosité que je ressens depuis son attitude envers Felicity ne s’étant apaisée que parce que la principale concernée m’a dit de lâcher l’affaire. Pour autant, je sais que je dois faire bonne figure, que je dois montrer à quel point je suis attaché à notre groupe, à ce qu’il représente. Alors, après une brève inspiration, je m’approche de lui, non sans souffler, en désignant le ring. « Alors Jared, comment ça va ? Ca vous intéresse un petit match amical ? » Là, voilà, personne ne pourra m’accuser d’être le plus désagréable de nous deux. Pas cette fois en tout cas. Ou pas encore.

C’est une idée totalement stupide. Outre le fait que physiquement parlant, je risque plus de me faire mal qu’autre chose, c’est aussi Jared que j’ai fasse à moi. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai rêvé de le choper dans un coin pour le frapper après qu’il ait parlé à Felicity. Mais, au final, je réalise à quel point j’ai bien fait de ne pas agir. Aussi frustrant que la situation ait pu être. Parce que ça se serait retourné contre moi, contre mon ex-femme et Dieu seul sait ce qu’elle aurait eu à supporter à cause de moi.

Une petite voix me souffle que, dans le fond, ce n’est pas plus mal qu’elle soit partie. Depuis qu’elle est loin de moi, sa vie semble enfin reprendre son cours. Et elle a l’air heureuse. En espérant que ce type ne revienne pas la chercher. Mais, de ce que j’ai pu en voir, le dossier est resté en l’état.

Oui, il est possible que j’aie un peu pris le temps de fouiner. Pas trop non plus, je ne voulais pas me créer des problèmes pour rien. Et je me suis forcé de ne pas me la jouer parano, de ne pas abuser de mon nouveau poste pour vérifier ce que Jared pouvait faire de ses journées. Autant dire que l’exercice n’a pas été des plus simples et que j’ai dû me retenir plus d’une fois. Ce qui me fait réaliser à quel point je manque d’objectivité à son sujet. Je ne le connais pas vraiment et, si ça se trouve, il était bardé de bonnes intentions.

… je sais, je ne crois pas vraiment à ce que je dis. Mais, si on apprend que j’ai fait le premier pas, que j’ai proposé une petite joute amicale, potentiellement que les gens se diront que je me rapproche des pro-New Eden. Ou que je ne suis pas rancunier. Peu importe. « Super. » Soufflé avec un sourire quand Jared accepte ma proposition. Je m’attendais presque à ce qu’il refuse. Mais là, au moins, je ne peux plus reculer comme ça.

J’enfile les gants à mon tour et je grimpe sur le ring, non ans reprendre, d’un ton toujours aussi léger. « Je ne t’ai jamais demandé ce que tu savais faire. Niveau combat. Personnellement, je m’en tiens à la boxe anglaise. J’ai dû me coltiner pas mal d’entrainements militaires depuis ces derniers mois. Autant dire que c’était… rude. » Doux euphémisme. Le pire ? C’est que je sais que je ne manquerais pas de recommencer, surtout au vu de ce que m’a dit River. « Tu sais qu’il parait qu’on va devoir reprendre les entrainements de plus belle ? » Nous autres, les miliciens, ne sommes clairement pas au niveau des militaires. Je ne parle même pas des civils, Glenwood et même notre virée à Seattle nous l’a bien montré. Et ça ne peut pas durer.  

Je vois bien qu’il est tendu. Le contraire serait étonnant de toute façon. Nous sommes tout sauf amis et même pas des connaissances qui pourraient plus ou moins s’apprécier. Ou quelque chose dans ce goût-là. Peu importe au fond, tant qu’il ne me voit pas comme une menace. Et je repense aux échanges que j’ai pu avoir avec Armand ou McCarthy. Bien s’entendre avec ceux qui pourraient se méfier de moi. J’imagine que Jared pourrait, à peu de choses près, être en tête de liste.

