J'ai la gorge nouée, les yeux rougis par des larmes que j'ai trop versé. On mettra ça sur le compte des hormones, c'est le prétexte que je donnerais si on me pose la question. L'idée de regarder le sexe du bébé a vraiment été la pire chose possible, et je bénis le fait de m'être isolé pour ça. Je me sens ridicule de pleurer comme une gamine comme ça, ridicule parce que ça fait pas de sens d'être triste. Mais je me sens profondément coupable et désolée pour elle alors qu'elle est pas là, encore.

Et elle essaie de me consoler à sa manière, alors que mes épaules sont à nouveau secouées par un sanglot quand je sens son petit pied se coller contre la peau tendue de mon ventre. Je suis désolée, je suis tellement désolée, que je marmonne dans ma langue natale, les deux mains posées contre cette arrondie. Je sais pourquoi je fais tant un monde de tout ça. Les brèches sont là, et elles se craquèlent progressivement pour laisser place à une vulnérabilité que j'oserais afficher avec personne d'autre qu'elle.

J'inspire profondément en essayant de me calmer. Mais plus j'essaie, plus mon chagrin me semble palpable et intense, et me noyer est du pareil au même à cet instant. Je vais avoir une petite fille, vulnérable, qui sera la proie de tous ces monstres, qu'on voudra sacrifier, comme on m'a sacrifié. C'est pour ça sans doute que tout me revient dans la gueule à cet instant, comme une putain de claque en plein visage, je pourrais en sentir la douleur des caresses auxquelles j'ai jamais consenti.

Mais un bruit derrière moi attire mon attention, et j'ai tout juste le réflexe rapide de passer ma manche sur mon visage avant de redresser le nez vers l'intrus. Joaquin ? Putain. J'te dérange pas ? Que je lui balance d'un ton sec, en me détournant rapidement : T'es en train d'écouter une conversation entre ma fille et moi, là ! Quelle merde. Je le mets en fuite comment, moi, maintenant ? La plage est assez grande pour que tu trouves ton propre coin pour te palucher la nouille et que tu viennes pas squatter à côté de moi, que je grogne : T'as pas d'autres gens avec qui gratter l'amitié ?

C’est une putain d’idée à la con.

J’ai beau m’répéter ça en boucle depuis que j’ai laissé les autres, j’suis quand même comme un connard à chercher Yulia pour… pourquoi au juste ? J’en sais foutrement rien. Lui parler. Ouais, possible. Essayer d’aplanir les choses pour la retrouver un peu ? J’ai été furax contre elle pendant tellement longtemps, je lui en ai tellement voulu de nous dégager comme ça, surtout après tout ce qu’on avait pu vivre, que j’ai du mal à démêler tout ce qui bouillonne dans mon crâne depuis notre arrivée ici.

Et j’me rends bien compte que je devrais pas remuer la merde. Que j’devrais me contenter d’être pro, de faire l’taff pour lequel on est payés et d’pas chercher. On s’est évités pendant deux ans, autant continuer comme ça non ? Ca nous réussit pas trop mal visiblement. En tout cas, on est encore en vie. C’est déjà mieux que beaucoup de monde.

… chier.

C’est comme ça qu’je me retrouve sur la plage, alors que la silhouette de la russe s’traine un peu plus loin. Ca m’a fait bizarre d’la voir en cloque, mais c’est clairement pas mon problème. J’prends une grande inspiration pour me rapprocher d’elle, essayant de trouver l’meilleur moyen de lui parler. Sauf qu’il y a rien de vraiment intelligent qui m’vient à l’esprit. Déjà que j’me sens un peu con en temps normal, là c’est puissance 10. Au moins.

Je l’entends causer toute seule à mesure que j’me rapproche et j’ai un froncement de sourcils. J’devrais ptet m’abstenir, c’est pas le bon moment. Sauf qu’avant que j’ai l’temps de faire demi-tour, elle me capte. Et m’envoie chier direct. « Ah ouais. Okay. » Impossible de rater les larmes qui ont roulé sur ses joues. Et j’me sens un peu con. Carrément con en fait. J’enfonce mes poings dans mes poches et j’sens mes mâchoires qui s’contractent alors qu’elle en rajoute une couche. Avant d’laisser échapper un soupir. « J’écoutais que dalle. » Et j’relève même pas sa connerie d’se palucher, sinon j’vais déjà m’énerver. « J’venais pas gratter l’amitié je… » Enfin si, ptet un peu. A dire vrai, maintenant que j’suis devant elle, à ressentir son hostilité qui s’répercute sur ma gueule, j’sais encore moins c’que j’fous là. « J’avais juste envie de… » La voir. La retrouver. Quelle idée à la con putain. J’ai un rire sans joie avant d’secouer la tête. « Laisse tomber. » Et j’me retourne sans rien ajouter. Qu’elle aille se faire foutre.

