J’ai un sursaut, alors que j’me réveille brusquement. Encore un cauchemar. Toujours le même. Pourtant, ça faisait longtemps que c’était pas arrivé. Des mois j’dirais. Et franchement, j’me serais bien passé d’voir ma môme en rôdeur. Je m’assois dans le lit, le cœur qui bat comme si j’allais faire une putain de crise cardiaque ou une merde du genre. Et j’me rends bien compte que j’arriverais jamais à m’rendormir. Ruby marmonne quelque chose dans son sommeil à côté d’moi et, plutôt que d’la réveiller, j’préfère sortir d’là, surtout vu l’heure. Putain il est même pas 4 heures quoi. Pour une fois qu’aucun de nous était de garde, j’aurais pu faire une vraie nuit.

Chier.

J’récupère mes fringues en vrac et j’m’habille, avant d’aller me poser un peu dans c’qui nous sert maintenant d’cuisine. Faire chauffer d’l’eau prend pas non plus une plombe, mais c’est assez pour que j’me perde dans mes pensées et qu’je recommence à m’rappeler de mon cauchemar. « Quelle merde putain… » J’secoue la tête et j’récupère deux tasses pleine de ce café périmé que j’sais plus qui a eu le malheur de ramener. C’est chaud et presque pas dégueulasse. On va dire que c’est déjà pas mal.

Finalement, j’me dirige sans trop réfléchir sur le toit. J’sais que c’est Roman qui est de garde pour la dernière partie d’la nuit, alors aller lui tenir compagnie. Et autant que j’sois un peu utile plutôt que de tourner en rond comme un con en attendant qu’mon cerveau veuille bien s’mettre en mode pause. A peine le temps de choper une veste et j’me retrouve dehors, à m’les geler. J’me demande si c’était une si bonne idée que ça mais maintenant, foutu pour foutu. D’autant que la bouffée d’air froid a bien fini d’me réveiller putain. Et j’tends une des deux tasses à Roman. « Tiens, j’me suis dit que tu dirais pas non à un truc chaud. » J’m’installe sur l’autre transat et j’reprends, après quelques instants de silence. « Ca a l’air sacrément calme. Encore plus que d’habitude. » Après, j’me dis vaguement que, quitte à être debout, autant lui épargner ça s’il a envie d’aller s’pieuter. « J’suis bien réveillé si t’en as marre. J’peux prendre le relai. Ou t’tenir compagnie si t’as envie d’être pro jusqu’au bout de la nuit. » A sa place, j’crois que j’me ferais quand même pas trop prier si un con venait me proposer de bosser à sa place. Mais le connaissant, il voudra pas lâcher son quart, question de principes. Faut bien que quelqu’un en ait dans ce groupe quand même. Juste un peu quoi.

J’rends un vague sourire à Roman alors que j’m’installe à côté de lui, fixant ma propre tasse pendant une seconde. « Ouais. On sera quand même suffisamment bien installés pour par être emmerdés. Et pour pas crever de froid. » Ca nous changera de notre premier hiver au garage de Salem. A cette pensée, j’ai un froncement de sourcils avant de hocher la tête. « J’me suis fait la même réflexion. Tu regrettes pas ? Qu’on participe pas à l’attaque ? » J’ai cru comprendre qu’il y aurait quand même ses proches dans l’histoire. Et ptet qu’il a envie d’aller casser du New Eden. Mais on a pris notre parti et, pour le coup, il m’est même pas venu à l’idée de débattre avec Ruby pour savoir si on y allait ou pas. « On s’en sortira dans tous les cas. Rapport à la bouffe. » On a des réserves et on a aussi Sanctuary Point. Faudra juste qu’on se serre un peu la ceinture, mais c’est devenu une habitude chez nous. Mais on est loin de la période où j’étais parti me battre à la Cage pour ramener un peu de bouffe.

