Il n'aura fallu qu'une seule petite, infime, légère petite bêtise pour que le vase se mette à déborder. Est-ce que l'instructeur en a fait un peu trop, a sur-réagi et a essayé de faire de Bridget un exemple aux yeux de tous ? C'est ce qu'elle croit du plus profond de son âme. Il devait pas aimer la couleur de son teint, le son de sa voix ou même son nom de famille pour vouloir le lui faire payer de la sorte en la tirant hors des rangs en plein entraînement et en lui hurlant, elle le citera elle-même, "d'aller se faire foutre ailleurs et de ne plus jamais revenir" !

Des conneries, elle en a déjà fait à la pelle. Comme tous les adolescents immatures de son âge ! Elle cherche encore à savoir qui elle est, elle se donne en spectacle, déteste limiter le flux de ses pensées en s'empêchant de mettre en action bon nombre d'idées qui peuvent lui venir en tête. Elle a tout fait, Bridget. Elle a pointé un ami avec le bout de son arme en lui hurlant de lever les mains, implorant la panique de tous ceux qui n'avaient pas compris qu'il s'agissait d'une blague. Elle a essayé de donner un coup de crosse dans le visage d'une autre gamine pour voir si ça mettait bien K.O. (comme dans les films). Et sa dernière connerie en date fut celle de tirer en l'air en plein entrainement... dans le simple objectif d'appeler au silence. Parce que l'instructeur ne sait pas tenir un cours (de toute évidence) et qu'elle sentait qu'il avait besoin de son aide pour les rappeler à l'ordre.

Il n'aura fallu que d'un tir, une simple balle partie dans les airs, pour que silence se fasse.
Il aurait dû la remercier, la féliciter. Mais que nenni. Cet enfoiré aux joues creuses s'est mis à virevolter, l'a désarmée en tirant son arme de ses mains avant de la tirer par le bras et de la faire voler hors du terrain de tir.

- J'en peux plus des gamines mal élevées... T'iras régler ça avec Levi !
- Nan nan, j'vais plutôt régler ça avec ta mère, putain d'con ! Lâche-moi !

Ça a évidemment provoqué l'hilarité (alors qu'elle était parvenue à ramener le silence) ! Un comble. Et un sacré connard. Elle est allée se plaindre à tout le monde, mais personne n'a jugé bon de le sanctionner ou de faire remonter l'info aux oreilles de June. Comme si on avait le droit de frapper des gosses, maintenant !

Le monde à l'envers.

Elle n'sait pas qui il est, Levi. Elle sait juste que Zelda a un souci avec lui, qu'il l'a tabassée. Bri, elle n'a pas peur d'ces conneries. Elle est armée de ce même couteau qu'on a demandé à tout le monde d'avoir sur soi il y a quelques temps, au cas où... et la môme n'hésitera pas à l'utiliser s'il essaie de se mesurer à elle !

Et voilà qu'en plein week-end, tôt le matin, elle se voit obligée à enfiler manteau et baskets pour aller rencontrer cet inconnu dans le froid, à ce même endroit où on l'a humiliée une semaine plus tôt.

- C'est toi, Levi ? Ses lèvres gercées remuent devant l'homme qui fait deux fois sa taille. Le seul dans les environs à une heure si matinale, et avec un froid pareil. Il fait un peu la tronche, mais rien de grave : ce doit être simplement à cause de ces quelques courtes minutes de retard causées par une envie de rester bien au chaud au fond de son lit un peu plus longtemps.

Son retour à Fort Ward s'était fait dans une relative tranquillité. Relative parce qu'avec la naissance de son fils et l'état de fatigue d'Indiana, il n'avait pas vraiment une minute à lui. Rajoutons à ça qu'il évitait May, qui voulait vraisemblablement lui parler de Dieu savait quoi, et le tableau était complet. Levi avait juste repris les entrainements et l'organisation des expéditions comme il le pouvait. Avec les restrictions et les dépenses à considérer, c'était à chaque fois une épreuve de pouvoir établir un emploi du temps clair pour les explorations, rien de très encourageant considérant ce qu'il se tramait autour d'eux.

Il y avait des fois où il se disait que l'extérieur lui manquait. Même deux mois en compagnie de Zelda, exclusivement en tête à tête, ça lui semblait être moins terrible que ce qu'il avait retrouvé à l'intérieur. Pourtant, Levi n'était pas le dernier à "s'épanouir" et gérer dans son rôle de père, de compagnon. Mais les tensions présentes ne lui donnaient pas envie de revenir. Pourtant, voir ses filles ou ses fils n'était jamais déplaisant à son sens. Jamais. C'était autre chose sur lequel il ne comptait pas poser de mots pour l'instant.

