- Je crois que Papa avait raison. Prendre l'air, ça fait du bien... Et puis t'aime ça aussi toi hein, Bulle ?

Kassandra passait plus de temps en intérieur qu'autre chose. Nez dans les bouquins, dans les notes, dans les simulateurs d'aviation. Depuis quelques semaines, elle avait réduit la voilure. Elle avait repoussé les bouquins, demandé de l'aide à Levi pour les entraînements des armes lourdes. Et elle suivait ce que disait Clay et Zelda. Se détendre.

Alors c'est la raison pour laquelle Kass avait emmené Bulle avec elle vers la zone boisée du camp. Sac à dos avec de l'eau et de quoi se soigner en cas de chute fortuite. Que ce soit pour elle ou pour Bulle qui ne cesse de courir dans l'herbe.

- Tu crois que je devrais continuer ? Je suis peut-être sur la mauvaise route. L'aviation, c'est peut être pas le bon domaine pour moi ?

Les mains dans les poches de sa veste, Kassandra marchait sans but précis. Se laissant détendre par les bruits qu'elle pouvait entendre, les aboiements de l'animal qui se dégourdissaient les jambes sans retenue.
Kassandra était à un moment où beaucoup de choses se mélangeaient, se remettaient en question.
Bulle s'approche, bâton à la gueule et bien décidé à lui demander de jouer un peu.
Alors elle s'exécute, la blonde, elle attrape le bâton que le toutou lui a donné avant de le jeter à plusieurs mètres. Bulle s'élance à toute vitesse et Kassandra ne peut que rire. Elle se sent bien, détendue.

- T'es un bon chien, Bulle. Allez suis moi !

Kassandra se mit à courir à toute allure, sautant au-dessus des branches, agitant la bâton pour faire courir Bulle à sa suite. Au bout de plusieurs mètres parcourus, Kassandra s'arrête. La cause ? Une forme située plus loin. Un animal qu'elle reconnaît sans trop de difficulté. Un cheval magnifique. D'un pelage blanc et roux. Kassandra siffla en direction de Bulle pour qu'il reste à son pied. Derrière l'animal, une brune. Récente à Fort Ward, elle le savait.

- Oh! Hey! Bonjour.

Dit-elle en s'approchant. Bulle collé à sa jambe droite. Elle garda une certaine distance, de peur d'effrayer l'animal. Elle ne croit pas avoir vu un cheval de près. Jamais. Alors elle ne voulait pas l'effrayer.

- Je m'appelle Kassandra. Il est magnifique. Est-ce qu'il a un nom ? Et vous ? Il doit être le seul cheval d'ici. Il ne se sent pas trop seul ?

Il n’y avait que le bruit du vent dans les feuilles et le son étouffé des sabots dans l’humus. Quand elle se baladait ici, sur le dos de Fury, la musicienne avait la sensation d’être de retour à Nisqually. Bien malgré elle, elle se laissait portée par une vague de nostalgie. Ce n’était qu’avec le recul qu’elle réalisait à quel point son ancien foyer, ses anciens camarades, lui manquaient. Oh, elle était bien ici : elle savait se rendre utile, elle avait un toit, elle commençait même à avoir quelques amis. Mais Selene avait cette sensation étrange de ne pas vraiment être à sa place. Acceptée ou non, elle était « l’ennemie », « l’étrangère », au moins dans sa propre tête. Après des années à vivre de moyens réduits, à se chauffer à la bougie, à cuisiner au feu de bois, à tout faire à la force de ses bras… retrouver de belles maisons, l’électricité, l’eau courante, c’était bizarre. Inconfortable, paradoxalement. La pianiste avait ce sentiment que d’un moment à l’autre, tout pouvait changer…

Ici. Le sentier était long et dégagé, alors elle talonna sa monture pour la lancer au galop. La jument réagit au quart de tour, bien trop content de pouvoir laisser exploser son énergie. Fury n’avait pas encore dix ans, les années d’expérience ne l’avaient pas rendue moins impulsive. A l’instar de sa cavalière, elle avait besoin de se laisser aller, de lâcher sa puissance, de sentir le vent dans sa crinière. Pour le plaisir, Selene la fit sauter par-dessus une branche osseuse tombée au milieu du chemin, puis négocia un demi-tour serrée, pour refaire une longueur. Des exercices bêtes, qui n’avaient plus d’intérêt que de les garder alertes.

- Je te n’ai pas demandé encore si tu te faisais ici ? Je sais que c’est moins drôle d’être toute seule, je suis désolée.

Après sa balade, la musicienne marchait aux côtés de sa jument, discutant avec elle, comme elle en avait l’habitude. Elle n’avait en guise de réponse que des souffles et des bruits de naseaux, interprétant alors le discours de sa meilleure amie quadrupède. Son échange que d’aucun dirait à sens unique fut interrompu par une voix. Une jeune femme, qui la héla pour la saluer.

- Bonjour, fit Selene en s’arrêtant à son tour.

Les questions ne tardèrent pas à pleuvoir, et ça la détendit un peu. Les chevaux étaient des bestioles impressionnantes, ça ne changeait pas. Elle-même n’en avait jamais approché avant de faire la rencontre des Greene et de Juliet cinq ans auparavant. Il y avait de quoi capter l’attention d’une adolescente.

- Selene, et elle c’est Fury, machinalement, elle flatta l’encolure de la concernée en la présentant, c’est vrai qu’avant, elle avait plus de compagnie, mais… ça évite aux autres de supporter son sale caractère, plaisanta-t-elle – c’était néanmoins vrai : combien de fois l’équidé avait-elle mordu un camarade sur un sursaut d’humeur ? tu t’y connais en chevaux, elle était réellement intéressée, puis elle désigna le chien d’un signe de tête, il a l’air sage ! Comment il s’appelle ?

