La journée s'annonçait ensoleillée mais les températures devenaient petit à petit plus fraîches, et indiquaient à Emma que cela faisait déjà une éternité qu'elle était ici. C'est ce qu'elle ressentait, en tout cas, et la petite avait du mal à faire le point.
Etre ici, n'était pas si terrible. L'eau et la nourriture étaient disponible à volonté ou presque, les Epouvantails n'avaient pas l'air d'être une menace immédiate même si le groupe s'était installé en dehors de l'abri des arbres et même si elle ne comprenait toujours pas vraiment les humains, ils lui laissaient une relative liberté.
Pourtant, Emma s'inquiétait de savoir quand elle pourrait repartir, dans quel état elle retrouverait son abri, si tant est qu'elle réussisse à le retrouver un jour. Elle avait l'impression que la distance entre ce campement et le sien était très grande, en tout cas, les rares fois où elle avait pu s'aventurer en forêt, elle n'avait pas reconnu ses points de repère habituels, même si elle s'était sentie plus à l'aise sous la canopée.

Valerian la tannait plus que jamais pour l'empêcher de dormir dehors sans que la petite comprenne ce qui le gênait. Elle avait déjà passé plusieurs hivers dans la forêt et s'en était sortie, et Emma trouvait ridicule de paniquer et de s'énerver pour quelques nuits à la belle étoile. Il avait dû comprendre, depuis le temps, qu'elle ne cherchait pas à fuir et restait à proximité de sa bicoque. La petite soupira en se rappelant que la capacité de compréhension de l'humain semblait limitée, elle devait se montrer patiente.

Pour le moment, Emma était occupée à essayer de se fabriquer un arc. Même si elle avait compris qu'ils ne manquaient pas vraiment de réserves, elle trouvait plus rassurant d'avoir de quoi chasser sous la main. Et après s'être constitué un stock de flèches suffisant pour le moment, la petite avait décidé de se fabriquer un arc pour remplacer celui qu'elle avait perdu. Qu'on lui avait volé. Une fois de plus, elle sentit la colère lui nouer la gorge en pensant à Vlad, et elle lâcha un grognement sourd. Si elle le recroisait, lui, elle se ferait un plaisir de planter ses crocs dans sa gorge.
Perdue dans ses pensées, Emma sursauta en entendant une voix juste au-dessus de sa tête et par réflexe, se tendit en bondissant sur ses pieds, lèvres retroussées pour dévoiler ses dents et grondement d'avertissement au fond de la gorge. Juste pour apercevoir un humain à l'attitude plutôt calme et visiblement non armé. Un gars du groupe, qu'elle avait aperçu de loin à une ou deux reprises, mais qui avait visiblement la même fâcheuse habitude de débiter des mots en discontinu ou presque.

La petite soupira profondément en se rasseyant par terre, agacée que personne ici ne sache aller à l'essentiel. Lui comme les autres utilisaient beaucoup trop de mots, et Emma s'épuisait à essayer de se souvenir et de comprendre ce qu'ils voulaient. Sans même faire l'effort d'essayer de traduire cette fois, elle se contenta d'aller au plus simple.
Emma...Chasseuse...fabriquer arc.
Puisqu'ils n'avaient jamais parlé ensemble, la logique demandait des présentations, non ? Emma avait précisé la fin de sa phrase en désignant l'objet qu'elle était en train de fabriquer, au cas où. Avec les humains, la petite ne savait jamais vraiment à quoi s'attendre. Il était probable qu'il ignore ce qu'elle faisait. Ils ignoraient beaucoup de choses importantes pour s'intéresser à des détails inutiles, et ça semblait être un trait de caractère général, par ici.
Pas là...parti pas content... précisa la petite en indiquant la maison derrière elle. Il avait demandé Valerian et si Emma ignorait où il était allé, elle se dit qu'ils commençaient à déteindre sur elle. Elle aussi, commençait à préciser des choses inutiles, comme le fait que Valerian était parti en bougonnant. Cet humain passait son temps à être en colère, ils devaient tous le savoir ici et c'était inutile qu'elle le précise. Emma haussa les épaules mais se tâta le front pour se rassurer. Pas de fièvre. Elle espérait tout de même ne pas être gagnée par la folie ambiante.
Voyant que le barbu restait planté devant elle, Emma fit des efforts de communication. Moi...t'apprendre ? Accompagnant sa proposition d'un geste vers l'arc, elle attendit de voir si ça l'intéressait. Et puis, s'il était tenté, ça ferait une bonne excuse pour aller chercher du bois en forêt.

Quelques mots à peine, encore une gamine qui se pensait cool à ne pas parler, à être dans son coin. Anton roula des yeux : « T’es pas bavarde. » Mouais, peut-être qu’il allait finalement la laisser dans son coin, surtout que suivre l’atelier fabrication d’arc ne l’nechantait pas particulièrement, déjà car les arcs il trouvait ça chiant et aussi car ça n’avait pas vraiment d’utilité : « C’est gentil gamine, mais je vais passer, les arcs ça sert pas à grand-chose. » Il n’allait pas se faire que des potes en disant ça, surtout pas si elle passait son temps à en fabriquer, mais il fallait être pragmatique.

Anton avait vu un paquet de documentaire et lu de nombreux articles, fabriquer un bon arc est presque aussi compliqué que de fabriquer une arme à feu, fabriquer une flèche digne de ce nom qui ira vite et droit, c’était une galère sans nom : « Surtout que là tu fais un arc avec un bout de bois et une ficelle, t’as quoi, dix mètres de portée ? Et tu vas tirer quoi comme flèche ?» Réutiliser une flèche ? Une utopie d’ailleurs, ce serait un miracle si la pointe ne se casse pas dans la cible, ou sur un obstacle.

Non, Anton était un fervent défenseur des armes à feu, sans aucun problème, même s’il n’aimait les armes autrichiennes. Il allait expliquer son idée : « Il faudrait que t’apprennes à utiliser ça. » Il désarma son pistolet et le posa sur la table. Avec un glock 17, Anton avait trente mètres de portée au bas mots, et il pouvait tirer les 15 cartouches du chargeur en 10 secondes à peine. Incomparablement plus performant qu’un arc fait par une gamine.

D’ailleurs, elle s’était pas mal étalée pour faire sa fabrication, ça déplaisait à Anton : « Et que t’apprennes à ranger quand tu fais un truc, on dirait une cellule de garde à vue. » Il constatait avec désolation le bordel présent dans la pièce… vraiment c’était Mowgli cette gamine, il allait falloir l’éduquer sinon la cohabitation allait mal se mettre.