S'il se sent con, c'est pas mieux de mon côté. J'ai toujours eu tendance à mordre dans le doute, afficher une franche agressivité pour être sûre qu'on me foute la paix. Quelques personnes ont la chance d'échapper à ça, mais ça se compte sur les doigts d'une main. Là, j'en vois que deux, que j'ai toujours eu à cœur de protéger : Ruby et Emilie. Mais en dehors d'elle, j'ai jamais épargné qui que ce soit de cette colère qui me ronge, et ils ont appris à me connaitre malgré ça. Lançant un regard assassin à l'homme, ce dernier a l'air de plus savoir où se foutre. Et j'ose croire qu'il espérait pas que ça serait confortable...

T'avais envie de quoi ? Que j'insiste, avec encore plus de mordant avant de le voir renoncer soudainement. A moi de me sentir bête, il a connu des claques plus douloureuses que celle-là, et voilà maintenant qu'il se détourne sans lâcher son bordel, comme s'il suffisait désormais d'aboyer plus fort pour réussir à le mettre en fuite. Quand est-ce qu'il a perdu ses couilles ? Et surtout, où ? Depuis quand t'es devenu un gros lâche qui repart la queue entre les jambes à la première trace d'hostilité ? Que je renchéris alors.

Y'a de la curiosité dans ma voix, j'ai jamais mâché mes mots avec lui et j'vois pas pourquoi je commencerais maintenant. Du revers de ma manche, j'essuie mes joues, mon nez, essaie de me rassembler une face acceptable. C'est plus facile en m'en prenant à lui de toute évidence : Je t'ai déjà mis pire que ça dans la gueule sans que tu te démontes, et là ? Putain, c'est décevant. Et voilà que je grogne un peu fort, tu te défiles comme un gosse ? Je comprends pas. La démerde dehors aurait dû le rendre plus fort. Pas la moitié d'une pédale qui baisse les yeux.

Alors en plus de la curiosité, il y a de l'incompréhension. La provocation lui a jamais fait peur avant, sous aucun prétexte. On a eu des conversations interminables, faites de piques en tout genre. Et ça a changé ? Pourquoi ? Parce que je l'ai foutu dehors quand ils ont merdé ? Il avait pourtant les crocs pour se défendre contre Valérian, quand c'est moi qui lui ais claqué la porte à la gueule. C'est d'avoir pris les commandes d'un groupe qui t'fait renoncer en enfonçant la tête dans le sol ? Pourtant pour en guider un, vaut mieux savoir montrer la direction, et de préférence pas dans un mur : Tu veux quoi, Joa ?

Et bah putain, si j’avais su, j’serais resté dans ma piaule. Je savais que c’était une idée de merde mais là, c’est juste en train de se confirmer à mesure que passent les secondes. Pour autant, j’me démonte pas quand elle me lance un de ses sales regards-là. Si j’sais pas où me foutre, c’est pas pour autant que j’me sens coupable de m’être retrouvé là. J’regrette oui, c’est certain.

J’prends même pas la peine d’lui répondre quand elle me demande d’quoi j’ai envie. De toute façon, elle m’en laisse pas vraiment le temps. « Oh wow. » Franchement, j’sais pas si j’dois rire oui lui en coller une. La deuxième option est quand même vachement tentante, mais après l’speech que j’ai fait à Salem pour la convaincre de venir ici sans être hostile, j’passerais un peu pour le faux-cul de service si je faisais exactement ce que j’lui ai déconseillé de faire. « Mais va te faire foutre Iojov. » J’finis par souffler un rire incrédule en secouant la tête. « J’sais pas toi, mais perso, j’ai pas envie d’me casser le cul à essayer de causer à une gonzesse qui clairement pas envie d’me parler. J’suis pas maso à c’point-là pour rester et prendre des coups sans raison. »

