Elle a enfin pu commencer les séances de kiné respiratoire. C’est… bon, ce n’est pas agréable, mais ça lui donne l’impression d’avancer dans sa convalescence. Jusque-là, ce n’était que fatigue, essoufflement, repos, pansements, inquiétude. Si elle s’écoutait, elle aurait déjà fait ses valises pour retrouver Joachim, mais la vérité, c’est qu’elle n’est pas en état. Kaya non plus, et l’Islandaise ne veut pas lui infliger de risquer sa vie. Encore. Sa meilleure amie a déjà trop vécu à cause de son amour déraisonné.

Second objectif de la journée : prendre l’air ! C’est bon pour son cas parait-il. Pendant que sa copine est à sa séance, Isalín va se doucher rapidement dans la salle d’eau du dispensaire et choisit sa tenue dans le petit tas de vêtements qu’on lui a prêté. Un jean, un tee-shirt, un pull en Jersey, et un pardessus délavé. Il faudrait qu’elle retrouve quelqu’un pour lui prêter des comics, ou un bon bouquin – ceux qu’on lui a passé la semaine passée ont déjà été lu trois fois. Au moment de sortir, elle manque de renverser l’adolescente qu’elle a déjà vu plusieurs fois ici.

- Oh, désolée, marmonne-t-elle.

Elle s’appelle… hum… elle a oublié. C’est con ça. Un peu gênée, elle se gratte l’arrière du crâne en essayant de la remettre. Le pire, c’est que l’autre ne s’était pas montrée méchante la dernière fois. Juste méfiante – très méfiante. Mais les mois sont passés depuis, et les merdes n’ont cessé de s’entasser sur le chemin d’Isalín. Son cerveau a dû faire de la place sur le disque dur.

- Mais attends, tu travailles ici en vrai ? Demande-t-elle en réalisant que sa cadette porte la tenue des infirmières, j’savais pas ! J’croyais que… enfin, la dernière fois, tu t’baladais avec une caméra, non ?

Et c’est un truc de dingue d’ailleurs ! Ce n’est pas le genre de matos qu’on voit souvent désormais. L’année précédente, l’Islandaise n’avait pas pu demander à en savoir plus, mais cette fois… une caméra, merde ! Elle n’a pas vu un film depuis environ 7 ans maintenant. A ce stade, même le diapo de l’anniversaire de l’once Henri, c’est un blockbuster.

- Oh, à tout hasard, vous avez pas genre une BDthèque ? Ils ont tout ici, faut tenter.

Tu peux aller chercher ceci, Bridget ? Tu peux aller aider untel à aller aux toilettes ? Tu peux surveiller que Machin ne se lève pas ? Ça pourrait faire péter ses points de suture ! Tu peux changer ses draps à lui ? Bridget trouvait ça plus excitant en regardant les premières saisons de Grey's Anatomy. Même si Ivy lui demande parfois de faire des choses plus médicales, lui apprend des techniques ou lui propose de l'assister... Reste quand même qu'elle ne s'imaginait pas avoir à faire tous ces trucs chiants en enfilant la blouse blanche ! Pendant que d'autres conduisent des hélicoptères ou tirent des missiles... Peut-être s'est-elle trompé de vocation ! Et le pire... c'est que c'est même pas payé !

- Faut faire attention !, marmone-t-elle à son tour en l'observant avec un peu de dédain, surtout surprise de cette presque collision alors qu'elle était en train de récupérer des draps sur un chariot.

Isabel. Elle l'a déjà vue y a un an (ou deux). Le temps passe vite, et c'est pas souvent simple de se tenir à jour de tout ça. Les seules choses auxquelles Bridget s'intéresse, ce sont Noël et son anniversaire. Reste qu'Isabel n'est pas membre de leur groupe et fait partie de ces blessés de guerre qu'ils s'amusent à nourrir et loger à souhait tout en débranchant les leurs.

