Le départ approchait et le gitan ressentait l’effervescence comme lorsqu’il était enfant, et qu’ils quittaient leur campement. Il n’était pas tant attaché aux lieux qu’aux gens qu’il avait pu rencontrer ici. Qu’aux amis, à la seconde famille, parfois inattendue, qu’il avait pu se faire. Mais ce n’était pas pour ça qu’il allait voir Cassidy. Il n’était pas sûr de pouvoir supporter des adieux qui lui laissaient un goût amer, même s’il avait la sensation d’agir comme il le devait. Il voulait la quitter sur une note positive, sur ces têtes-à-têtes intensifs qui les laissaient tous les deux épuisés, mais rassérénés. Ils ne pourraient pas escalader le mur qui avait été monté à l’écurie, ni s’échiner auprès des plantations, cette fois. Ils pouvaient toujours aller courir, mais ce n’était pas ce que le gitan avait en tête.

Un léger sourire pointa sur les lèvres du gitan, alors qu’elle l’attendait, vêtue d’une tenue confortable mais qui n’entravait pas ses mouvements. La prenant rapidement dans ses bras, il la regarda. « T’es prête ? » Pas de temps pour les fioritures, pas maintenant. Un peu plus tard, peut-être. Si elle avait ses herbes… Oui, peut-être. « J’ai deux options, pour aujourd’hui. Peut-être qu’on fera les deux, si tu es appliquée. » Une simple boutade, sachant qu’elle était aussi investie et énergique que lui. Un bon duo pour se dépasser, un bien mauvais duo pour se mettre des limites quand il le fallait. « Escalader un bout de la falaise, ou faire quelque chose de totalement nouveau. » Elle ne pouvait de toute façon pas ignorer la lance qu’il tenait. « Ca te dit de t’entraîner à la manier et à la lancer avec moi ? » Il n’avait pas son pareil pour attaquer avec, en contact rapproché, mais viser une cible à distance… Ca n’était pas, et n’avait jamais été son fort. Il demanderait peut-être de l’aide à son frère, à l’avenir, mais le maniement d’une lance n’avait rien à voir avec les couteaux que Tiago utilisait. « J’ai encore des progrès à faire, mais je me suis dit que ça pourrait être… » Intéressant ? Amusant ? Un vrai défi ? Probablement davantage le dernier. Il s’entrainait régulièrement à la manier, de manière plus sérieuse, auprès de Frances et Nihima, mais le faire avec Cassidy serait bien différent. « Tu veux être ma cible ? » Le sourire du gitan ne trompait pas : il ne s’y risquerait pas, tant qu’il n’aurait pas acquis une meilleure maîtrise. Mais elle pourrait lancer des cibles mobiles : cailloux, ballons, coussins… autre chose. Et il ferait de même pour elle.

Un mot : le bordel. Ça résume plutôt bien la situation actuelle je trouve. Un bordel organisé certes, mais un bordel quand même. Et c’est cool, ça avance, tout est presque près. Je crois que j’ai rien oublié, rien d’importants en tout cas. Toute façon, je suis revenue, tout était déjà en préparation, j’ai juste eu à aider et valider certains trucs pour les plantes. C’est juste un peu chiant, parce qu’il y a tellement de trucs, que je sors pour faire quelque chose, que j’oublie, que je pars sur autre chose et… ouais, un peu comme d’hab, sauf que là, ça peut être chiant. Mais bon, vu qu’ils me connaissent, ils anticipent et… comptent qu’à moitié sur moi. C’est pas très sympa dit comme ça quand même. Ça devrait me vexer de pas être trop digne de confiance à ce niveau-là. Ça me vexerait ptet si c’était pas vrai et que j’en était pas totalement consciente. Donc c’est cool donc, tout va bien.

