18 décembre.

Une fine pluie automnale émettait un clapotement cristallin contre les vitres de l’infirmerie. Une partie des Expendables était arrivée en catastrophe au cours de la matinée, exténués et couverts d’entrailles encore fumantes. Ils avaient fait route depuis le domaine des Inglorious Fuckers, après avoir appris le départ d’Elena pour Crescent Bay. Les événements s’étaient précipités en l’espace de quelques jours, et les visiteurs succédés à une cadence surprenante, au point que le grec en ait été quelque peu déconcerté.  

À tous, Valérian répétait la même chose : ils ne pouvaient pas s’attarder, au risque que les pirates débarquent d’un moment à l’autre et découvrent leur présence. Un danger pernicieux flottait comme une nappe de brouillard au-dessus de Crescent Bay. Au campement, les visages étaient pâles, creusés par la fatigue, et arboraient des expressions sinistres, dignes d’un enterrement. On jetait souvent des regards soucieux vers l’horizon dans la crainte d’y voir apparaître des voiles noires.  

L’arrivée en fanfare d’Elena avait valu quelques sueurs froides au grec. Il ne comprenait toujours pas quelle mouche l’avait piquée : pourquoi diable avait-elle pris la route si proche du terme ?! Elle et son enfant s’en sortaient miraculeusement bien compte tenu des nombreux dangers qui jalonnaient les chemins accidentés entre le domaine et Crescent Bay. À l’arrivée de la grecque qui, escortée par Sebastian et Olivia, avait serré contre elle un nourrisson violacé encore couvert de fluides corporels, Valérian en avait perdu son anglais : en proie à une panique totale, il avait précipitamment distribué des ordres, à grands renforts de gestes fébriles, pour que la nouvelle maman soit rapidement prise en charge. À cette grande frayeur avait succédé une profonde consternation. « Mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête ?! » avait-il gémi. Autant dire que les nerfs du grec avaient été soumis à rude épreuve par ce nouveau rebondissement.  

Ce fut ensuite au tour des Expendables de débarquer. En apprenant la nouvelle de sa paternité, Connor avait été frappé de stupeur : sans un mot, il avait engouffré la silhouette de Valérian dans une étreinte vigoureuse, ce qui avait brusquement réveillé la douleur de ses articulations. Blême, le grec n’avait pourtant pas bronché. Il avait attendu que son ami retrouve ses esprits pour ensuite le guider jusqu’à l’infirmerie où Elena avait été installée avec son bébé. Depuis, il n’avait pas osé perturber l’intimité du couple.

Le temps pressait malheureusement. Aussi, Valérian s’était-il finalement résigné à rejoindre l’infirmerie, tout en répugnant profondément à déranger le repos d’Elena. Il hésita, puis porta trois coups contre le bois de la porte avant d’actionner la poignée lorsqu’il obtint une réponse favorable de la part du couple. « Navré de vous déranger. » s’excusa-t-il avec un sourire désolé. « Je venais voir comment vous alliez. »

Ses yeux noirs se posèrent brièvement sur le berceau dans un coin de la pièce, puis il se tourna vers ses amis. « Est-ce que… est-ce que vous avez besoin de quelque chose ? » demanda-t-il quelque peu gauchement.

Il se raidit en se retournant. Depuis des heures, Elena et lui parlaient à ne plus en finir. Keith s'était réveillé, s'agitant un peu, réclamant les bras de sa mère avant de vouloir retourner dans son berceau. Ce fut avec une certaine fascination que Connor observa le manège, eut le droit de prendre son enfant dans ses bras également. C'était si étrange de le tenir contre lui, de se rendre compte de la différence de gabarit. Tout ça lui faisait évidemment penser aux premiers mois d'Elliot, et d'à quel point il avait vite grandi. Si vite. Une vive émotion le tenait, au point de faire vibrer sa voix alors qu'il parlait avec Elena.

Et puis, l'intervention de Valérian lui arracha un sourire. Tu nous déranges pas, si leur ami semblait un peu gêné et en retrait, il n'y avait rien chez les deux parents qui donnaient l'impression de ne pas vouloir le voir. Connor échangea un regard complice avec Elena, chargé de la même tendresse que d'ordinaire, décuplait par la naissance de leur enfant. On parlait justement de trouver un parrain à notre fils, fit-il pour la mention, avisant des débats pour le moins animé entre eux depuis tout à l'heure : S'il pouvait en avoir deux, j'aimerais que ça soit toi et Sebastian, pour ce que vous avez fait pour Elena, fit-il.

Il eut un sourire pour Elena : Mais madame tranchera la question comme elle l'entend, elle avait toujours le dernier mot de toute façon, surtout sur ces questions-là. Il n'était pas contrariant non plus pour la marraine. Alex ou Faith. Ou les deux. Il aimerait les deux. Mais encore coincé dans des idées préconçues, Connor n'avait pas encore réfléchi au fait qu'ils pouvaient aussi faire comme ils l'entendaient. Tu veux en parler ? Demanda le blond à Valérian, en posant son regard sur le grec : On est tes deux plus proches amis, non ? Suggéra l'homme doucement : De ce qu'il s'est passé ici, il n'avait que des échos. Tu peux tout nous dire, certifia-t-il.