Evidemment, il préfère continuer de monter la garde. Mais j’me fais pas prier pour m’poser un peu mieux, serrant la tasse entre mes mains et laissant filer un silence de quelques secondes. Et j’ai un rire silencieux à sa question. « Parce qu’elle est déjà assez casse-couilles en temps normal quand j’dors pas et que j’gigote dans le lit. Mais d’puis qu’elle est revenue, elle tire la gueule. » Pourquoi ? J’en ai foutrement aucune idée. Et soit ça lui passera, soit elle viendra m’dire ce qui cloche. J’ai arrêté d’jouer à la carpette en espérant m’comporter d’façon à ce que ça lui plaise et franchement, c’était probablement la meilleure chose que j’pouvais faire. Surtout que j’étais à côté de la plaque la moitié… bon tout le temps en fait. Autant dire que dans le genre foireux, ça s’posait là. « Tsais, j’ai du mal à la suivre les trois-quarts du temps. Ca cogite beaucoup trop dans son cerveau de p’tit génie. » J’ai l’impression d’entendre les idées qui bouillonnent dans sa tête dès qu’elle commence à griffonner des trucs sur ses carnets, c’est toujours impressionnant. Le pire ? C’est que c’est ce qui me plait et me rend dingue chez elle. Comme quoi, j’suis plus à une incohérence près.

J’laisse de nouveau le silence s’installer alors que j’réfléchis à tout ce qui nous attend les prochaines semaines. Les retrouvailles avec les Exilés, la virée à Vancouver. Là aussi, ça risque de changer pas mal de trucs. Et j’suis content de voir que j’avais raison, qu’ils sont tous prêts à nous suivre, où qu’on aille. Même si c’est pas forcément pour un truc utile à la faction. A croire qu’on a vraiment fini par trouver un équilibre. J’finis par reporter mon attention sur Roman. « On dirait que t’as trouvé ta place parmi nous. » C’est pas vraiment une question. Il aurait pu négocier pour repartir, surtout avec tout ce qu’il a pu faire ces derniers temps. Mais on dirait que la question l’a même pas effleuré.

J’laisse filer un silence, avant de hocher brièvement la tête aux propos de Roman. Et j’lui lance un regard curieux quand il dit que les gens à qui il tient l’plus sont ici. « Ah ouais ? » Je sais qu’il a trouvé sa place super vite et j’ai l’impression qu’il est là depuis toujours, mais j’pensais pas qu’il s’était autant attaché à nous. « J’aime autant qu’on se tienne aussi loin que possible de New Eden. Si nous informer sur eux pour nous rapporter gros, j’ai pas envie qu’on risque plus. » C’est pas notre combat, quand bien même on a choisi un camp juste en étant pas de leur côté. Pour autant, j’ai pas envie de voir un de nous crever à cause de ça. « J’m’inquiète un peu pour Luna qui a choisi de les suivre, mais on est pas là pour empêcher les gens d’suivre ce qu’ils pensent juste. » J’lui rends un sourire assuré au reste. « On a assez crevé la dalle pour savoir anticiper maintenant. » Hors de question de repasser un hiver comme celui d’il y a deux ans.

J’ai un rire silencieux quand il renchérit sur Ruby. « Elle manque jamais d’idées. On a de la chance de l’avoir. » En cheffe donc. Pour le reste, c’est encore une autre histoire. Et j’finis par hausser une épaule à sa remarque. « Elle est casse-couilles ouais. Mais j’me vois plus continuer sans elle. » Ca peut paraitre complètement con, surtout qu’on s’prend la tête régulièrement, que j’ai du mal à la suivre et que j’me demande encore parfois ce qu’elle fout avec moi. Pour autant, c’est acté depuis des mois, des années même, que je l’ai dans la peau cette emmerdeuse. Et elle le sait. J’sais pas pourquoi, pendant un instant, j’repense à ce que Yulia m’avait balancé, qu’dans un couple, t’en as toujours un qui aime plus que l’autre. Pas que j’remette en question ce que Ruby peut ressentir pour moi, mais j’ai encore du mal à piger comment elle fonctionne par rapport à tout ça. Par rapport à nous. « C’est juste… compliqué. D’construire quelque chose. Encore plus maintenant qu’avant. » Surtout avec mon passif. « Sans compter ses pieds gelés putain. » Soufflé d’un ton plus léger, alors que j’essaie de ranger ça dans un coin de ma tête.