- J'suis cadre infirmière, ouais... ! Elle crane un peu, fait la fière alors qu'Ivy se montre de l'autre côté du couloir. D'ailleurs, t'es pas censée rester couchée ? Tu pourrais avoir des problèmes si jamais quelqu'un t'voyait ! Elle hausse suffisamment la voix pour qu'Ivy l'entende et lui fasse un joli clin d'oeil. Elle devrait surtout être actrice, Bridget.

Isabel se souvient autant qu'elle que Bridget arrive à se remémorer son visage et cette grande méfiance ressentie à son égard. D'une main dans le bas de son dos, la jeune médecin en formation l'accompagne vers ce lit qu'elle n'est pas censée quitter. Manquerait plus qu'Ivy ou qu'un autre la fasse rester plus longtemps. Se plaindre que les ressources risquent de manquer cet hiver tout en continuant de nourrir des bouches inconnues. Toute la stupidité d'une politique trop laxiste et trop bienveillante. Ils ont pas à bouffer, les autres ? Y a que les Remnants qui savent se gérer ?

- Je l'ai encore, mais on refuse que j'l'amène ici. Des trucs d'hygiène, ça pourrait infecter des plaies ou j'sais pas trop quoi... Des conneries pour l'empêcher de montrer aux autres ce qui peut bien se passer derrière les rideaux, à son avis. Mais j'compte quand même faire un documentaire sur les grands brûlés... et les blessés en général. Mais y a rien d'intéressant à filmer pour l'instant. Pas de grands brûlés sans incendie.

- On a une bibliothèque. Mais c'est plein de trucs inintéressants, ou qu'les gens font semblant de lire pour paraitre intelligents. Y a quelques comics, mais c'est toujours les mêmes qui les empruntent et qui finissent jamais par les rendre. Une cause perdue, donc. Par contre, j'en ai quelques-uns à la maison. Ça dépend de ce que tu lis. Elle croit que visiter le camp veut dire avoir droit à tous ses avantages... ? J'connais un type qui en a aussi, mais il est un peu... Elle mime outrageusement la folie et les délires psychotiques d'un homme pas très bien dans sa tête. Il croit qu'les martiens nous observent, que Britney Spears est une illuminati et que June est un genre de lézard. Donc j'te conseille pas de l'approcher parce qu'à tous les coups, il va t'associer à un genre de cyborg envoyé par kekchose ! Un malade mental, en somme. Bridget ne lui cause que par pitié et par intérêt. Une histoire complotiste pour avoir le droit de lui piquer une bande dessinée, y a pire comme deal.

- Vous avez pas ça chez vous ? Vous avez que les livres sans dessins ? LE PIRE. Pourtant, elle a envie de voir ses yeux pétiller ! Mais faudrait pas non plus qu'elle lui donne envie de rester.

- Hein ?! Mais non, ça v…

L’autre ne l’écoute même pas protester, elle la pousse dans le dos pour la ramener vers sa chambre. L’Islandaise grommelle un peu mais n’a clairement pas la force de se débattre, ni l’envie de faire un scandale. Tant pis pour la balade visiblement, mais au moins, sa cadette n’a pas la langue dans sa poche. Cadre infirmière, hein ? Isalin fait une moue suspicieuse – elle n’est pas idiote quand même – mais ne relève pas ; elle aurait sans doute fait pareil à sa place.

- Ce serait grave cool en vrai ! Concède-t-elle à propos d’un reportage sur les grands brûlés.

Enfin non, ce serait pas cool pour les blessés mais il y a quelque chose de vachement excitant dans l’idée du reporting extrême. Sans doute la curiosité morbide oui, mais… bon, ce ne serait pas la chose la plus tordue qu’elle ait eu à voir ces dernières années. D’ailleurs, ce n’est même pas tordu, c’est juste leur quotidien !

En tout cas, elle a bien noté que sa cadette a des comics chez elle. La jeune femme l’aurait bien questionnée à ce propos, mais voilà que l’autre lui déballe l’histoire du paranoïaque qui croit des trucs assez abracadabrants. Un rire la secoue tout entière alors qu’elle se rassoie sur son lit – et ça fait encore mal. Intéressée, elle jette en arrière son interminable chevelure d’encre – il serait temps de les re-couper !