Kassandra avait consciente d'être probablement un peu impolie. Elle posait pas mal de question, dérangeait probablement son interlocutrice qui voulait peut-être un peu de calme. Bulle perché près de sa jambe ne cessait de fixer l'animal. Probablement trop apeuré par sa taille pour daigner se mettre à aboyer.

- Contente de te connaître, Selene. Bonjour Fury. Tu es magnifique.

Qu'elle ajoute, un grand sourire aux lèvres. Kass était la première à parler constamment à Bulle alors faire de même avec Fury fut presque un automatisme. Elle espérait que la brune ne lui en tiendrait pas rigueur. Peut-être qu'elle faisait la même chose, d'ailleurs ? Elle n'en avait aucune idée. A l'entente de son sale caractère, la blonde ne peut que se mettre à rire.

- Il y a toujours du bon dans une situation complexe. Oh pas du tout, c'est la première fois que je vois un cheval de ma vie. Enfin, hors de la télévision, j'entends. Ou les livres.

Et autant dire que l'animal était impressionnant. Kassandra se sentait minuscule à côté. Bon, elle n'était déjà pas bien grande. Mais elle se sentait d'autant plus petite. Mais ce n'était pas si désagréable. Puis elle se tourne vers Bulle qui n'avait toujours pas bougé. D'ailleurs, aux regards posés sur lui, l'animal agite la queue, tapotant des pattes avant. Il attendait simplement la permission de pouvoir bouger.

- Il s'appelle Bulle ! Oui, j'ai tenté de l'éduquer au mieux. Tu peux bouger mais doucement avec Fury. Tu peux le caresser si tu veux.

A peine a t-il entendu les mots magiques qu'il s'approche des jambes de Selene, reniflant les chaussures tout en gardant un oeil sur l'animal à quatre pattes bien à côté d'elle. Après un petit tour d'inspection, le voilà qui s'approche lentement de l'animal. Bulle n'est pas vraiment rassuré et Kassandra peut le comprendre. Tout en gardant un oeil sur l'animal, elle relève le regard vers Selene.

- Tu l'as depuis longtemps ? Je ne saurais pas déterminer son âge.. Ca doit être tellement cool de monter. Tu dois te sentir aussi libre qu'elle.

Elle ignorait pourquoi elle avait l'impression que les chevaux instauraient une certaine liberté une fois au galop. Probablement à cause des films qu'elle avait pu voir lorsqu'elle était petite. Ou le fait de courir dans une étendue verte. En tout cas, Kassandra était plutôt contente de cette rencontre. Glissant les mains dans ses poches, elle afficha un simple sourire.

- Est-ce que tu t'acclimates bien ici ? Je ne crois pas que tu es là depuis longtemps ?

Un sourire fendit son visage quand l’adolescente avoua n’avoir jamais vu de cheval avant ce jour. Selene ne pouvait pas la blâmer : avant de rencontrer Joachim, Isaac et Juliet, elle était aussi dans ce cas. Elle s’était rapidement habituée, puis elle avait voulu essayer, et… l’histoire d’amour avait commencé comme ça. Avec le recul, elle ne se voyait pas sans Fury. Sa jument et elle partageaient quelques aventures désormais – et pas toujours très heureuses, malheureusement.

- Heyyy, salut Bulle, exclama-t-elle en s’accroupissant pour être à hauteur de l’animal.

Les voilà donc, deux inconnus avec un faible pour les bêtes, qui leur parlaient directement. Attendrie par l’entrain du chien à lui renifler les chaussures, Selene lui administra de franches gratouilles derrière les oreilles et lui flatta le flanc. En revanche, quand il s’approcha de Fury, l’équidé souffla sa contrariété en raclant la terre d’un sabot. La pianiste la réprimanda d’un claquement de langue contre son palais, puis se releva pour choper ses rênes. Sa camarade à poil avait donc choisi de faire la mauvaise tête…

- Moi, je l’ai rencontrée y’a cinq-six ans, mais en fait, elle est à ma… à mon amie à la base. Juliet, une grande blonde qui est arrivée avec moi, tu l’as vue ? C’était pas impossible, la jeune femme était plus un chat d’intérieur et avait notamment rejoint le dispensaire, elle l’a vue naître, ses grands-parents avaient un ranch. Maintenant, elle a… elle va sur ses dix ans. On rajeunit pas, hein, plaisanta-t-elle en caressant le cou de la concernée, qui sembla lui jeter une œillade boudeuse.

Ceci dit, il y avait un fond d’inquiétude dans ce constat. Même si les chevaux bien traités et soignés pouvaient vivre jusqu’à une vingtaine d’année, sa monture n’avait pas le confort d’un ranch, ni les moyens d’un haras d’équitation. Elle se fatiguait à cavaler dans les ruines de l’état, parfois des semaines entières, et son alimentation n’était pas toujours complétée comme il le fallait. Fury n’était pas « vieille », mais elle était indéniablement plus proche de la fin que du début.

- Je trouve que c’est super cool, oui. Tu veux essayer ? Promis, je la laisserai pas te jeter par terre, assura-t-elle, tout en hochant la tête, ça va, je prends mes marques, qu’elle répondit sobrement, ne laissant rien paraître du trouble laissé par un incident survenu quelques temps auparavant, tu viens ? Tu montes, tu t’accroches là, elle lui désigna la poignée de la selle, et je la ferai avancer, Selene encouragea sa cadette d’un sourire, comment tu t’appelles au fait ?