« Tu laisses les z'affaires de papa, il va revenir ! » Joy se tient dans l'encadrement de la porte, un pull de Jason entre les mains et darde sur sa mère un regard noir. Du haut de ses 3 ans et demi, la petite fille sait très bien ce qu'elle veut. « Joy, je les mets juste dans un carton, il les retrouvera quand il rentrera. » Ivy tente de récupérer le vêtement des mains de la petite fille, mais l'enfant s'enfuit en criant : « T'es mézante ! Tu ranges pas les z'affaires de mon papa ! » La médecin se pince l'arrête du nez en soupirant. L'absence de Jason devient longue et inquiétante pour toute la petite famille. Joy peine à comprendre, Ivy a du mal à lui expliquer en des termes rassurants et clairs pour l'enfant.

Et puis, elles ont dû déménager il y a quelques semaines pour venir s'installer avec Bridget. Le tuteur de l'adolescente a disparu avec Jason, il fallait quelqu'un pour lui tenir compagnie. Cela concorde aussi avec l'arrivée des disgraciées et la nécessité de leur trouver un nouveau logement, Ivy a donc accepté d’emménager avec l'adolescente, espérant changer les idées à Joy par la même occasion. Le résultat est mitigé. Elles apprennent toutes les trois à cohabiter, mais les cauchemars de la petite fille ont redoublé en intensité.

Installée avec Joy dans la petite chambre à l'étage, Ivy cherche encore à caser toutes leurs affaires sans trop perturber les habitudes de Bridget. Elle a dû sacrifier pas mal d'affaires, notamment celles de Jason qu'elle range dans un carton en attendant son retour. Où qu'il soit, il ne risque pas d'en avoir besoin tant qu'il n'est pas revenu. « Bridzet ! » entend-elle venant du bas tandis que des petits poings d'enfant viennent taper contre la porte de la chambre de la concernée. Visiblement, Joy s'est mis en tête d'aller déranger Bridget. La fillette semble vouer une admiration certaine pour la jeune fille.

Ivy descend l'escalier et lance à voix haute : « Bridget ? Tu as quelque chose de prévu aujourd'hui ? » Elle pensait lui proposer d'aller au dispensaire. Elle a pas mal de boulot là-bas qui l'attend. « Moi ze vais pas à la garderie ! » ronchonne déjà Joy, consciente que si les grandes personnes s'en vont, elle, elle ira soit à l'école, soit à la garderie et visiblement, ce n'est pas pour la satisfaire.

- Joy... Va empiler des cubes ! Ou saloper la maison en rentrant après être allée sauter dans des flaques d'eau dans le jardin. Ça amuse les enfants de jouer au crapaud, il faut croire. La porte de sa chambre s'ouvre, une petite tignasse rousse montre le bout de son nez... Et l'unique réaction de l'adolescente reste un simple soupir et une invitation à aller voir ailleurs.

Ce n'est pas une insulte... même si ça pourrait très bien en être une. Si Bridget a un franc-parler hors du commun, elle sait aussi limiter son irrespect lorsqu'il le faut : et insulter une petite fille de trois ans, elle est bien trop humaine pour que ça puisse lui paraitre normal.

Jason et Lloyd sont à l'extérieur. En mission secrète... Et le plus drôle ? C'est que leur mission est tellement secrète que personne ne sait vraiment où sont passés les deux gus. Ivy se retrouve sans compagnon, Bridget sans tuteur (et ce n'est pas tant pour lui déplaire). Elle ne l'aime pas, ne l'a jamais apprécié. Lloyd n'a toujours été qu'un vieux con beaucoup trop froid à qui on a mis (même pas de force, en plus) une gamine dans les pattes. C'était plaisant de l'entendre jouer de la guitare dans le salon en fin de soirée, ou de l'entendre grommeler des saloperies lorsqu'il avait besoin d'aller aux toilettes et qu'elle monopolisait la salle de bain... mais ils n'ont jamais été amis, elle ne l'a jamais considéré comme plus qu'un casse-couilles. Et en attendant, c'est Ivy qui le remplace. Partageant toutes les deux cet évènement plutôt unique, le plan initial était que Bridget aille chez la toubib le temps que les deux hommes rentrent... mais hors de question pour Bri' de quitter la maison dans laquelle elle a grandie. Et ce que Bridget demande, elle l'a toujours.

À hauteur de petite fille et tout près de la porte, Joy ne peut apercevoir de l'autre côté de la pièce qu'une silhouette inanimée échouée sur un lit. Un gros sweat, un survet, une paire de chaussettes dépareillées. Il fait moche dehors, il pleut, il fait froid... Elle aurait bien aimé aller faire du skate, aller courir, allez bondir sur les chemins de Fort Ward pour aller s'échouer entre les mains de quiconque aura la patience de la supporter... mais pas par ces temps-ci. Elle préfère rester bien au chaud à la maison.