- C’est qui Britney Spears ? Demande-t-elle en fronçant les sourcils ? … et une illuminati ?

Ses connaissances de la culture américaine frôlent le 0 absolu. Et ces dernières années dans le pays de l’oncle Sam, elle n’a pas eu le temps de combler toutes ses lacunes. Elle a dû déjà entendre ces noms, mais… son cerveau bourdonne là, il ne lui ressort rien. En tout cas, « Illuminati », ça sonne comme un groupe de super-héros, comme les « Eternals » ou les « X-men ». C’est sans doute une sous-série de DC – parce que si c’était Marvel, elle connaitrait.

- Mais si on en a ! Retorque-elle soudainement sur les « livres à images », enfin, on en avait, précise Isalin avec amertume, les gens d’chez nous sont partis… j’ai pas pu prendre toutes mes affaires, mais j’avais une grosse collection d’comics ! Même des trucs rares, genre Frog Thor, et elle n’en est pas peu fière d’ailleurs, t’as combien d’numéros en tout toi ? Demande-t-elle innocemment – mais non, ce n’est pas pour comparer enfin, j’peux les voir ? T’sais, j’suis déjà sortie m’promener d’toute façon… j’ai même fait du simulateur de vol avec May ! Ils sont vraiment bizarres ces américains à se donner des noms de mois.

- Mais y a pas de grands brulés ! Donc sauf si on se fait bombarder de gasoil et que quelqu'un jette une allumette dans le tas... C'est pas près d'arriver. conclut-elle simplement en haussant les épaules avec un peu de déception, même s'il est vrai que c'est bien le genre de conneries que pourraient bien leur faire ces malades mentaux de chez New Eden ! Ce soir, elle priera pour que leur prochaine attaque soit spectaculaire... qu'elle puisse au moins en faire un beau documentaire, quelque chose qui gardera les gens sur leurs sièges et qui marquera l'histoire à tout jamais.

Elle est ravie qu'Isabel s'intéresse à ce qui est devenu plus qu'une passion pour elle au fil des années. Si elle avait son caméscope sur elle, Bridget lui montrerait ses derniers enregistrements sous ses yeux globuleux et son menton plein de bave ! De la façon dont elle parle, on dirait qu'ils sont tous pauvres dans son camp. Qu'ils n'ont pas de moyens, qu'ils ne mangent pas à leur faim et qu'ils n'ont rien à faire ! Tu m'étonnes qu'ils veulent rester chez eux ! Alors lui faire passer un bon moment, la faire un peu rêver et lui faire oublier la pauvreté de là d'où elle vient : ça ne ferait pas d'elle une âme extrêmement généreuse ? De celles qu'on accepte de laisser entrer au paradis, et ce même si elles sont toutes sales ?

- Tu connais pas Britney ? Effarée, consternée. Genre... La môme commence à se déhancher maladroitement, les mains sur les hanches et les cheveux qui s'éprennent de ses mouvements de folie très faiblement inspirés d'un clip vidéo dont elle ne se souvient plus trop. Les paroles, par contre... Baby, baby, one more time... ! Elle la regarde, essaie de jauger la moindre réaction venant de l'étrangère... Mais c'est comme essayer d'expliquer le théorème de Pythagore à un enfant qui ne sait pas compter. Prise de pitié, Bridget se sent mal pour elle.

- Frog Thor ? Thor grenouille ? Genre... une grenouille déesse du tonnerre qui tue des gens avec un marteau ? Elle est dubitative, l'observe d'un air interrogateur. Ça existe ? Est-ce que c'est une édition spéciale ? Une mauvaise parodie ? C'est une parodie raciste ? Comme le Spider-Man noir là ? Tu sais, ça pourrait valoir vachement beaucoup quand on saura remettre internet en place... ! Peut-être que tu pourras nourrir les pauvres de ton camp avec ça... Si elle accepte de partager les recettes avec eux, si elle est aussi généreuse qu'elle.