Alors, je continue de jouer le jeu. Pour un peu, je finirais presque par y croire. Par redevenir celui que j’étais il y a quelques années, quand j’aurais été prêt à foncer tête baissée pour protéger New Eden et tout ce qu’il représente. Mais j’ai changé. Beaucoup de choses ont changé. Alors, même si ce serait bien plus facile, plus simple de reprendre mes vieilles habitudes, j’essaie de trouver la moindre brèche pour aider les miens. Mais, pour le coup, ce que dit Jared m’intéresse. « Du close-combat ? Intéressant. » Et j’ajoute, sans même y réfléchir. « Et… je ne t’ai jamais demandé… » Probablement parce que je m’en moquais jusque-là. « Mais tu viens de quel coin ? »

Je vois Jared se préparer sans se faire prier et j’ai une grimace de douleur que je réprime tant bien que mal alors que je replie le bras. Je sais, je sais, c’est une mauvaise idée. Mais Min-Oh n’est pas là pour me faire les gros yeux, alors tout va bien. Je hoche la tête quand il continue, un brin plus sérieux et sans avoir à me forcer. Les paroles de River me reviennent à l’esprit. « Nous sommes déjà en guerre. » Les Oblivions, les Scarecrows. Et j’ai un frisson que je ne cherche même pas à cacher. J’ai bien vu dans les regards des gens que j’ai pu croiser, dans les quelques accolades que j’ai pu recevoir, que les gens savent ce qui s’est passé. Mais je dois aussi ne pas être cantonné qu’à ça. « Hors de question qu’ils mettent un orteil ici. » Je ferais tout pour que ça n’arrive pas. Je ne veux pas que ces monstres approchent ma famille, mes enfants. Et c’est probablement la seule chose qui me motive à ce que New Eden ne s’effondre pas totalement. Parce que nous ne survivrions pas à une attaque des Oblivions sans l’organisation militaire qui fait de cet endroit une dictature. Je sais, c’est un sacré paradoxe.

Finalement, nous voilà tous les deux face à face. Et je ferme les yeux quelques secondes, mon corps tout entier se crispant à l’idée même de pouvoir le frapper. Oui, c’est toujours une mauvaise idée. J’ignore les quelques personnes qui ont l’air de s’intéresser à notre combat et j’ai un bref sourire à l’attention du milicien, tendant mes poings vers lui pour qu’il frappe dedans. Une symbolique de début de combat, ou quelque chose du genre. « Très bien, c’est parti alors ! » Et je commence à l’observer avec plus d’attention, oubliant même mon animosité pour me concentrer sur le combat lui-même.

Spoiler:

J’ai un léger froncement de sourcils à sa remarque. Portland ? Vraiment ? Comme les Oblivions ? Pourquoi je pense à ça directement ? Probablement parce que la violence de tout ce que j’ai pu vivre à Seattle continue de me coller à la peau, quoi que je puisse en dire. Si je vais mieux, je continue de sursauter à la moindre occasion, j’ai gardé certains tocs et surtout, les cicatrices qui parsèment mon corps ne disparaitront jamais totalement. J’ai pu sentir le regard de certains sur moi quand j’ai passé la porte en débardeur. C’est aussi pour ça que je viens moins souvent m’entrainer ici.

Mais c’est nécessaire. Pour me faire bien voir. Pour nouer des contacts. Pour savoir qui discute avec qui. Ce genre de détails qui peut paraitre anodin mais qui peut être essentiel le moment venu. Et là, en l’occurrence, je sens beaucoup de regards braqués vers nous. Comme dit, notre mésentente n’est pas vraiment un secret ou, tout du moins, les gens savent que nous ne sommes pas amis. Je ne m’en suis jamais caché.

Et le combat commence. J’ai toujours été du genre fair-play, à ne pas aimer les coups bas. Même quand je me suis retrouvé à la Cage, à Seattle, à devoir combattre ces… énergumènes. J’ai essayé de respecter les règles. Bon, j’ai vite compris que j’étais le seul et je l’ai payé le prix fort. Mais au moins, une fois KO, je n’ai pas eu à voir plus que de nécessaire mon adversaire tout nu. Enfin, peu importe. Là, c’est un autre combat, un autre enjeu. Je ne sais pas si je dois gagner ou non. Je suppose que ce serait bon pour son orgueil que je perde, ça le rendrait peut-être même plus sympathique.

Sauf que visiblement, mon instinct en décide autrement. Et je lui assène une droite, alors qu’il a lui-même tenté de me frapper. J’esquive sans problème, avant de me dire que je dois y aller mollo. Que je ne dois pas montrer que je le hais toujours autant, que je n’ai pas oublié ce qu’il a fait à Felicity. Ce n’est pas le but du jeu. Alors, le deuxième coup que je lui porte est bien moins assuré, bien moins fort. Je ne suis même pas sûr de faire mouche à dire vrai.

Spoiler: