En réalité, la lettre qu’Hoani reçoit ce jour-là est dépourvue de chaleur et de mots doux.
L’accusation est forte, les mots sont durs.
Mais ceux-ci se terminent par une note que sa belle-sœur comprendra peut-être.

Seul le feu purifiera et révèlera la véritable nature de chacun.

La phrase n’est pas tout à fait correcte, et à y bien regarder, les espaces entre les lignes de mots manuscrits sont un peu plus grands que d’ordinaire. Mais si Hoani s’interroge et passe cette lettre sous la flamme d’une bougie, alors peut-être lira-t-elle ces quelques mots sincères écrits à l’aide d’une plume et d’un simple citron.

Hoani, je suis désolée.
Tu avais raison.

Rien de tout ça ne peut plus durer, et si cela ne vient pas d’eux… Cela doit venir de nous. Je suis désolée d’avoir abandonné, de t’avoir abandonné.
Je suis en contact avec Elijah pour parvenir à vous envoyer de quoi manger et survivre, à toi et ceux que tu pourras aider parce que malheureusement, nous ne pourrons pas vous aider tous.
De par ma position, je ne viendrais pas te rendre visite, j’ai une illusion à tenir et à entretenir dès la naissance de mon fils. Mais ne t’en fais pas, nous parviendrons à les ébranler. Les autres ont raison - tu avais raison - les choses changent. A une échelle que je n’imaginais pas alors.


Je te fais la promesse de ne plus abandonner. Quoi qu’il m’en coûte.

Te voir tomber a été la chose la plus terrible qu’il m’ait été de voir depuis longtemps. Prends soin de toi. Je te promets que l’on se reverra bientôt.

Ela Amrani.

Une deuxième signature, au-dessus de la première et l’officielle Mme Hawksley. Elle ne méprise pas pour autant le nom qu’elle porte, mais c’est comme de revêtir un nouveau symbole. Celui d’une rébellion qu’elle rejoint, et d’un devoir qu’elle reprend pour les siens et pour ceux pour qui elle combattait autrefois.

La réponse paraît sèche, téléguidée par cette même hypocrisie qui sied si bien à New Eden. Les phrases sont pondues sans vraiment faire sens, sans témoigner de chaleur non plus. Pour résumer, c’est un va-te-faire foutre déguisé en merci pour tes mots, je vais faire comme si ça comptait, qui parvient à la riche dame du deuxième district. Une missive qui passe à travers les mailles du filet, et qui se termine à son tour par une sentence étrange :

« Et nos plus vulgaires péchés seront lavés par la pureté que seules les flammes peuvent apporter. ».

Ce stratagème, Hoani vient de l’apprendre d’Ela, et elle s’enorgueillit de pouvoir le répéter à son tour. Afin que son amie puisse dévoiler à la lumière d’une bougie ses mots véritables, révélateurs des crimes d’autres, non point les siens.

Ela,

Je me languissais de te connaître enfin. Ta lettre m’est parvenue à point nommé. Quand tout va mal ici-bas, tu as su m’apporter une lumière bienvenue. Je me dois de te prévenir : ici, je n’abandonne pas, mais rien ne va. Je n’ai pas le temps de te narrer tout ce qu’il se passe au bidonville – tu n’y pourrais rien, de toute façon.

Mais je perçois ta motivation concrète, et je me dois de te passer le flambeau. Je ne peux plus rien, d’où je suis, mais toi, tu peux agir à ton niveau. Alors je t’en prie, fais quelque chose de ces feuilles de papiers mélangées aux plumes de mon matelas. Nomme ce général tant célébré à tort, qui cache les crimes de ses amis et de leurs affreuses progénitures. N’as-tu pas eu vent de ces femmes maladroites qui se blessent malencontreusement ? La femme d’Andy en sait quelque chose, ainsi que de nombreuses autres. Des noms et des signatures en bas de page devraient t’aiguiller pour que ce mystère soit enfin élucidé. On pourrait croire que ce sont les victimes qui se retrouvent aux portes de l’hôpital du D4, mais ce sont les coupables qui chuchotent dans l’ombre, pour que leurs méfaits demeurent cachés aux yeux de tous. Tu veux ébranler le système pourri jusqu’à la moëlle ? Commence par couper ses racines, un désherbage intensif est de vigueur.  

Sache que si je suis tombée, je compte me relever. Je ne sais pas où tout cela va me mener, mais je suis prête à en payer le prix. Je sais ce qu’il t’en a déjà coûté, mais j’ai besoin de toi, Ela. N’as-tu jamais songé à quel point nous pouvions former une bonne paire, toi et moi ? Je pense qu’il est temps de le montrer.

Veille sur Elijah, s’il te plait. Je le connais, je sais ce qu’il en est. Transmets-lui mon amour, si tu le peux. Et partage à Mia mes excuses. Fais attention à toi, à vous. Et ne m’oubliez pas, dans les tréfonds de l’abyme. Je ferai en sorte que cela ne soit pas arrivé pour rien.

Au plaisir de vous lire, Miss Amrani.
Jusqu’au bout.

Hoani Hayworth.

La signature ne porte pas le nom de son époux, quoi qu'elle lui voue un amour indéfinissable. Mais ce combat, elle l'a entamé bien avant tout ça. Et elle compte le porter avec fierté, et le signer de son propre nom jusqu'à la fin, doit-elle le payer de sa propre vie.

Une affaire d'identité: