Elle avait tenu, pourtant. Mais ce soir là, entre les pleurs de Gawain et les mauvaises nouvelles qui s'accumulaient, elle n'avait pas pu s'en empêcher. Avisant son bureau sans réellement le voir, avant de venir tout faire valdinguer avec force à même le sol, sans s'inquiéter du fracas que ça pourrait faire. A cette heure ci de toute manière, le batiment était vide de toute vie. Ne la laissant seule qu'avec ses fantômes et ses douleurs, qui une nouvelle fois, se refusaient à sortir.

A nouveau.

Si les sanglots ne venaient pas, il n'empêchait. C'était finalement la porcelaine des quelques bibelots récupérés qui venaient s'écraser au sol, se réduisant en milles éclats presque brillants sous la lune qui filtrait à travers les fenêtres, venant de leurs bruits d'explosions combler le vide immense dans sa poitrine, depuis que Sebastien était venu annoncer les funestes nouvelles. Et malgré le carnage ambiant, il n'empêchait. Ca ne l'aidait pas pour autant à se sentir mieux. Seulement à nouveau, désespérément vide.

Venant poser ses mains à plat sur le bureau avec l'envie de le faire chuter au sol à son tour, ne se retenant qu'à la dernière minute en entendant la porte dans son dos s'ouvrir, la figeant net. Venant essuyer rageusement les larmes qui étaient venues mourir sur ses joues, sans oser se tourner vers la nouvelle venue.

Un papier mal rangé. Ca m'a contrarié. parvient-elle finalement à articuler dans l'espoir que la pire excuse du monde ne passe, fermant un instant les yeux en inspirant profondément.

« Faith… » soupira doucement la grecque dans son dos, avant de pincer ses lèvres dans une expression douloureusement navrée. La main contre son ventre rebondi, la brune s’avança sans tarder vers son amie, écartant instinctivement ses bras fuselés pour l’envelopper avec autant de douceur que de force. Le visage réfugié entre ses mèches d’ébène, elle la serra contre elle, prolongeant cette communion silencieuse un moment, les paupières fermées dans la pénombre ambiante de son bureau. « Il va bien. Je suis sûre qu’il va bien. » murmura-t-elle comme une promesse à la sexologue.

Il ne pouvait en être autrement. Alex et Aaron étaient là, quelque part, Elena en était intimement convaincue. Elle connaissait assez les ressources inépuisables de la régisseuse pour se sentir incapable d’en douter. Il n’y avait aucun problème insoluble pour elle, aucun mur infranchissable. Tous les deux avaient juste besoin d’une occasion à saisir pour rentrer auprès des leurs, c’était certain. Elle s’éloigna finalement légèrement, pour scruter le visage fatigué de sa sœur de cœur. « Tu as mangé un peu ? Tu as bu combien de cafés ? » s’inquiéta-t-elle sans se préoccuper du désordre autour d’elles. Faith pouvait bien démonter la bâtisse si cela pouvait lui apporter une once de réconfort.

Elena.

La voix de la Grecque lui parvient presque en écho, avant de sentir le contact de sa peau contre la sienne. Sentant la boule d'angoisse dans sa gorge manquer de la briser alors qu'un sanglot sourd lui échappe, fermant les yeux en se retenant de ne pas envoyer tout le reste valser. Préférant plutôt se raccrocher à cette étreinte si douce dans le chaos de son existence depuis un mois, inspirant profondément pour calmer cette crise de panique qui serait presque quotidienne, en ce moment. Il va bien. Alors, pourquoi peinait-elle encore à croire à cette promesse ?

Ca fait un mois, Elena... parvient-elle à articuler malgré les larmes qui lui brûlent la vue, déglutissant péniblement. Se tournant vers sa soeur de coeur en baissant le regard pour qu'elle n'y devine pas toute la souffrance qui s'y trouve, mélange de peur viscérale et de colère mêlée, restant silencieuse à ses deux nouvelles questions.

Non. Je vomis aussitôt ce que je mange. Quand au café ? Cinq, six... Je ne sais plus. Trop, sans doute, pour un estomac vide. Trop, pour une hygiène de vie impeccable. Mais pas assez, pour l'empêcher de dormir et rêver d'Aaron revenu sain et sauf, avant que la réalité en lui revienne en plein visage avec la force d'une gifle. Fixant la bague que lui as offert Aaron en s'efforçant de respirer, bloquant ce hoquetement similaire des longs sanglots avant de revenir à Elena.

J'y arrive pas. J'arrive pas à ... Vivre. Respirer, se nourrir, penser, sans être accablée de doutes et d'angoisses qui finiraient à la rendre folle, à ce rythme. J'aurai dû refuser d'écouter Seb, aller la-bas. Trouver une solution, n'importe quoi...

