L’entrevue avec Ulrich s’est déroulée sans accroc, nous avons réussis à négocier, même peu. L’important surtout avait été de se faire remarquer, et de manière positive si possible par les têtes pensantes de la plateforme. Mais depuis, je n’ai plus de nouvelles, je reste à me morfondre dans mon coin sur la mort de mon ami. Reese essaie tant bien que mal de me faire garder la tête hors de l’eau, quant aux autres filles, je me contente de vivre et dormir avec elle.  

J’essaie de faire ce qu’on me demande sans rechigner, mais je dois dire que je ronge mon frein, attendant avec impatience d’avoir des nouvelles d’Ulrich. Je crois que j’ai besoin d’air, de sortir un peu, de voir les autres aussi, mais je sais également qu’il faut se montrer patient, plus qu’autre chose. Mon sang bouillonne, sans cesse un peu plus chaque jour. 

Je suis donc la, assis, à couper des patates. Combien de kilos déjà ? Je n’ai pas pris la peine de compter, mais je commencerais presque à avoir des crampes. Les gardes ne sont pas des tendres avec ceux qui ne coopèrent pas et cela me rappelle de vagues souvenirs, quand c’est moi qui m'occupais de faire souffrir les sous-fifres. Je reste donc dans mon coin quand le type assis à côté se permet de faire des commentaires. Je ferme les yeux et souffle, comme avec une envie de lui dire gentiment de fermer sa gueule s’il ne veut pas s’attirer des ennuis, mais, curieusement, j’ai l’impression de reconnaitre sa voix. Un regard pour lui. Toi ! Que je réponds également. Bordel, il fallait que ça tombe sur ce connard. Évidemment, j’ai un millier de question. Mais pour le moment, il faut continuer de faire profil bas, ne pas trop attirer l’attention sur moi. Ou alors de manière intelligente et commencer à se taper dessus ne semble pas être une option actuellement. 

J’imagine aisément qu’il ait été fait prisonnier en même temps que nous, sur la péniche. A ta place j’éviterais ce genre de commentaires si tu ne veux pas te retrouver dans la même situation que la dernière fois. Tu n’as pas appris de ta dernière leçon ? Que je lui demande, tout à fait sérieusement. Je n’ai pas spécialement peur de sa réaction, je l’ai déjà couché une fois, je ne vois pas ce qui m’en empêchera une nouvelle fois. A part peut être les gardes qui pourraient nous punir de nous battre ? Mais ce serait également ma chance pour leur montrer de quoi je suis capable.   

 
C’est sûr qu’avec une attitude comme la tienne, ils finiront par te buter, que j’ajoute à voix basse à l’attention de l’homme passablement en colère. Tiens-toi à carreau, fais ce qu’on te dit et ils te laisseront tranquille. J’sais pas pourquoi je lui dis tout ça. Ce n’est pas comme si j’en avait quelque chose à foutre de ce qu’il pourrait bien lui arriver. Mais peut être que je suis un peu trop fatigué à couper ses pommes de terre toute la journée. Je n’ai pas vraiment l’envie d’en faire plus. J’pensais pouvoir me rendre plus utile que ça je dois dire. 

Si tu ne veux pas que ça soit moi qui te crève, joli cœur, que je reprends avec son expression, un regard sombre et sérieux pour Marc, évite ce genre de commentaire tu veux ? Que je lui propose à nouveau à voix basse. Le genre de remarque qui me rappel pourquoi j’ai eu envie de le frapper la première fois. Mais clairement, ce n’est pas le moment.

On retourne finalement à nos patates et le type reviens à la charge profitant de la relève. Je pose mon économe sur la table, un brin agacé par celui qui décide de me tenir la jambe alors que j’ai d’autres projets en tête. Je souffle, repose mon regard sur lui. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir mon agacement. Écoute trou du cul. Contente-toi de peler tes patates si tu ne veux pas que je m’occupe une nouvelle fois de ta gueule. Qu’est-ce que t’as pas compris ? Si tu veux crever la bouche ouverte, continue de venir me parler, et ils te feront la même chose qu’à l’autre. Et je reprends mon ouvrage.  

Mais finalement, j’ai une petite idée qui me prends. Ce type ne me sert à rien à part éventuellement m’attirer des problèmes, vu le QI de moule qu’il a l’air de se trimballer entre ces deux oreilles. Et j’crois capté que le type n'est franchement pas jouasse d’être ici. Alors, je pose mon économe, re-souffle un coup. Écoute … Si tu veux discuter, je te propose qu’on se retrouve dans un coin plus tranquille. Mon tatouage, il me donne des passe-droits, que j’ajoute, pour essayer de l’intéresser un peu. Après tout, je finirais bien par lui trouver une utilité. Si tu ne veux pas mourir ici tout de suite, j’peux peut être t’aider. Enfin, surtout l’utiliser pour mes propres desseins. J’ai déjà quelques idées qui me viennent en tête. 

Mais avant de continuer avec mes plans, je dois savoir si le type est vraiment motivé à se battre contre les pirates, ou si ce n’est pas juste un envoyé pour vérifier mon dévouement. Tout me pousse ici, à me méfier de tout et de tout le monde. 

 

 

L’odeur de ses latrines me prend au nez, heureusement qu’on finit tous pas s’habituer à quelque chose, et ici en l’occurrence on s’est vite habitué à l’odeur de sang et de merde. J’ai pris le temps de la réflexion avant de venir ici pour retrouver Marc, qui pourrait être utile, ou pas. Je n’ai pas vraiment encore décidé. J’ai pesé le pour et le contre durant l’heure que j’ai encore passé en silence à éplucher des pommes de terre, me demandant si je devais vraiment prendre des risques en venant lui parler, mais je me suis surtout dis que dans le pire des cas, j’allais encore en chier. Et puis, je ne sais pas, j’crois qu’on n'a pas trop le choix non plus et si je suis assez malin, j’arriverais à m’en sortir. C’est en tout cas ce que je me répète pour éviter de penser que notre sort est déjà foutu. 

J’attends quelques instants jusqu’à ce que Marc finisse par me rejoindre. Il me demande aussitôt de quoi je veux lui parler. Mais avant de déballer ce que j’avais à lui dire, j’ai besoin de me rassurer, au moins un minimum. Avant ça j’ai besoin de savoir quelques trucs. Si tu me parles, je te donnerais mes infos que je lui annonce. Je jette un œil vers l’entrée, vérifiant quand même que personne ne se décide à nous rejoindre inopinément.  

T’étais avec nous sur la péniche, comment tu t’es retrouvé ici ? Et ton pote, il est passé où ? Que je demande d’abord. Mais comme je me doute que le type ne me répondra pas sans avoir lui aussi des informations, je rajoute à son intention : Le tatouage, il indique que je suis un otage et qu’on est censé ne pas nous toucher. J’attends de voir sa réaction et j’ajoute : Et les filles avec moi. Je reprends aussitôt avec mes questions : Tu connais d’autres personnes ici qui sont dans ton cas ? Est-ce que tu as déjà parlé à d’autres otages ou serviteurs, ou même des pirates ? Encore un nouveau coup d’œil à l’entrée. Je ne voudrais pas qu’on nous surprenne, je n’aimerais pas devoir faire comme si c’était un rendez-vous galant avec Marc, je n’ai pas amené ma savonnette.