30 août 2022 ••

La journée avait été riche en tâches physiques, elle avait terminé sur une bonne séance de combat avec Duncan. Elle était en nage et aurait bien besoin d’une douche. Pourtant, elle se dirigeait vers les écuries, serviettes éponges sur la nuque. Demain, c’était le grand départ, et elle avait promis de préparer les affaires de Fury et Django avant de rentrer. Non sans grimacer, Selene décolla les cheveux collés à la peau moite de ses épaules et pénétra les lieux à l’odeur si particulière. Le souffle d’Anoki l’accueillit dès son arrivée et elle adressa un sourire à l’équidé. Elle s’approchait pour aller lui caresser les naseaux et se figea en réalisant qu’elle n’était pas seule.

- Salut.

C’était le gars que le Conseil avait accepté… elle ne savait plus quand. La musicienne avait cessé de suivre les décisions officielles depuis le début du printemps, quand elle avait acté son choix de partir de Nisqually. La météo avait contrarié ses projets mais dans sa tête, elle ne faisait déjà plus partie de ce groupe. Elle s’en désolidarisait, en tout point de vue. Alors le ballet des recrues ne lui faisait plus ni chaud ni froid, tant qu’ils n’approchaient pas sa fille.

- T’occupe pas de moi, je viens préparer Fury et Django pour demain.

Sans lui adresser plus d’attention, Selene se dirigea vers le fond de la bâtisse, où tout le matériel était rangé. Elle ne s’intéressa pas à sa selle ni à celle de Juliet, qu’elles harnacheront juste avant de partir. Par contre, elle pu commencer à remplir des sacs de foin et de granulés, pour quelques jours de trajet. Si tout allait bien, elles pourront faire une halte chez Matias et refaire le plein là-bas. Ses réserves faites, la pianiste commença à faire le point sur l’équipement à proprement parler, et ce fut le premier couac. Il manquait des éléments, alors qu’à priori, tous les animaux étaient rentrés.

- Pourquoi on est en rade de licols ? Demanda-t-elle finalement à l’homme qui travaillait de son côté, j’en ai besoin de quatre et si j’en prends plus de deux, ça va manquer ici, ce qu’elle voudrait éviter.

S’occuper des chevaux avait un côté relaxant, des animaux qui n’aspiraient le plus souvent qu’à la paix et rien d’autre. Il devait être attentif à leur confort, leur santé et leur contentement pour être en mesure d’en tirer le meilleur parti. Il devait être aussi capable de ne pas se laisser abuser par leur air doux, toujours se souvenir que ces animaux pouvaient très bien être dangereux, ne serait-ce que par leur masse et leurs sabots.

Plongé ainsi dans ses pensées, Cooper n’entendit pas tout de suite la nouvelle venue arriver, ce n’est que sa voix raleuse qui le fit lever la tête de ses occupations et il répondit non sans un soupçon à peine voilé d’une ironie tapageuse : « J’imagine que c’est à cause de tous ceux qui sont sortis, que l’on casse, que l’on perd ou qui servent à des choses répréhensible moralement. » En réalité, il y en avait simplement pas assez, il ne fallait pas vraiment chercher plus loin. A part pour les séances de jeux, il était très sérieux sur les raisons qui justifiaient de manquer autant de ce précieux matériels : « Si on prend quelques cordes, on peut en faire de fortunes. » ça n’aurait pas été la première fois que Cooper aurait improvisé avec ça.

Mais il se demandait si la brune se contenterait de cet expédient ou si elle allait insister pour avoir un vrai beau licol en cuir : « ça te suffirait pour ta mission ou tu as absolument besoin de licols en cuir ? » Il était prêt à tout pour l’arranger, mais il ne fallait pas non plus pousser la corde, si elle pouvait s’en passer, alors elle s’en passerait, il n’y avait pas de doute à se faire sur le sujet :

« C’est quoi ton nom déjà ? » Il avait un doute, sa mémoire lui disait qu’elle portait un nom qui avait quelque chose à voir avec la Lune. Séléna ou quelque chose comme ça, Sélérat ? Franchement, Cooper avait un gros doute et préférait ne pas donner une idée qui pourrait être faux.

Selene ne rit pas à la plaisanterie de son aîné. Elle ne le connaissait pas, elle n’avait pas envie d’être amie avec lui. Heureusement, il avait répondu à sa question, mais ça ne faisait que l’agacer d’autant plus. Le matériel se détériorait et personne ne s’occupait de le renouveler donc ?! Remarque, c’était Isaac qui s’occupait de ça avant et personne ne l’avait vraiment remplacé depuis. Alors les écuries étaient entretenues, Nisqually ne manquait pas de palefrenier désormais, mais la supervision générale laissait à désirer.

- Je prends ce que je peux avoir, tant que ça fait le job, rétorqua-t-elle en haussant les épaules.

Ça ne serait pas la première fois non plus, les longs périples à cheval demandaient parfois de faire preuve d’adaptation. Un soupir lui échappa, ses prunelles bleu glacier décortiquèrent l’inconnu. Elle n’avait pas envie de faire connaissance non plus. Mais considérant qu’elle avait besoin de son matériel, et qu’elle ne voulait pas inutilement perdre de temps, la musicienne se plia aux convenances.

- Selene. Et toi ?