Ou presque tout. Est-ce que je fais la gueule ? Non. Pas vraiment. Est-ce que je suis triste et inquiète ? Ça se pourrait. Du coup, je suis un peu grognon. Pas tout le temps, juste là maintenant, pour lui. Même si je me suis libérée du temps exprès pour pouvoir en passer avec lui. L’un empêche pas l’autre je suis désolée. Je fronce les sourcils quand il me prend dans ses bras et qu’il enchaine direct. Un grognement m’échappe, mais déjà, il m’explique son programme. Comment vous voulez que je continue de bouder sérieux ? « T’abuses ! Je comptais faire la gueule parce que tu viens pas et tout, et toi tu… » Je le dévisage. « Du lancer… de lance ? » Okay ça peut être trop cool, et ça doit se voir à mes yeux qui s’illuminent. Je le pointe du doigt. « Tu sais que je suis pas appliquée, ou jamais bien longtemps. Alors ça compte pas. » Je jette un coup d’œil à sa lance, commençant presque à sautiller sur place. « Tu te débrouilles super bien avec, c’est pas mon cas. Je devrais pas apprendre à jouer avec avant de tenter de la lancer ?... Même si je suis sûre que je suis super douée. » Je souris. « Carrément que je veux être ta cible, mais tu viseras pas assez bien pour m’avoir, je suis trop rapide. » Okay, je suis capable de dire autant de conneries que lui. « J’aurais le droit à un bâton ? Tu m’en offres un ? Je mériterais d’avoir un cadeau je trouve. Et ça me fera un souvenir !... En attendant que tu reviennes. » Quoi ? Je tente ! « Oh et euh, l’escalade, ça me va aussi ! Mais après, j’aurais plus de bras sinon. »

Rafaël adressa un grand sourire à Cassidy, sachant très bien que, même si elle était contrariée, ça ne durerait pas bien longtemps. « Vas-y, je me tais, je te laisse dire tout ce que tu as sur le cœur ! » Parce que ça restait important. Vraiment. Il ne voulait pas qu’ils se séparent sans qu’elle lui ait dit tout ça. Et sans qu’elle ne soit – un minimum – en paix avec leur séparation pour les quelques mois à venir.

Même s’il comptait bien outrepasser ça et passer un bon moment avec elle. Ce qui ne manquerait pas, s’il en croyait la réaction de Cassidy. « Ben non, je vais te lancer toi ! Voir si tu fais bien l’écureuil volant ou pas. » Il lui donna une bourrade affectueuse dans l’épaule, avant de reprendre la parole. « Quoi que, ça doit être super cool, de faire l’écureuil volant. » Carrément, même. « Ok ok, je rectifie, les deux, si tu n’arrives pas à te concentrer assez longtemps ? » Même s’il était presque sûr que ça ne poserait aucun problème. Ou pas vraiment. Il savait plus ou moins comment détourner son attention de ce qui pouvait la distraire – parce qu’il était presque pareil.

« Tu dis ça, mais je ne t’ai pas encore vu courir contre Saba et moi ! Avec un handicap pour Saba parce qu’il me porterait, en plus ! » Parce qu’il était, bien évidemment, massif et trop lourd pour l’étalon, ça sautait aux yeux. « Je peux te montrer les mouvements de base ! Mais de toute façon, même si l’un ne va pas sans l’autre, ça ne demande pas les mêmes choses. Pour la manipuler, il faut de l’agilité, de l’adresse. Pour la lancer, il faut de la précision, savoir viser. Pour les deux, il faut mesurer ta force et l’adapter à ce que tu fais. Ils sont complémentaires, maîtriser l’un peut aider à maîtriser l’autre. » Et il espérait qu’ils pourraient s’entraîner ensemble, quand ils se retrouveraient.

Levant les yeux au ciel, il sourit à son amie. « Tu perds pas le Nord ! Mais… Pourquoi pas. Si tu me promets de t’entraîner. » Il en avait, à vrai dire, un pour elle. Un qu’il conservait depuis longtemps, qui lui appartenait mais qu’il n’utilisait plus vraiment – c’était du sentimentalisme, plus qu’autre chose. « Mais qu’est-ce que j’aurai, moi, en cadeau et en souvenir ? » Quoi ? Si elle y avait droit, lui aussi ! « Allez, viens ! » A l’orée des bois. Il avait peint des cibles grossières sur des arbres, pour être sûr que personne ne viendrait les déranger – parce que s’il voulait qu’ils s’entraînent, il voulait aussi qu’ils n’aient pas la pression de faire des mouvements exacts. Cassidy commençait à apprendre et lui… Un peu aussi.