Ce matin là, il se trouvait déjà, tôt, sur le terrain d'entrainement après une demande un peu particulière. Son retour impliquait de prendre en charge, de ce qu'il comprenait désormais, des cas désespérés. Fort du miracle qu'était Sean, de plusieurs réussites, et plus ou moins d'avoir réussi à ramener Zelda vivante en résistant à l'appel au meurtre qu'elle représentait, son CV parlait pour lui depuis un moment déjà. Encore plus depuis qu'il était revenu avec quelques informations primordiales et des réponses aux questions que certains se posaient. Non, décidément, l'extérieur lui manquait.

D'autant plus quand il fut en tête à tête avec une adolescente, qui entama les hostilités. Hmm ? Il fit mine de rien, il savait comment elle s'appelait mais, les premières impressions lui semblaient importantes : Tu es ? Demanda-t-il dans la foulée. Pas besoin d'en faire des caisses, il voulait voir si elle allait être d'emblée honnête avec lui. Même s'il ne portait pas son masque de monsieur sourire. Tu m'expliques aussi avec tes mots pourquoi j'dois gérer une gamine à cette heure-ci ? Enchaina-t-il finalement, les mâchoires serrées et un regard brillant dans sa direction : Choisis-les avec précaution, petit conseil avisé.

- Bridget Rowe... Cadre infirmière au dispensaire, et future grande reporter. Si ça t'intéresse !

Elle se survend un peu, raconte de grandes conneries... Mais c'est pas bien grave puisqu'il faudrait être le dernier des cons pour la penser vraiment cadre. Les présentations, c'est toujours relou. Quoi dire, comment s'introduire aux autres, c'qu'on a le droit de raconter ou c'qu'on devrait éviter de balancer. Ils sont là très tôt le matin dans un froid inimaginable, Bridget est pas mentaliste mais est quasi certaine que de savoir c'qu'il est arrivé à ses parents ou quel était le nom de son chien d'avant... Il en a pas grand chose à foutre. Et c'est à peu près pareil pour elle, même si Bridget sait se montrer très curieuse quand il s'agit de gens censés lui devenir importants. Mais ce Levi... Mouais. À première vue, il fait beaucoup moins de manières que l'autre instructeur, mais il fait surtout porte de prison. Froid, fermé. Et de par ses mots, Bridget a quasiment l'impression qu'au premier mot mal choisi, il est capable de lui mettre une pichnette. Bah... La môme hausse les épaules, ses mains s'agitent un peu dans les poches de son manteau, mais... Est-ce que c'est un genre de menace, ou juste un conseil ? Histoire de savoir si... demande-t-elle avec autant de gêne que de curiosité. Parce que j'suis pas forcément la meilleure pour choisir les bons mots, surtout lorsqu'il s'agit de qualifier des injustices qui m'mettent dans tous mes états.

- Mais si tu veux la vérité : c'est simplement qu'j'ai voulu l'aider à ramener le silence parce que c'gros con semblait pas capable de faire taire des ados alors qu'bon, il a le double de leur âge... la môme explique en hochant la tête, convaincue par ses explications de cet évènement qui l'aura autant énervée qu'amusée, en tout cas après. J'voulais juste lui donner un coup de main, de base ! Sauf qu'il a pas eu l'air d'apprécier que j'montre plus de virilité que lui, j'sais pas trop. Et bref, voilà. Il veut plus s'occuper de moi, et il m'a dit que j'devrais venir voir un Levi. Toi.

Le type qui revient tout juste de l'extérieur et qui va faire de sa vie un plus grand enfer à coup sûr. Du moins, c'est ce qu'on lui a dit. Mais c'était peut-être pour la faire flipper...

- C'est comment les entrainements avec toi, sur l'échelle de la torture... ? Les gens abusent quand ils parlent de toi, ou tu serais vraiment capable de me mettre des coups de poing pendant que j'agonise de froid dans la neige, sous prétexte de simplement m'endurcir ? Réelle interrogation, Bri' a besoin d'une réponse pour combler une grande inquiétude. Mais elle fait la belle... et elle n'est certainement pas venue ici pour souffrir !