- Moi... Je sais pas combien j'en ai, mais une tonne. Le tout prend la poussière dans un coin de sa chambre, y en a aussi quelques-uns dans le grenier. Une pile grosse comme ça, j'dirais ? Elle éloigne ses deux mains l'une de l'autre sur un peu plus d'une cinquantaine de centimètres. Je les ai lus au tout début parce que je m'ennuyais et que sans la télé, c'était pas la joie. Donc y a fallu passe aux livres. Sa bête noire d'aujourd'hui ! Et y a des trucs vraiment cools dans le tas. Faut dire : mon père avait de bons goûts !

Les lui montrer ? Est-ce que ce serait judicieux ? Est-ce qu'elle finirait pas par lui donner envie de rester plus longtemps ? Mais en même temps... elle a envie de faire la fière. Puis on s'intéresse rarement autant à elle... et l'attention est la première des motivations.

Après y avoir réfléchi quelques courtes secondes : Bridget a tranché.

Seulement si tu m'voles rien, qu't'as les mains propres... Elle les lui saisit gentiment, y jette un rapide coup d’œil visuel avant d'en renifler le bout des ongles. Et aussi qu'tu me promets que t'es pas une espionne de New Eden ou une kamikaze. Des propos qui pourraient être jugés comme une blague, mais qui (à en juger de l'air ultra sérieux de Bridget) n'en sont pas du tout une. Manquerait plus que ça. Un jour, ça arrivera et ils s'en mordront tous les doigts... les dirigeants du camp !

Mais en attendant, si elle n'est rien de tout ça...

Bridget retourne près de l'entrée de la chambre, passe la tête par l'encadrement. Est-ce qu'il est judicieux de la faire sortir du dispensaire dans son état ? Pft. Elle n'y pense pas (un peu dommage pour une peut-être future infirmière... ou médecin de génie). Non, elle pense à son truc avec May... Elle t'a vraiment fait faire ça ? Et bah, y en a qui sont bien vues... ! Elle, elle n'y a jamais eu le droit ! Et elle ne cache pas la rancœur que ça lui inspire... Faudra qu'elle lui fasse savoir lorsqu'elle la croisera !

- Allez, viens ! C'est pas super loin, mais si jamais tu commences à chouiner ou à te péter un os... on revient illico et tu diras qu'j'ai rien à voir avec tout ça ! Manquerait plus qu'Ivy ou qu'un autre l'accuse de lui avoir fait mal ou de l'avoir entrainée dans un plan foireux qui la mettra encore plus longtemps sur un lit d'hôpital...

- Euh…

Isalín a du mal à saisir qui est Britney du coup. Visiblement une… danseuse ? Les américaines ont vraiment de drôle d’idole de toute façon. Clairement, enfin, ce n’était pas son monde. Mais après son imitation, c’est au tour de sa cadette de démontrer son ignorance culturelle. Instinctivement, l’Islandaise réagit exactement pareil :

- Tu connais pas Frog Thor ?! Elle ne connaissait pas non plus en réalité, avant qu’un type de Nisqually lui prête ses numéros, mais ça claque de faire semblant, genre… le multivers ? les What it ?

Sa mine affiche une expression qui se résume à « alloo ?? », mais non, l’autre part dans des suppositions aussi douteuses que sa parodie de Fritney Tears. Et qu’importe au final, parce que quand elle parle des « pauvres de son camp », l’islandaise comprend. Cette fille est comme Zelda finalement, elle la prend de haut. Et même si elle ne s’estime plus faire partie de Nisqually, ça la soûle. Beaucoup.

Isalín se renfrogne et croise les bras. Elle écoute sa cadette déballer son discours qui se teinte de plus en plus de mépris. Et que ça lui parle d’avoir les mains propres, et que ça sous-entend qu’elle puisse être une espionne, et que ça dédaigne son essai du simulateur, et que ça la prend pour une chouineuse… si la jeune femme ne la tarte pas, c’est juste parce qu’elle n’est pas bagarreuse de base – et parce qu’elle n’a pas envie de se faire mal.