- On est censés se voir en fin d'après-midi pour bosser sur le futur journal du camp ! répond-elle à cette voix qui approche, à en juger par le son des pas sur le parquet du rez-de-chaussée. Lloyd avait beau être le roi des cons, il savait pourtant taper à la porte de sa chambre avant d'entrer... et il n'avait pas de gosse pour rendre le tout encore plus compliqué ! Elle arrête d'observer le plafond tout blanc pour enfin se redresser sur son lit et regarder les deux filles, près de la porte. Pourquoi ? Y a des draps à changer au dispensaire ? suggère l'adolescente en roulant des yeux d'avance. Elle aime le dispensaire, était enchantée d'entamer cette formation... mais elle en a marre de toujours faire les mêmes choses et d'avoir l'impression de servir de boniche. On ne lui avait pas dit qu'une infirmière, ça nettoyait des chambres, ça changeait des draps et changeait des pansements. La môme s'attendait à plus excitant ! Comme dans les films quoi !

- Te plains pas... J'adorerais retourner à la garderie ou à l'école... la maternelle, en tout cas. C'est le plus facile ! Elle se rattrape auprès de Joy qui n'a absolument aucune raison de se plaindre. Chanter des chansons débiles, passer son temps à jouer, dessiner en apprenant à compter... C'est pas ce qu'il y a de plus compliqué, et c'est rien par rapport à ce que les profs de collège et lycée essaient de leur faire avaler maintenant ! Aucun débat à avoir, l'école : c'était mieux quand on pouvait se pisser dessus et mordre ses camarades.

Ivy finit de ranger les affaires de Jason dans le carton avec un pincement au cœur avant de se diriger vers la chambre de Bridget qui lui annonce son programme de la journée. « En fin d'après-midi ? » reprend-elle. «  Et bien, c'est parfait ! ça nous laisse quelques heures devant nous ! » Idéal pour tout combiner et réussir à occuper cette grande adolescente. Elle note dans un coin de sa tête de s'intéresser un peu plus à cette idée de journal qui semble tant passionner la jeune fille. La médecin passe la tête par la porte et son regard se pose sur la silhouette allongée sur le lit, fixant le plafond. « Je t'ai déjà dit de frapper à la porte et d'attendre avant de rentrer qu'on t'invite » souffle-t-elle à Joy. « Elle m'a dit que ze pouvais rentrer ! » rétorque la petite fille. Hmm.

Bridget ne semble pas particulièrement enthousiaste face au programme à venir. « Des draps à changer, oui ! » Évidement, tout ne pouvait pas être passionnant dans la formation d'infirmière. Elle continue avec un éclat malicieux dans la voix : « Et je pensais que je pourrais t'apprendre à réaliser des points de suture... ? » Il était temps de rentrer un peu dans le vif du sujet et de varier un peu les apprentissages. Si elle se cantonne au ménage et aux changements de pansements, Bridget risque de vite s'ennuyer et se détourner de tout ça, pourtant, elle montre une vraie aisance au milieu des patients et se révèle assez douée pour beaucoup de choses.

Ivy se tourne vers sa fille. « Et tu as raison Joy. Tu vas aller à la garderie et tu verras, ce sera très chouette ! » L'enfant se tortille alors pour échapper à la prise de sa mère et s'enfuit vers le salon. « Non, ze veut pas ! » crie-t-elle. Avec un soupir, sa mère la suit pour tenter de la préparer.

Quelques minutes plus tard, Ivy est habillée, prête à affronter la pluie. June le chien est sorti faire ses besoins et vient tout juste de rentrer en crottant tout le parquet du salon. La médecin soupire, elle s'occupera de tout ça à leur retour. Munie de ses bottes jaunes fluos, la fillette part déjà courir et sauter dans les flaques d'eau. Il pleut à torrent, ce n'est clairement pas le temps idéal. Tout en prenant le chemin de la garderie avec Bridget et Joy, Ivy se tourne vers l'adolescente : « Alors, comment vas-tu ? » souffle-t-elle prudemment. « Merci de nous accueillir chez toi » continue-t-elle avant de reprendre : « Même si théoriquement, tu n'avais pas vraiment le choix, je te le concède » Elle grimace. Elle ne sait pas vraiment ce que Bridget pense de cette cohabitation forcée suite au départ de Loyd, mais elle fera tout pour que ça se passe au mieux.