Oh non, j'en ai strictement rien à foutre, annonça Levi d'un ton froid, en haussant les épaules. Il ne lui demandait pas son CV, seulement son nom. Le reste, si ça l'intéressait à un moment donné, il saura lui poser la question. Mais pour l'instant, ouais, il s'en fichait. Il l'écouta expliquer sa situation, du début jusqu'à la fin, en scrutant surtout ce petit sourire d'adolescente insolente, qui lui tapait grandement sur le système. L'israélien n'était pas un tendre, et son attitude froide resta d'un bout à l'autre de son laïus. Il ne força pas un sourire, pas même à sa question : T'as envie de le savoir ?

Il lui fit de fait une démonstration immédiate. Elle qui avait les mains enfoncées dans les poches n'eut pas le temps de parer le coup ou de se défendre. Il l'attrapa sans vergogne par la gorge avant de balayer ses jambes et l'envoyer au sol d'un mouvement sec. Il ne se paya même pas le luxe d'amortir la chute de la jeune fille, lui qui l'avait manipulé comme une poupée de chiffon. Et alors qu'elle retrouvait son souffle après s'être fait soulever comme jamais auparavant, il se pencha au-dessus d'elle avec un sourire.

J'adapte mes entrainements en fonction des gens que j'ai en face de moi. J'suis plus là pour aider ceux qui ont envie de pousser, tu vois ? Qui ont vraiment les crocs, indiqua-t-il d'un ton ferme : Les petites princesses dans ton genre qui se pensent super malines, y'a un moment où je me lasse de les entendre écouter le son d'leur propre voix, si y'avait vraiment un truc qui ne le passionnait pas, c'était bien ça. Avec moi, le deal est clair : Soit tu en veux, et j'peux te donner c'qu'il faut pour ça. Autant dire que ça allait être long et douloureux, mais les résultats seraient là.

Soit tu veux me faire chier... Et là aussi, je saurais me montrer très fort. Mais à la fin, c'est pas moi qui iras pleurer dans les jupons d'ma mère, annonça-t-il sans cacher qu'il pouvait presque espérer qu'elle choisisse cette option. Tu peux demander à Zelda, elle t'expliquera ça mieux qu'moi, souffla-t-il sur le ton du secret dans la foulée : Oh, il y a une histoire où elle raconte que je l'ai tabassé dans la rue à l'abri des regards, je crois ? Il fronça les sourcils, l'interrogeant du regard : Je sais comment ne laisser aucune marque, souligna-t-il. Tu veux savoir comment faire, ou tu veux que j'te montre directement sur cobaye ?

Une chose est sûre... C'qu'on a dit à Bridget sur ce type avant qu'elle ait l'occasion de le rencontrer s'avère finalement totalement vrai. En plus d'être beaucoup plus insolent qu'elle n'a jamais pu l'être avec qui que ce soit, on peut lui reconnaitre quelques airs de sale con et certainement un besoin déconcertant d'avoir envie de prouver sa virilité. Parce que monsieur a d'gros muscles, parce que monsieur aime humilier des fillettes d'douze ans ! Bridget se présente, le questionne ensuite (tout en ayant une idée des réponses attendues) sur ce qu'on a pu lui conseiller à son sujet. Au lieu de faire taire les rumeurs à coup de ruban adhésif sur une paire de lèvres, il lui propose carrément de le lui montrer.

- Bah... Nan, pas trop ? Elle veut pas finir par terre. C'était qu'une question à laquelle peut-être... 99% des gens auraient répondu en cherchant à se défendre ? Mais non, Levi est différent... et il le lui montre sans trop tarder en l'attrapant par la gorge et en la balayant comme un nouveau-né qui sait même pas tenir sur ses pattes ! En une seconde et demi, Bridget se retrouve en train d'agoniser au sol ! Son manteau rembourré encaisse une grande partie du choc, fort heureusement. Et ce n'est qu'à moitié sonnée que Bridget assiste à tout un spectacle de mise en scène proposé par son tout nouvel instructeur, Bruce Lee en personne...

Ses yeux clignent. Elle essaie de comprendre ce qui vient tout juste de lui arriver pendant que le quarantenaire lui débite toute une leçon de provocation, penché par-dessus sa silhouette immobile sur le béton humide. Il part du principe qu'elle n'est qu'une peste qu'on a besoin de rééduquer, l'une de ces filles qui n'existent qu'à travers la superficialité. Manque de bol, il se trompe complètement et tout ce qu'il dépeint en essayant de l'analyser... ce n'est rien d'autre qu'un ramassis de conneries à travers lesquelles Bridget ne se reconnait pas.