« Eli et moi avons mis plusieurs mois avant de regagner nos foyers quand nous avions disparu. » sourit-elle tendrement en venant prendre le visage de la sexologue entre ses paumes, écartant avec une douceur rare les mèches d’ébène qui se collaient contre ses joues humides. « Je ne connais personne de plus entêté qu’Alex. » La régisseuse avait survécu à pire que ça. Certes, elle était aussi maladroite qu’obstinée, mais avec la présence d’Aaron à ses côtés ? Ils étaient complémentaires, assez pour alimenter l’espoir chez la grecque, même si la disparition de son amie la consumait douloureusement depuis l’annonce amenée par Sebastian.

Elena sentit son cœur se tordre de chagrin et d’impuissance devant la détresse contagieuse de celle qu’elle considérait comme sa sœur. « Il faut que tu manges Faith. Même de petites portions. Ça te fera du bien. » Elle allait finir par dépérir à ce rythme, et la brune refusait de laisser faire sans agir. « Les Expendables font certainement leur possible pour les retrouver. Aller là-bas, c’est trop dangereux. Aaron ne voudrait pas que tu t’exposes alors qu’il fait sûrement son possible pour revenir à toi. » Et puis, maintenant qu’ils avaient attaqué un convoi, détruit des checkpoints, approcher Colville était sans doute perdu d’avance. Ce serait suicidaire, et il n’était pas question que la sexologue y songe ne serait-ce qu’un instant. « On pourrait faire des allers-retours plus récurrents sur Kitsap ou Gig Harbor si tu veux ? » Le premier était le point de repli le plus évident pour leurs deux amis, mais le second était sur le chemin…

Je sais... Souffle la brune, à bout de nerfs. Elle connaissait l'histoire d'Elena, l'entêtement d'Alex, ou la persévérance d'Aaron. Mais le doute venait broyer son ventre, ronger son coeur de l'intérieur à chaque nouvelle minute qui s'écoulait. Sebastian m'a dit la même chose... reconnaît-elle néanmoins avec une amertume qu'elle ne cherche pas à cacher. La grecque connaissait assez son caractère pour savoir que tenir en place de cette manière était un supplice, pour elle. Et si l'appétit n'était pas présent, la faiblesse générale de son corps lui confirmait qu'elle devrait à un moment, tenter de s'alimenter un minimum. Venant poser ses mains sur celles de son amie de coeur en les serrant avec la force du désespoir. Si les rôles étaient inversés, Aaron serait sur place depuis longtemps... Elle en était persuadée.

Hochant néanmoins la tête à la remarque de la brune, inspirant profondément pour calmer ses nerfs malmenés par le manque de sommeil. J'adorerai. Mais ... Son regard glisse vers le ventre arrondi d'Elena, secouant doucement la tête. Tu as besoin de moi ici. Il n'y avait pas un monde, ou elle ferait prendre le moindre risque à la grecque.

Difficile de donner tort à Faith, et pourtant, répondre à cette impulsion aussi naturelle que dangereuse ne mènerait à rien de bon, Sebastian avait raison. Même si les rôles étaient inversés, Aaron aurait sans doute commis une erreur en se rendant à Colville pour suivre ses traces. Et pour Elena qui avait vu de ses propres yeux les atrocités commises par New Eden là-bas, impossible d’imaginer son amie s’y rendre sans sentir son ventre se tordre d’inquiétude. « Connor n’arrêtera pas de remuer ciel et terre tant qu’ils ne seront pas de retour. » C’était une certitude qu’on ne lui ôterait pas. Il était hanté par le regret de ne pas être parti à sa recherche des années plus tôt, sans doute aussi de ne pas avoir su sauver Roza plus tôt des griffes des Remnants, alors jamais il ne referait la même erreur. Moins encore pour ceux qui étaient sous sa responsabilité directe. Elena le connaissait suffisamment pour deviner le poids qui devait peser sur sa conscience actuellement. Il n’abandonnerait pas. Même si pour ça, il devait écumer tout le pays et kidnapper les soldats de Walla Walla un par un.

« Il a un plan, il faut lui faire confiance. » souffla-t-elle en serrant sa main. Elle se pinça ensuite les lèvres, évidemment touchée par la sollicitude de son amie. « Hé, t’en fais pas pour moi, d’accord ? Je ne suis pas en sucre, juste dans la merde pour les vingt prochaines années. » rit-elle doucement. « Je peux t’accompagner, Chiara peut prendre le relais… Des solutions on peut en trouver plein. » Elle pouvait séjourner quelques temps chez Valérian sous l’étroite surveillance de Emilie même si ça pouvait la rassurer. « Si tu as besoin d’aller à Gig Harbor pour l’attendre, tu y vas. » fit-elle fermement.