- C’quoi ton souci en fait ? Demande-t-elle sans bouger d’un poil, même si son interlocutrice lui a proposé de la suivre, j’ai failli crever pour la guerre de merde à laquelle ton groupe participe là, et t’m’accuses d’être de New Eden ?! Ce n‘est clairement pas à elle qu’elle parlera de ses soupçons sur le conseil de Nisqually, elle s’en tient à la version officielle, j’suis là parce que j’ai fait ma part pour défendre tes toooonnes de BDs justement, désolée d’déranger, attaque-t-elle, courroucée, mais t’inquiète, j’te laisse ma place pour la prochaine fois.

Dire qu’elle lui avait semblée sympa la dernière fois… mais les années changent les gens, c’est indéniable. Et l’Islandaise est de nature boudeuse, alors maintenant qu’elle est contrariée, elle va rester ainsi un moment…

- Le multiquoi ? Voilà qu'Isabel commence à s'aventurer dans des choses qu'elle ne comprend pas, ou ne connait pas ! Et c'est une chose de ne pas connaitre tout ce qui s'apparente de près ou de loin à certains comics, mais ne pas connaitre cette perle nationale qu'était Britney Spears... ça devrait carrément être un crime passible de la peine de mort ! La grenouille au marteau par contre, personne n'en a rien à foutre ! Comme la vache qui se déguise en araignée ou l'homme rat-taupe nu ! Ils avaient quand même beaucoup d'imagination ces types, hein ! J'me demande c'qu'ils continueraient d'inventer aujourd'hui s'ils étaient toujours vivants... ! Tu crois qu'on aurait un super-héro qui bouffe la chair humaine ? Ça, ce serait stylé et ça attiserait presque son attention. En attendant, les quarante mille super-héros différents... Voilà quoi ! Fan de comics sans en être obsédée non plus, elle n'y connait pas grand chose finalement... Puis le monde des comics est vachement vaste ! Contrairement à celui des blondes qui ont marqué l'histoire de la musique américaine. Mais bon, l'inculture se respecte quand même.

Le temps d'un instant, Bridget envisage même de retourner sa baraque à la recherche d'un CD de la queen of pop avant de se rappeler que ce serait beaucoup trop de boulot et que ça emmerderait peut-être Ivy - qui reste avec elle en attendant que le connard qui lui sert de tuteur ne rentre ! Et si Bridget, prise dans l'action de cette séquence d'exfiltration qu'elle a prévue et montée elle-même toute seule dans sa petite tête brune, n'est pas encore confrontée à la réaction d'Isabel... elle l'est lorsqu'elle l'appelle à la suivre et qu'elle ne bouge pas, crispée sur place.

- Mon souci ? Quel souci ? Les mots sont fouillis, alors qu'elle entend déjà l'autre jeune femme passer en mode furax alors qu'elle n'a même pas encore eu le temps de se retourner. Parce qu'elle lui a demandé si elle était pas de New Eden, sérieux ? Toi aussi tu m'aurais posé la question, fais pas genre... ! Si elle tenait à son camp, ou à ses membres et qu'elle était un minimum suspicieuse de ce qui pouvait bien y entrer et sortir. Bridget, même si elle sait qu'elle y va souvent fort, se sait pertinente dans ce cas. S'en vouloir d'avoir posé les questions les plus basiques ? Si elle est pas contente, elle a qu'à se tirer et ne plus jamais poser le cul sur ce lit moelleux qu'on lui a offert ! J'étais pas sur le front, moi ! T'as raison ! Mais ça, elle le sait déjà ! J'sais pas qui t'es, j'sais à peine qui vous êtes... vous tous ! Et si t'as vécu les mêmes trucs qu'à peu près tout le monde, tu poserais ces questions à n'importe qui. Tu sais pourquoi ? Parce que ça fait d'toi quelqu'un d'un minimum malin, meuf ! Elle hausse pas le ton, mais faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte du peu d'animosité qui s'installe. Les voix ne s'élèvent pas encore, mais les sujets et les visages changent. Alors... pardon si ça te fait mal que je sois suspicieuse, mais c'est le minimum quand y a des fils de putes qui sont prêts à tout pour faire explorer nos crânes. Nos crânes, oui. Quand ils ne sont pas occupés à essayer de marier des gosses ou à forcer le patriarcat sur des femmes précédemment libres ! J'connais les façons dont on recrute des gens, ici. J'sais aussi les questions qu'on pose, le bien maigre balaye de dossier des nouveaux arrivants... Et après toutes les conneries qui nous sont arrivées, j'continue de penser que c'est bien trop faible pour les risques que ça présente ! Et on leur en a même donné la preuve de bien nombreuses fois... !