C'est donc tout naturellement et seulement après avoir récupéré quelques forces que Bridget prend appui sur ses coudes, puis sur ses pieds. La petite silhouette qui trainait par terre se remet sur pied sous le regard lourd et les paroles qui le sont tout autant de cet homme à qui on l'a confiée... Elle le coupe en pleines menaces, alors qu'il a l'air de vouloir en faire un exemple. Elle a déjà entendu parler de ces histoires avec Zelda, mais... tout en s'en foutant.

- Refais, mais doucement. lui demande la môme, le souffle coupé. Elle n'a visiblement pas eu le temps de se remettre pleinement du choc que Levi vient tout juste de lui offrir, mais... elle veut en remettre une couche. M... Montre-moi, que je puisse voir comment t'as fait. Elle sourit à nouveau, mais d'une façon bien différente que celle qui semblait avoir motivé le passage à l'acte de l'israélien. Bridget s'équipe d'une grande vivacité et d'une envie presque... flippante (?) de le voir recommencer. Comme si elle avait pris de la drogue, ou une grande quantité de sucre. Elle est agitée, excitée, prise d'une motivation certaine mais inquiétante. Pour apprendre de lui, pour pouvoir le faire à d'autres... Peut-être que tout ce dont elle avait besoin, ce n'était que d'un challenge ?

Est-elle tombée sur la tête ? Ou est-elle peut-être devenue complètement folle ? Elle a l'air d'une folledingue à greloter autant, avec les bras le long du corps et les jambes qui s'agitent mécaniquement. De petits nuages de buée quittent ses lèvres à chaque expiration. Montre comment qu't'as fait, j'veux... j'veux apprendre, Levi ! Allez ! Les yeux plissés, elle se demande bien ce qu'il attend !

La réaction de Bridget n'était pas tout à fait ce qu'il s'attendait. Elle parvint à le surprendre - positivement - alors qu'elle retournait sur ses jambes. Loin d'être effrayé par son discours, elle avait même fait son choix et se décidait désormais à l'écouter, à lui poser des questions et... A apprendre, visiblement. Est-ce qu'il fallait juste ça pour que l'adolescente s'apaise et rentre dans le rang, au moins un peu ? Il ne savait pas. Il ne comprenait pas grand chose aux affres de l'adolescence, notamment parce que lui-même avait traversé la sienne sans les histoires qui y étaient liées.

Est-ce qu'il le regrettait ? Il n'en était pas bien sûr. Quand il voyait la réaction de Zelda, les difficultés de Sean parfois, les jeux des hormones aussi, ça ne lui donnait pas forcément très envie. Il se contentait de sa manière d'être, et de vivre, sans se soucier de ce qui fascinait pourtant bien des gens. Certains se lovaient dans les addictions en tout genre : drogue, alcool, cigarette ou sexe, pour compenser les manques de leurs vies passées. Levi était trop borné pour ça d'une part, et n'en voyait sincèrement pas l'intérêt.

Ok, lentement, annonça-t-il à la jeune fille en décomposant son mouvement. D'une voix ferme, il expliqua alors tout le déroulé : Quand tu bénéficies de l'effet de surprise, ça va vite, t'as pas besoin de trop en faire, il lui montra alors, en accompagnant sa chute cette fois pour l'épargner, avant de l'aider à se remettre sur ses jambes : Si t'as besoin, tu frappes fort pour couper le souffle, ça t'accordera quelques secondes supplémentaires, il ne lui fit pas l'exemple cette fois, ça ne servait à rien. Mais il lui proposa de reproduire les gestes sur lui, puisqu'elle était là pour ça.

Dans tous les cas, puisqu'elle était motivée, la blonde pouvait voir qu'il s'appliquait aussi sur son enseignement. Patient, pédagogue, attentif, il modifia la position de sa jambe quand elle essaya, et lui remontra la forme que devait prendre sa main pour sa prise. L'indicatif d'où elle devait viser pour lui couper le souffle. Défais ta veste, elle va te gêner, lui fit-il ensuite en l'encourageant à faire vite. On va bouger de toute façon alors t'auras pas froid, même si il faudrait le temps de se réchauffer un peu. Personne t'a jamais appris à faire ça ? Demanda-t-il par curiosité. Tu participes aux entrainements pourtant mais tu sais pas te battre ?