« Allez, chacun à tour de rôle. » Faisant face à la cible la plus proche, il fléchit légèrement les jambes, se concentrant pour atteindre le tronc… et sa lance passa légèrement à côté, éraflant à peine l’arbre. Grimaçant, il se força à positiver malgré tout. « Au moins, je ne peux que m’améliorer ! » Ou rater d’un encore plus grand écart. « Allez, à toi ! » Il irait récupérer la lance après qu’elle l’ait lancée.

Spoiler:

Qu’il ose dire qu’il se fout pas de moi avec son grand sourire là ! « Tu crains voilà. » Je le dévisage en fronçant les sourcils, pas embarrassée le moins du monde par cette déclaration digne d’un enfant de 10 ans. Ça va, déjà c’est pas un truc genre « t’es moche et tu pues, t’es plus mon copain d’abord ! » je trouve que c’est pas si mal. « On a trouvé cet endroit ensemble, tu devrais être avec nous quand on y arrivera. Et puis, ici, ça risque d’être super dangereux. » Sur la route aussi okay, mais on sera ensemble, alors qu’ici, il restera presque personne. Et y aura encore moins de monde s’il venait, je sais, mais quand même. Je le fixe d’un air boudeur qui accompagne très bien ma première tirade. « J’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose. Surtout qu’on le saurait même pas ! » Et ça, ça craint encore plus. « Olivia reste aussi, tu garderas un œil sur elle si tu peux ? »

Mais forcément, il arrive rapidement à me dérider. En même temps, faut pas grand-chose en général. « Tu crois que t’arrives à me soulever et me lancer ? Parce que si c’est le cas, je te jure que je prépare une cape façon chauve-souris pour la prochaine fois. » Ce serait possible de planer avec ça ? Comme il dit, ce serait trop cool si ça marchait. Idiot, mais trop cool. Je hoche la tête. « Les deux ça me va. Ptet même que j’arriverais à te battre en escalade ! » C’est pas encore arrivé, et je suis pas encore à la hauteur, mais je suis sûre qu’avec de l’entraînement, je lui mets la misère.

Je roule exagérement des yeux. « Un sacré handicap ouais !  Et je vous attends moi ! Quand tu veux ! » Je lui offre un immense sourire, avant d’écouter attentivement quand il parle de la lance. Je fronce les sourcils. La première partie, ça devrait aller. La précision par contre… et je parle même pas de la force, qui est loin d’être mon point fort, même si je sais que j’ai pris du muscle depuis que je suis ici. Est-ce que je sais viser ? En dehors de chopper un ballon de foot ou pour faire des passes ? C’est un coup qui se prend… Et puis, au pire, avec de l’entraînement, ça devrait être bon, non ? « Okay. Agilité, précision, force. Facile ! » Etre sûre de soi est la première étape pour réussir, et ça, je sais faire, quand ça touche à un truc sportif quoi.

Je hausse les sourcils. « Sérieux ? T’en as un en rab ?… Que tu me confierais ? » Ce serait chouette ! « En souvenir, je peux te confier une copie de l’almanach des plantes qu’on fait avec Ludwig. C’est pas hyper romantique je sais, mais ça peut aider à survivre. » Je hausse les épaules, avant d’avoir un sourire en coin. « Et il me reste peut-être de quoi fumer, en cadeau. » Ouais, je fais que des cadeaux utiles. Je lui emboite le pas sans attendre, esquissant un nouveau sourire en voyant qu’il avait préparé le terrain en prévision. Ça fait toujours plaisir de savoir que les gens accordent de l’attention à ce qu’ils font avec vous.

Je le regarde faire, notant sa position, et je grimace quand la lance loupe de peu l’arbre. « C’était franchement pas mal ! » Je fais craquer mes épaules en prenant sa place, soupesant le baton en cherchant comment le prendre. Je change légèrement la position, copiant un peu plus celle d’un quaterback. Et la lance part… Pour attérir dans le tronc, pas siii loin que ça du centre de la cible. Je sautille en frappant des mains, avant de me tourner vers lui, un immense sourire sur le visage. « T’as vu le talent ?! » De la modestie Jenkins. Je toussote et reprends d’un air faussement modéré, réprimant tant bien que mal mon sourire. « ça doit être la chance du débutant. » Ouais, on va dire ça. Sinon le karma serait capable de me dire fuck, et je me la lancerai dans le pied au prochain tour.