J’finis par relever la tête et par le fixer quelques instants sans rien dire. Et j’ai un sourire amusé quand il reprend. « Si t’as besoin d’une nouvelle dette pour trouver une raison d’rester, j’suis sûr que Ruby pourra te trouver un truc. » Mais en vrai, j’suis content de l’entendre dire ça. Qu’il a trouvé des gens qu’il veut pas quitter. Qu’il a sa place parmi nous. J’sais bien qu’on a un fonctionnement un peu différent des autres groupes, qu’on est surtout un paquet d’individualistes regroupés au même endroit. Pour autant, j’ai l’impression qu’on a vraiment un truc solide, qui tient la route. Et que les gens qui nous entourent sont loyaux. Roman encore plus que les autres pour le coup. « Sinon, tu peux juste… rester. T’es chez toi autant que les autres maintenant. » Au cas où il aurait encore des doutes à ce sujet.

J’ai un bref hochement de tête appréciateur à sa réponse. « C’est bon à savoir ça. » Qu’il se sente à sa place avec nous. Vrai qu’on est un groupe un peu particulier, composé en grande partie d’individualistes qui penseront d’abord à sauver leur cul avant celui des autres. Et pourtant, certains m’ont surpris. Et dans le bon sens. Et j’me dis qu’on a réussi à trouver une espèce d’équilibre, malgré les emmerdes qu’on a eues avec les Sinners. J’ai un vague froncement de sourcils au reste, laissant filer un silence. « J’espère juste qu’ils savent c’qu’ils font. » A s’attaquer à ce géant comme s’ils étaient persuadés d’le mettre à terre. Mais au final, faut bien que quelqu’un s’y colle. Sinon, on finira par tous se faire bouffer. « Et Luna est une coriace. J’suis sûr qu’elle s’en sortira. » J’dis ptet ça plus pour me convaincre qu’autre chose. Vu que j’commence à m’y attacher à cette gamine.

Et j’lui lance un regard curieux. « Flora ? » J’ai pas souvenir qu’il ait déjà vraiment parlé d’elle. « On essaie déjà d’faire survivre le groupe, c’est suffisant. » Même si Ruby aurait été du genre à vouloir des gosses, je sais trop la douleur que c’est d’en perdre un ou de l’imaginer grandir dans c’monde de merde. Et ça aurait été sans moi, clairement. J’finis par laisser filer un ricanement quand on parle de possibles dettes pour le faire rester parmi. « Un de ses multiples talents ouais. Te donner l’impression qu’elle a besoin de toi alors qu’elle s’démerde très bien toute seule. » Avec sa tête de chaton là. J’ai un soupir, plus dépité par le fait qu’je continue de me faire avoir, même après trois ans à la côtoyer au quotidien.

Au final, au reste de ses propos, j’lève un sourcil. «J’vois l’idée ouais. Avoir l’impression de faire quelque chose de constructif et d’avancer. C’est ce qui nous permet d’tenir un jour de plus. » J’sais, j’suis pas du genre super optimiste, mais j’préfère être réaliste rapport à notre situation. On a déjà bien vu que tout pouvait se casser la gueule en un clin d’œil. « Déprimé ? Sans moi ? Mais qu’est-ce que tu racontes comme connerie ? » J’secoue la tête avant de rester un peu à sa question. « Euh… » J’ai pas vraiment l’habitude de réfléchir à ça en fait, j’me contente d’avancer, de faire ce qu’il y a à faire. Et c’est déjà pas mal. « J’en sais foutrement rien. » J’ai un rire. « J’veux dire… il s’est passé beaucoup de trucs et, quand j’essaie d’y passer, j’me sens totalement largué dès que j’essaie de mettre des mots dessus. » J’ai jamais été doué pour ça. Pour trouver les mots. Mais j’suis entouré des rares personnes à qui j’tiens, ça, c’est plutôt pas mal non ?