Alors, pardon - qu'elle en profite, on l'entend pas souvent le dire en le pensant. si t'es pas une fanatique qui voudrait m'voir mariée à un barbu... mais fallait que j'pose la question ! C'est bien le minimum après la générosité dont on a tous fait preuve ici depuis que t'es arrivée, nan ? Et qu'elle ne lui dise pas que ce n'est pas de la générosité... Cette guerre, elle a certainement choisi elle-même d'y plonger ! Personne l'y a forcée !

Tu vas vraiment faire la gueule et rester là, juste parce que je t'ai demandé de me promettre que t'étais pas une tarée... ou tu veux quand même jeter un coup d'oeil aux BDs dont on parlait ? demande-t-elle plus calmement, juste pour être sûre. Elle, ça ne changera rien à sa vie. Isabel... ? D'une petite voix douce, nettement plus calme. Sans les yeux doux. Allez, elle va pas faire la gueule... quand même !

Isalín fronce les sourcils en écoutant Bridget lui déballer ses raisons. Elle est assommée par son flot de parole, et dans son crâne, une seule chose résonne : « Heiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin ??? ». Pourquoi elle lui parle de recrutement, et de vieux barbus et… waw. Cette fille va très loin. C’est tellement surprenant que l’Islandaise se met à rire nerveusement. C’est tellement alambiqué que ça lui ôte son envie de bouder – enfin, à moitié, parce que l’autre la prend quand même de haut un peu.

- Isalín, corrige-t-elle en appuyant la prononciation anglosaxonne – à tous les coups, elle galèrerait avec l’originale, et j’te rappelle que j’suis justement ici parce que j’me suis battue contre tes barbus là. T’crois que j’me serais volontairement fait exploser avec une bombe pour arriver ici ?!

Hein ?! Et puis quand bien même, elle ferait quoi dans son état ? Et New Eden n’a pas que des soldats homme jusqu’à preuve du contraire ? Isalín secoue la tête, ricanant encore un peu – c’était marrant en vrai, faudra qu’elle le raconte à Kaya. Puisque l’invitation tient toujours…

- J’veux bien v’nir, mais alors tu t’calmes sur les critiques, prévient-elle, sans que ce soit une menace non plus, que j’sache, j’ai rien bavé sur ton groupe moi.

Et pourtant, avec un spécimen comme Zelda, elle pourrait aussi s’en donner à cœur joie et verser dans la généralité. L’Islandaise n’a pas le passif de certains avec Fort Ward, alors elle n’arrive pas à les voir comme le ramassis de têtes de cons que prétend Kaya, mais… bah les comportements de certains n’aident pas ! Comment elle est censée défendre auprès de sa meilleure amie que ce sont des gens très corrects, si à côté, on leur fait des crasses gratuitement ?

- Du coup, on r’commence ? Propose la jeune femme, qui n’a clairement pas l’énergie de faire la gueule finalement, j’m’appelle Isalín, j’ai pas l’intention d’te marier à quelqu’un et… j’veux bien voir ta collection d’comics.

Ses prunelles de jade se posent sur sa cadette avec une lumière maligne dans les pupilles. A son tour maintenant ! Si elle joue le jeu, toutes les deux pourront partir sur une nouvelle base ! Et si elle continue à faire sa sale gosse, bah… l’Islandaise saurait aussi très bien se distraire toute seule, pas de souci !