Inspirer. Expirer.

J’écoute d’une oreille distraite le babillage de Keneka et des jumeaux, en plein débat sur le prénom du futur bébé. Ma cadette s’est habituée à l’idée que non, on ne l’échangera pas contre un poney. Les jumeaux espèrent toujours un nouveau duo, même si l’échographie du 3ème mois nous a confirmé qu’il n’y avait qu’un bébé.

Notre bébé.

Autant le dire tout de suite, cette nouvelle continue de me rendre heureux et de me faire paniquer tout à la fois. J’ai peur de ce qui pourrait arriver à Anjali, au bébé, durant les prochains mois. J’ai peur de la vie qu’il sera amené à mener ici si nous faisons rien pour que ça change avant qu’il ne soit définitivement trop tard. Je ne veux pas d’une vie où, si c’est une fille, notre enfant sera obligé de se marier à 18 ans avec le premier venu. Comme je ne veux pas de ça pour les autres. Quoi qu’il arrive. Et en même temps, je suis heureux de voir arriver ce symbole de l’amour que j’ai pour Anjali. Beaucoup trop d’informations contradictoires qui s’entremêlent à cette colère sourde qui ne me quitte guère depuis quelques jours.

Mais je fais bonne figure, pour les petits surtouts. Anja est au courant du reste et, comme à son habitude, elle est un soutien sans faille. Ce qui ne me fait que l’aimer un peu plus chaque jour.

Finalement, on frappe à la porte. « C’est tonton Minouuuuu ! » Soufflé avec enthousiaste, alors que Keneka court à la porte. « Tommy, tu peux aller chercher ton petit frère ? Il doit vérifier l’état de ses doigts. » Entre autres choses. Min-Oh ne peut pas nous éviter tous ad vitam æternam, même s’il s’y évertue avec un certain talent. Je vois Dimitri descendre, deux de ses doigts bloqués par une attèle. « Bonjour Min-Oh. » Soufflé avec une ombre de sourire alors que Dimitri est déjà sagement installé sur le canapé, prêt à se faire ausculter. Quand je pense qu’il est tombé avec la console de son frère et que, à choisir entre sauver la console ou sa main, il a préféré la première option, se retrouvant avec deux doigts cassés pour fêter ça. Le pire ? C’est qu’il a fièrement lancé un je fais comme papa ! quand il s’est retrouvé avec l’attèle.

« On a fait la radio hier, si tu veux la voir. » Je suppose que oui et, sans vraiment attendre, je lui tends, alors que Dimitri commence à expliquer le plus sérieusement du monde à quel point c’est difficile de s’habiller avec deux doigts cassés. Et les minutes s’égrènent, alors qu’il ausculte mon fils. Je me demande vaguement s’il va tenter de fuir directement après ça ou non. Et, si c’est le cas, à quel point je vais devoir faire du forcing pour le faire rester ce qui, forcément, ne m’aide pas à être de bonne humeur non plus.

J’écoute d’une oreille distraite les échanges entre Min-Oh et Dimitri. Non pas que ça ne m’intéresse pas, mais le babillage du plus jeune a tendance à me faire décrocher. J’ai presque un sursaut quand l’urgentiste s’adresse de nouveau à moi. « Parfait. On continue sur notre lancée alors. » Tant mieux, il s’est habitué à tout ça, ça nous évitera de chercher des nouveaux rituels pour le faire accepter sa situation.

Et si Dimitri ne se fait pas prier pour rejoindre Tommy, c’est une autre histoire pour Keneka. Il faut la présence de son aîné pour la décider. J’ai un sourire reconnaissant en direction de mon fils avant de filer vers la cuisine, un peu étonné que ce soit mon meilleur ami qui décide de lancer les hostilités. Et, sans vraiment entamer la discussion, je remplis deux tasses de café. « Il n’a plus le même goût depuis les nombreuses coupures de courant, mais ça fait le job. » Et, vu sa tête, il en a clairement besoin. Mais je me doute bien qu’il n’est pas là pour discuter café ou quoi que ce soit s’en approchant.

Quand il finit par poser sa question, j’ai un profond soupir. Et je fais mine de regarder derrière moi avant de souffler, non sans une ironie que je ne cherche même pas à cacher. « Tu nous évites depuis des semaines et tu es réellement en train de demander ce qui se passe ? » Je sais, la question est purement rhétorique. Mais je le trouve quand même culotté d’attaquer la discussion comme ça. Est-ce que je lui en veux de nous fuir ? Evidemment que oui. Surtout maintenant. Surtout après tout ce qu’on a pu vivre ces derniers mois. Et je me dis que ça doit se voir dans ma posture ou dans mon regard. Je dois sûrement ressembler à un gamin boudeur qui se retient de réclamer la présence de son meilleur ami au moment parce qu’il en a cruellement besoin. Je ne sais plus faire sans lui maintenant, pourtant, il a décidé unilatéralement du contraire. « Il y a un paquet de choses qui se passent Min-Oh. Mais j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je n’arrive pas à comprendre pourquoi tu nous évites comme ça. » Et je serre ma tasse entre mes doigts. « Si tu me réponds que c’est à cause de la grossesse de Neela, je te balance par la fenêtre. Je te préviens. » Il sait que j’en suis totalement capable. Encore plus ces derniers jours alors que je suis passablement sur les nerfs.