Bon, j’me tourne quand même vers elle, bras croisés, alors que j’secoue la tête. « Appelle ça d’la lâcheté si ça peut illuminer ta journée, j’en ai rien à battre. J’avais envie de causer avec toi. T’as pas envie et tu l’as dit clairement. Pourquoi j’insisterais ? J’suis pas encore devenu un harceleur. » J’ai un paquet de défauts, mais pas celui-là. C’est même pas une question de me mettre dans la gueule ou pas, c’est juste du bon sens. Bon, après, faut ptet pas trop en demander à une gonzesse en cloque qui était en train de chialer, j’sais bien. Elle était déjà aussi casse-couilles avant ou j’ai droit à un traitement de faveur là ? Les deux sont pas totalement incompatibles, surtout avec elle. « Donc quoi ? Tu préfères que j’insiste comme un connard jusqu’à ce que tu m’en colles une ou que je finisse par t’enfoncer la tête dans le sable parce que tu m’auras trop gonflé ? T’es sérieuse ? » Ou alors, j’ai raté un épisode. Enfin, pas qu’un, je sais.

Et si j’ai déjà répondu en partie à sa question, quand elle me demande ce que je veux, j’ai un haussement d’épaules. « D’la merde. Savoir comment t’allais. Ce genre de conneries. » Mais elle a quand même réussi à me casser les couilles en un temps record. J’avais oublié qu’elle avait cette capacité. J’suis presque admiratif.

Déjà fait, sois original un peu, que je lui souffle en roulant des yeux quand il m'invite prestement à aller me faire foutre. Sérieusement, c'est ridicule à quel point c'est vu et revu. Et je suis suffisamment grosse en plus pour que ça soit immanquable. De toute façon, Joaquin trouve mieux : maintenant il me bassine avec sa nouvelle bonne éducation, ce qui m'arrache un rire aussi ironique qu'amusé. Putain, je l'avais pas vu venir, celle-là. Le temps de rouler des yeux, je songe en moi-même que j'avais oublié qu'il était devenu aussi chiant, aussi. Je veux dire, pas genre pénible... Juste ennuyeux.

Sans doute parce qu'il se prend un peu trop au sérieux, mais rien de nouveau sous le soleil : il a le boulard de l'année. Alors ça tu vois, c'est drôle : parce que tu vas essayer de me coller la tête dans la sable, et je m'arrangerais pour te remonter le service trois pièces au niveau de la gorge en retour, que j'ajoute en le désignant de l'index. Avoir les hormones remuées et les nerfs à vif m'empêchera pas d'avoir toujours plus de répartie que lui de toute façon, d'autant que tout son discours, c'est de la redite sur du grand rien, qu'est-ce qu'on peut en tirer à part un simili du néant absolu ? J'suis chaude pour me battre si t'es partant, que j'ajoute.

Mais il déclinera. Evidemment. Vu que c'est une chiffe-molle, maintenant. Ah non, j'oubliais : tu veux pas "harceler" une pauvre meuf ! T'as viré gentleman, ou t'essaie de le faire croire, alors j'vais faire semblant d'y croire, que j'ajoute, vraiment, c'est juste par politesse. Je tapote mes mains l'une contre l'autre pour épousseter le sable dessus, avant de river mon regard sur l'horizon. A sa question silencieuse, celle qu'il articule pas mais qu'il voulait venir me poser, je pince les lèvres : Alors a ton avis, comment j'vais, hein ? Que je lui souffle. Tu débarques ici, te fais prendre à revers, t'as bien vu que j'avais chialer, et tu te dis que t'avais vraiment pas assez d'indications pour poser la question ? Je fronce les sourcils : Ou t'es devenu miro, c'est ça ? Tu peux le dire, tu seras mignon avec des lunettes en cul de bouteille, que j'ajoute.

« Parce que tu crois que j’en ai quelque chose à foutre d’être original ? » Franchement, c’est bien le dernier des problèmes à l’heure actuelle. En plus, j’vois bien qu’elle s’en cogne complètement de ce qu’je peux raconter. Mais, à la voir rouler des yeux, j’souffle quelques jurons bien sentis dans ma langue natale entre mes dents. « Ouais c’est super drôle. Si je décide de t’éclater la tête dans le sable, tu crois vraiment que t’auras encore l’énergie de toucher à mon service trois pièces ? » J’pose ça comme ça. J’veux bien qu’on s’soit pas croisés pendant deux ans mais, elle aura beau s’être entrainée, elle est sacrément handicapée par son bide.

