Je poussai un soupir de contentement. Travailler aux champs aujourd'hui m'avait tuée, mais j'estimais que c'était de la « bonne » fatigue, exempt de lassitude mentale et de nuages sombres, l'eau froide de la douche avait fini de laver mon esprit. L'état de Tom s'étend amélioré, cela devait sans doute jouer aussi sur mon propre moral. Pensivement, je frottai mes cheveux avec une serviette. Il était d'ailleurs temps que je les coupe, ils devenaient beaucoup trop long et Andy se prenait souvent les mains dedans, spécialement quand celle ci étaient couverte de miel ou autre matière collante. Inconsciemment, je me mise a sourire. Je n'étais pas une fondue de bébé et sans doute parce que c'était mon neveu, mais Andy restait adorable. Si y en a un qui en était totalement gaga, c'était bien Tom par contre et, une fois encore, je me disais a quel point il serait un père formidable...

Mon regard s'arrêta un instant sur les barricades que je pouvais distinguer au loin. Ouais dans un autre monde, si on ne vivait pas sans cesse avec une épée de Damoclès au dessus de la tête...Aah, mais a quoi cela servait il de tout ressasser encore une fois ? Aucune idée, mais cette pensée me traversait un peu souvent a mon goût ces derniers temps. Bonne ou mauvaise chose, je n'en avais aucune idée. J'avais pris une décision en pensant le pour et le contre et étais convaincue de son bien fondé mais... Ah, les yeux de Tom quand ils se posaient sur Andy... « Tss » sifflais je en posant ma serviette sur un séchoir qui avait depuis longtemps perdu de son éclat. Le Camp était sécuritaire, solide mais les derniers événements m'avaient prouvé que rien n'était définitif, on était encore pas sûr de savoir ce qu'il se passerait demain. Je n'aimais pas cette incertitude mais je la supportais. Au moins, j'avais encore mon frère, ce qui n'était pas le cas de tout le monde, actuellement, je pouvais m'estimer heureuse non ?

Je me laissai tomber sur la vieille banquette élimée de ma caravane en jetant un coup d'oeil sur le toit, réparé depuis la dernière tempête, prions pour que cela ne devienne pas une habitude de Mère Nature, elle était assez peau de vache ces derniers temps. Le bruit de la porte d'entré tournant sur ses gonds me fit pivoter la tête vers elle et un sourire vint se dessiner sur mon visage. « Tu as encore fait le baby sitter ? » Tom ne perdait jamais une occasion de garder son filleul. C'était dérangeant et rassurant a la fois, j'avais du mal a faire mon choix.

C’est toujours un plaisir de pouvoir m’occuper de mon neveu. Même si  Nolan et Cassidy n’avaient pas prévu de le laisser, je me proposais de les soulager un peu et de leur laisser un peu de temps pour se retrouver tous les deux. Ils en avaient besoin. Et à chaque fois je fons devant son visage joufflu et ses grands yeux rieurs. Cet enfant est vraiment facile, pour le moment. Heureusement. Je n’imagine même pas l’état de nerfs de Cass si il avait pleuré sans cesse… Et forcément, à chaque fois, je sens ce regret qui me pince le cœur à l’idée que je ne connaîtrais pas ce bonheur là avec Farah. D’un commun accord. Et parce que c’est plus sage. Pragmatique. Je le sais. Mais cela ne m’empêche pas de le regretter à chaque fois… Ce gamin sera doublement gâté du coup, forcément, et c’est bien ainsi.

Je le laisse aux bons soins de ses parents et reprends le chemin de la maison. Il reste des stigmates de la tempête, un peu partout sur les habitations, dans le paysage. Cela nous a rappelé que nous n’étions rien face aux caprices de la nature. Et c’est terrifiant d’être aussi… Démunis. Mais c’est ainsi. Je rentre dans la caravane et y trouve Farah, bien calée dans la banquette, les cheveux encore humides. Je viens me pencher sur elle, pour venir embrasser ses lèvres. « Je plaide coupable. » Je lui décoche un sourire. On a connu des hauts et des bas dernièrement. Beaucoup de bas même, alors que je me suis réfugié dans ma douleur et ai tenté de la dissimuler aux autres… très mal, alors que Farah en a fait les frais. En avoir discuté a plutôt aidé. Accepter qu’on me tende la main aussi. Cela ne s’est pas fait en un jour, mais ça fait des mois que je suis revenu de Portland, il faut avancer… Il faut laisser ces images de mort et de vengeance derrière moi pour continuer. Me raccrocher à ceux qui sont bien en vie. Profiter d’eux alors que la vie est si fragile justement. Avec la naissance d’Andrew, la peur de le perdre s’est ajoutée à celle des autres. Il y a tant de raisons que cela se passe mal pour lui… Maladies orphelines par exemple. Nous sommes peu de choses maintenant, sans accès à de vrais soins. Et paradoxalement, j’ai envie de me battre d’autant plus pour qu’il grandisse, même si ce monde est pourri… « Il est vraiment facile… Je me demande quand ça va changer. Il va forcément être plus turbulent à un moment, avec ses gênes… » Je lui décoche un sourire en coin.