Ce serait plus simple pour l’appeler que « Hey », même s’il était probable qu’elle ait oublié d’ici à ce qu’elle quitte les écuries. Nouveau soupir, et elle constata avec dépit qu’elle était bloquée dans l’avancée de ses préparatifs. Elle pourrait en profiter pour aller prendre sa douche, mais n’était pas désagréable au point de laisser Cooper se débrouiller tout seul. Ce n’était pas non plus sa faute si le matériel détérioré n’était pas remplacé…

- Tu fais ça comment ?

Isaac lui avait déjà montré une fois, il y avait un moment, mais elle avait oublié et les techniques n’étaient peut-être pas les même. Fronçant les sourcils, Selene continuait de détailler la nouvelle recrue comme si elle le passait au détecteur de mensonges :

- D’ailleurs, c’était ton métier avant ou tu fais ça depuis… après ?

Les dernières années n’avaient épargnée personne, alors difficile de lui donner un âge. Mais il semblait assez à l’air dans cet environnement – ou pas mal à l’aise en tout cas. Et la pianiste ne pouvait s’empêcher d’essayer de lui dresser son profil.

Les mots étaient rare de la part de cette femme, et le ton n’était pas des plus avenant, elle n’avait pas envie de parler. Pas très sympa sachant que c’est elle qui venait le voir et qui avait besoin de son aide, on repasserait sur sa conduite, mais Cooper devait aussi accepter que des gens ne l’aimeraient simplement pas car ils sont comme ça. C’est avec un large sourire qu’il répondit aux questions de la jeune femme : « Faire le job ça peut aussi dire que ça risque d’être moins confortable pour toi ou pour ton cheval. » Et la corde est moins solide que le cuir, donc elle doit aussi penser à ça.

Mais puisque qu’elle semblait déterminer à prendre ce qu’il y aurait, Cooper alla chercher un cheval, une corde et commença à lui montrer comment faire. C’était assez simple en réalité, les gestes venaient mécaniquement pour lui, mais il les ralentis pour les décomposer et les faire comprendre à Selene : « Normalement les chevaux ont l’habitude de ces manipulations, il va garder la tête bien droite pour te laisser faire, il faut juste lui montrer que tu as confiance en toi. » Il pourrait presque le faire les yeux fermés tant il avait l’habitude de cela, ce qui lui l’amena à enfin répondre à la question de Selene : « J’ai grandi dans un Ranch, autant dire que les chevaux je les connais bien. »

Très bien même, et il s’abstint prudemment de mentionné qu’il avait travaillé à Walla Walla et les new eden, vu comment son interlocutrice semblait malcommode, pour rester courtois, il sentait que si cette information fuitait, il allait finir avec une fourche dans le ventre : « Essaie pour voir, que je vérifie que tu t’y prends convenablement. » Et en se reculant pour lui laisser la place, il pouvait voir ses mouvements et il avait enfin la latitude pour lui poser une grande question : « Et toi, tu faisais quoi avant tout ça ? » Car si elle avait l’indélicatesse de poser la question, il pouvait faire de même et lui demander ce qu’elle avait perdu.

Selene observait les gestes de l’homme, qui faisait une démonstration sur l’un des cheval. Il était doux et précis. Elle n’avait pas de mal à croire qu’il avait grandi dans un ranch, son comportement le trahissait. Et l’animal n’exprimait pas la moindre crainte, il se laissait docilement faire pour servir de cobaye. Lorsque Cooper lui proposa d’essayer à son tour, la musicienne se montra un peu moins renfrognée et s’avança pour pratiquer. Bien évidemment, les questions se tournèrent vers elle ; elle accepta de jouer le jeu après un temps d’hésitation.

- J’étais étudiante en musique. Je voulais devenir pianiste concertiste, elle jeta un regard en biais à son interlocuteur, rien à voir avec ce que je fais maintenant…

Elle n’était plus rien de ce qu’elle était avant. Son corps, son esprit, son âme, étaient définitivement marqués par tout ce qu’elle avait fait – et tout ce qu’on lui avait fait. Ses prunelles bleues rencontrèrent un instant l’œil immense de l’équidé, ce qui lui arracha un sourire mélancolique. Machinalement, elle suspendit son travail pour se mettre à le caresser.

- Je ne crois pas que tu aies connu Isaac…, Cooper était arrivé après le départ du père Greene, c’est lui qui m’a tout appris sur eux, avec son fils, elle désigna le cheval du menton, ça fait cinq ans maintenant… ils m’ont formé pendant longtemps. Et… j’aurais jamais pensé qu’elle deviendrait ma meilleure amie.

Cette fois, elle se retourna et fit un geste de la tête en direction de Fury, qui les observait discrètement. Selene termina alors ses devoirs, montrant à son aîné le licol artisanal qu’elle venait de produire.

- Alors ? C’est pas trop mal, hein ? Plaisanta-t-elle du bout des lèvres.

Son sourire mourut rapidement néanmoins. Elle n’arrivait plus à se montrer familière avec les inconnus, parce qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander quand allait-il la trahir ? Être entourée de traitres potentiels lui faisait perdre la tête.

- C’est quoi ton histoire ? C’était d’un banal affligeant, mais en même temps, les gens se définissaient aujourd’hui par les horreurs qu’ils avaient connu, comment tu as fini par arriver chez moi ?