Spoiler:

Il ne pouvait pas s’empêcher de sourire face à son attitude, malgré le pincement au cœur à l’idée de ne pas savoir quand il la reverrait. Mais c’était son choix et il lui devait au moins de la réconforter, sans émettre ses propres doutes. « Je te promets que je reviendrais, même si je ne suis pas là quand vous y arriverez. Je compte sur toi pour me trouver le meilleur endroit où vivre là-bas et de le défendre férocement ! Comme la dragonne que tu es. » Il fit mine de se protéger, attendant le coup léger qu’elle ne manquerait pas de lui mettre. De toute façon, il n’y avait pas vraiment d’habitation à Yakima : tout était à construire. « Bien sûr que oui. Elle compte beaucoup pour moi aussi, je veillerai sur elle autant que je le peux. » Il ne voulait pas perdre qui que ce soit. « Et je te promets que je veillerai autant que possible sur moi. Et je t’écrirai des comptes-rendus, que tu puisses tout lire à ton retour, et que tu vois que je n’ai jamais été en danger ! » En occultant peut-être certaines choses, si c’était nécessaire.

« Tu doutes de moi ? » S’il essayait de garder son sérieux, il prit vite une mine déconfite. « Ok, ok, je ne pourrai clairement pas te lancer. Mais je m’entrainerai ! Je couperai des troncs pour les porter et les lancer, comme ça, à nos retrouvailles, hop, je te lancerai ! Comme un homme fort ! » Il lui fit un petit clin d’œil, sachant l’ironie de sa remarque : il avait beau avoir de la force, il était loin d’être particulièrement musclé ou le type même de l’homme fort, et n’y prétendait pas du tout. « Dans ce cas, je compte sur toi ! Tu t’entraînes pour me battre, je m’entraîne pour te lancer ! » Quitte à envisager des choses irréalisables, autant lui en donner une toute aussi insurmontable. Comme le fait que Cassidy le batte en courant alors qu’il était lancé sur le dos de Saba. S’approchant d’elle, la prenant dans ses bras par impulsion, il chuchota. « Tu veilleras sur lui ? Je… Il est à toi, d’ici à ce que je revienne. » Bien sûr, il l’aurait avec lui pour le début du trajet, mais il savait déjà qu’il devrait s’en séparer et ça lui crevait le cœur.

« Celui avec lequel je m’entraînais, plus jeune. Il est plus léger, plus facile à manier, quand on est débutant. Moins résistant, aussi, mais il fait moins mal. Tu ne pourras pas te battre sérieusement avec, mais ça suffit pour apprendre. » Et c’était sentimental pour lui, mais il était prêt à le lui donner. « Ça me ferait plaisir. Surtout si Ludwig et toi avez travaillé dessus. » Ils étaient tous deux chers à ses yeux. « Et je savais que tu ne serais pas assez cruelle pour ne pas me donner de quoi fumer ! » Parce qu’il ne pouvait plus vraiment s’en passer, surtout pour dormir.

Mais ils verraient ça après. Après tout, il était temps qu’ils s’entraînent. Pour la dernière fois, avant qu’ils ne se retrouvent. « On va dire ça ! » S’il aurait pu se vexer, ce n’était pas vraiment son genre. Surtout alors qu’il avait appris, avec la compétition, à ne pas trop prendre les choses à cœur. « T’es la meilleure, c’est évident ! » Il n’avait pas grand mal à dire ça, alors qu’il récupérait le lance à son tour, la lançant une fois puis deux, manquant à nouveau le tronc de peu. A deux reprises. « Je vais finir par croire que c’est encore pas à ma portée, hein ! » Il avait beau ne pas se vexer, c’était malgré tout frustrant. Et il faudrait qu’il fasse mieux que ça, à l’avenir. Bien mieux.

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