J’ai un ricanement quand elle m’dit qu’elle est chaude pour s’battre et j’secoue la tête. « J’ai pas viré gentleman et faudrait vraiment être con pour quelqu’un puisse à croire à une merde pareille. J’sais juste que si j’te touche, j’suis mort. J’suis pas aussi con. » Qu’elle soit enceinte est limite accessoire dans l’histoire. « T’as toujours été aussi casse-couilles ou c’est juste que j’avais oublié ? » J’lui lance un regard curieux, alors qu’elle finit par reprendre, répondant à cette question que j’arrive pas franchement à formuler. « Tsais, t’es ronde comme un ballon, tu peux chialer parce que t’as pas eu ta dose de fraises au p’tit déj pour ce qu’j’en sais. » Ou parce qu’elle a du sable dans les godasses. J’sais pertinemment que les femmes enceintes et leurs hormones, c’est à prendre avec des pincettes. Alors ouais, j’m’attends à tout. Et surtout à n’importe quoi.

J’finis par m’assoir dans le sable, sans vraiment lui demander la permission. Elle aura qu’à me casser d’nouveau les couilles si ça lui va pas. « Et pour ce qui est d’mon avis même si on a en a tous les deux rien à foutre. J’t’ai déjà vue dans des états pires que celui-là. T’es en vie. T’as l’air plutôt en forme. Alors c’est quoi l’arnaque ? » J’finis par détourner les yeux et par fixer l’horizon à mon tour. J’sais bien qu’elle va me dire que c’est pas mon problème. Et en soit, elle a raison. Pas que j’en ai rien à battre de ce qui peut la faire chialer, mais clairement, c’est pas moi qui vais réussir à l’aider en quoi que ce soit. Mais ouais, possible que j’ai pas envie de m’tirer direct.

Tu te crois sans doute infaillible, mais y'a pas un monde où tu me mets au sol sans que je t'entraine avec moi pour te faire bouffer ta branlée, je préfère l'avertir d'emblée. Je suis trop une sale crasse pour le laisser s'en tirer d'une quelconque manière. Il l'aura jamais belle contre moi, et je suis bien trop une acharnée pour pas l'emmener en ma compagnie en enfer; Mais va y, je te pardonne le fait d'avoir la mémoire courte, et d'avoir oublié à qui tu as à faire, que j'ajoute en haussant les épaules. Et un rire m'échappe de toute façon : Visiblement, t'as des gros problèmes dans ton crâne, mais rien de très nouveaux, j'vois pas pourquoi tu joues les étonnés, en fait.

Pourquoi veut-il que ça ait changé, avec le temps ? Pourquoi serais-je devenue moins pénible ? Il y avait pas un monde où j'aurais pu m'adoucir, surtout pas dans ces circonstances. De toute façon, Joaquin finit par poser son cul à côté de moi et je soupire en fixant aussi la mer. Sa question m'arrache un rire sans joie, chargé de l'ironie que je ressens sur cette situation. L'arnaque ? Je mets du temps à lui répondre, notamment parce que je tâche surtout de contrôler cette marée d'émotion qui me submerge. Je serre les mâchoires, mes yeux se perdent sur le sable devant nous.

C'est l'fait que je vais accoucher d'une petite fille dans un monde pourrie jusqu'à l'os, c'était déjà pas la joie avant ça, mais maintenant ça l'est plus du tout, que j'ajoute. J'ai la gorge serrée, et ça s'entend au son de ma voix : Que le père de ce bébé viendra jamais ici et que j'en suis à penser que ça serait plus raisonnable de l'amener dans son groupe, même si ça implique plus jamais pouvoir la voir. Elle, ou lui d'ailleurs. Quand Jaren s'est cassé avec Lukas, et que j'suis retombée enceinte d'un autre, j'me disais que j'aurais plus à vivre ça, nouveau rire, chargé de ce que ça m'inspire.

Je suis pas encore vide, pourtant. Je pensais avoir trop pleuré pour lui, mais c'est finalement pas le cas. Sauf qu'en fait, j'ai pas le choix, j'suis piégée dans une putain de malédiction et y'a rien pour m'en faire sortir, en gros. Voilà l'arnaque. Ce à quoi se résume ma vie, dans les grandes lignes : Et je peux même pas boire pour essayer d'oublier ça, c'est ça le plus grand drame, on dira. J'te laisserais même me frapper si ça peut m'permettre de faire une amnésie sur cette vie de merde, que j'ajoute, pensive.