Je souris légèrement sous sa bouche qui touche la mienne. Je ne m'étais pas trompée, il était partit garder mini Nolan. Tom adorait le bébé, moi aussi d'ailleurs et, bien trop souvent, je voyais une lueur nostalgique dans les yeux de Tom lorsqu'il regardait le bébé. Je savais très bien que la décision de ne pas avoir d'enfants était pragmatique et logique. Qui voudrait faire un enfant dans ce monde là hein ? Surtout que rien ne disait que le camp perdurerait, il y avait déjà des rumeurs et, je l'avoue, cela m'inquiétait un peu. Mais j'avais beau me dire que l'absence d'enfant n'était pas une fin en soi, voir le regard de Tom quand il prenait Andy dans ses bras me touchait en plein cœur. J'avais l'impression de le priver de quelque chose qu'il désirait ardemment. Je sais, c'était une pensée débile, Tom avait convenu avec moi que ce n'était pas une bonne idée. Surtout que je n'avais pas forcément le physique pour supporter la fatigue d'une grossesse. Ca, le manque de soin et j'en passe. Il y avait tellement d'argument en faveur de ma décision, alors pourquoi ils semblaient tous vaciler sur leur base quand je regardais Tom avec Andy dans les bras ?

Le bébé avait fait du bien a mon compagnon, le sortant un peu plus des ténèbres dans lesquels il s'était enfoncé. Oh tout n'était pas encore parfait, mais je savais qu'il allait beaucoup mieux. Rien ne pourrait effacer ce qu'il avait vécu mais j'avais vraiment craint le perdre lorsqu'il était revenu brisé. Il nous avait fallu du temps et sans doute un peu de secouage de puce. Moi, j'avais du me battre contre le sentiment d'impuissance qui m'avait presque engloutie lorsque j'avais compris que je ne pouvais pas l'aider. L'accepter avait été difficile, mais je n'avais jamais été du genre a me cacher a moi même la vérité. Et la vérité était que je ne pouvais rien faire. Aussi terrifiant soit ce constat cela ne changeait pas sa réalité.

Je me frictionnai doucement les cheveux alors qu'il continuait puis je lui jetai un coup d'oeil malicieux. « Je ne vois absolument pas de quoi tu parle. Nous sommes adorables » Mais il n'était pas faux de dire que Nolan et moi n'avions pas spécialement été des enfants faciles. Chacun a notre façon d'ailleurs. Petit génie pour l'un, petite asociale pour l'autre. Finalement, je posai un coude sur la table et vint loger mon menton dans le creux de ma main. «  Quand je te regarde avec Andy...Je regrette vraiment d'avoir décider de ne pas avoir d'enfants. » soufflais je avec une petite moue. Effectivement, j'en arrivais a reconsidérer les bien fondés de cette décision, parce que je le savais déjà, mais Tom ferait un père merveilleux...Seulement... « Peut être que nous pourrons l'envisager lorsque nous serons sûrs d'être en sécurité pour longtemps non ? » Pas en ce moment donc, quelque chose se préparait dans l'ombre et, de ce que j'avais entendu, il nous faudrait peut être plier bagage sous peine d'être totalement détruit. Et ça, ça me faisait peur. Réellement.

« Adorables… Oui. Cela n’empêche pas d’être parfois insupportable. Têtu. Hyperactif. Tête à claque. Insolent. Capricieux… » Au fur et à mesure, je compte sur mes doigts. Je marque une pause, amusé : « Je m’arrête ou je continue d’énumérer ? » Bon j’exagère, Nolan n’était pas si terrible enfant, Farah non plus, bien que je ne la fréquentais alors pas assez pour vraiment le savoir. Avec nos quelques années d’écart, elle était juste la petite sœur de Nolan, que je saluais quand je venais voir mon meilleur ami, avec laquelle j’échangeais quelques mots parfois, ou que j’allais chercher quand Nolan l’oubliait. Je me souviens surtout de sa période gothique. « Tu crois qu’il fera son émo à l’adolescence ou c’était un truc typique de notre société ? » Je dis cela avec humour, même si je me dis que finalement, la question est hyper sérieuse. Le mal être des jeunes, c’était un phénomène de société, à cause de codes bien définis et imposés. Maintenant, plus de collège ou de lycée, plus de harcèlement… Donc voilà. « Souvent, je me demande si il va hériter de l’intelligence de Nolan, ou du tempérament de Cass. Peut-être un peu des deux ? Ce serait cool pour lui. » Cela serait son meilleur passeport pour survivre à ce qui l’attend…

Une lueur de surprise s’allume dans mes iris alors qu’elle me souffle finalement qu’elle regrette d’avoir décidé de ne pas avoir d’enfants. Ah non… Là, il ne faut vraiment pas me dire ça maintenant. Je ne tiens que parce qu’elle a une volonté plus forte que la mienne. Si elle flanche… Son non catégorique vacille, pour un peut-être plus tard. Et je ne devrais pas m’en réjouir autant… Pourtant, un sourire fleurit sur mes lèvres alors que l’espoir éclaire mes yeux tandis que je viens m’installer près d’elle pour l’enlacer et poser mon front dans son cou. « Peut-être… » Je soupire contre sa peau, avant d’y poser mes lèvres et de me redresser pour reprendre : « Si tu commence à douter ne compte pas trop sur moi pour être la voix de ma raison, tu sais… Je ne tiens cette décision que parce que tu la tiens. Si tu commences à la remettre en question… Je sais que ce n’est pas raisonnable. Je sais que cela pourrait nous ravager si ça se passe mal… Et pourtant, quand je vois Andrew, j’ai tendance à me dire que parfois… il faut prendre des risques. » Je soupire. « C’est égoïste quelque part… Aller offrir ce genre de vie à une vie innocente… Quand c’est un accident, c’est différent. Mais vraiment le vouloir, après y avoir réfléchi… » C’est de la folie, et nous étions tombés tous les deux d’accord pourtant…