Il faisait froid, en ce début de mois. Particulièrement même, alors qu'elle enfonce un peu plus la tête dans le col de sa veste aviateur dans l'espoir de se réchauffer un peu, sentant sa peau la tirailler sous la morsure du froid alors que le soleil peinait à se lever. Etouffant un juron en venant tirer sur sa roulée malgré ses doigts gelés, avec la sensation de se réchauffer à chaque nouvelle bouffée, dans l'attente de voir Zelda débarquer de son lit pour la rejoindre sur le terrain, sans voir sa silhouette se dessiner pour autant à l'horizon. Une panne de réveil, sans doute. Etirant sa nuque jusqu'à ce qu'elle vienne craquer en soupirant, avant d'enfin voir débarquer la jeune adulte en lui offrant un bref signe de tête.

Tu feras gaffe, t'as encore la trace de l'oreiller sur ta joue... Lui souffle t-elle avec une oeillade amusée, l'invitant à poser son sac avant de revenir prendre une gorgée de son simili de thé. Autrement dit, un vieux sachet qu'elle s'évertuait à faire infuser dans l'espoir d'avoir un semblant de saveur dans son eau brûlante, à défaut de café. Entre le rationnement sévère, et l'interdiction de sortir... Elle faisait au mieux. Et ses kilos en moins le laissaient parfaitement entendre, alors qu'elle avise son élève du jour.

Tu tiens l'coup ? S'enquit-elle avec douceur, s'autorisant quelques minutes de bavardages avant l'exercice, histoire de voir un peu son point de vue sur la question. Entre son accouchement et leurs propres problèmes à gérer, elle n'aurait pas pensé que tant de semaines se soient écoulés depuis la dernière fois qu'elle avait vu Zelda, il fallait bien l'admettre. Et si elle avait eu vent qu'elle avait été jetée de l'armée... Elle n'en souffla pas un mot. Lui laissant la possibilité d'en parler, si elle le souhaitait, avant de reprendre.

Tu ne sentiras plus le froid d'ici quelques minutes, c'est promis. Tu as une idée ce qu'on fait aujourd'hui, donc... On va démarrer sur des bases saines. Ton parcours en extérieur, la dernière fois que tu es partie avec Kass, vous avez géré comment pour vous en sortir ? Relevant l'index pour l'empêcher de faire une synthèse ridicule à base de son génie légendaire, reprenant. Des faits concrets. Faire un feu, trouver de la nourriture, ce genre de choses. Je veux un rapport détaillé.

- Par-don ! J'suis vraiment trop désolée !

Essoufflée, les yeux encore collés quoique un peu larmoyants à cause du froid, Zelda reprend souffle en arrivant vers son amie. Elle pose les mains sur ses genoux et éructe un Ah ouais ? alarmé lorsqu'il est question d'une trace d'oreiller sur son visage. L'australienne le frotte un peu par acquis de conscience avant de déposer son sac à l'endroit désigné par l'instructrice du jour.

Et puis bien sûr elle profite bien vite de ce thé qu'elle a eu la bonne idée de préparer. L'adolescente réchauffe ses mains autours de la tasse avant d'en prélever une gorgée du bout du lèvre. Elle manque de se brûler lorsqu'Indie lui demande si elle tient l'coup et finit par lâcher un petit ricanement désabusé. C'est plutôt moi qui devrais t'poser la question, non ? s'amuse-t-elle en penchant la tête sur le côté. Aux dernières c'est pas moi qui ai fait une grossesse nerveuse, eh ! Elle n'est plus certaine du terme exacte qu'on lui a balancé. Félicitations, d'ailleurs ! Quoique... Est-ce que c'est le genre qu'on doit dire pour un bébé non désiré ? De Levi, en prime ? Enfin... Félicitations, ou pas ? L'australienne n'est pas trop sûre et n'a pas envie de faire un faux pas.

Oh n't'en fais pas ! J'le sens déjà plus ! Le froid. Ce putain de froid qui ravive la chaleur de l'Australie dans ses souvenirs. J'sens plus rien, en fait ! plaisante-t-elle. C'est sûr qu'elle n'est pas très amie avec la température locale, Zelda. Mais c'est pas non plus la fin du monde tant qu'elle sautille un peu sur place de temps à autre, si ? Tu veux tout savoir ? s'étonne-t-elle ensuite lorsque Indie souhaite un résumé détaillé de son périple avec Ka'. On s'est échouées à des endroits différents mais comme on était trempées notre premier réflexe a été d'éviter l'hypothermie. Ensuite quand on s'est retrouvées on a commencé par chercher d'autres survivants puis de trouver de quoi manger, une planque temporaire et enfin, de l'équipement. Le temps d'se refaire une santé, de préparer l'trajet du retour et qu'le temps s'améliore un peu, quoi. C'était la grosse merde. Cette tempête, Zelda, elle s'en souvient très bien. Normal, elle a failli leur coûter la vie.

Mais les enseignements tirés de sa traversé de l'état quelques années plus tôt, l'expérience acquise auprès de Jeremiah en forêt ou avec l'armée sur le terrain leur ont permis d'échapper au pire. L'optimisme de Ka' aussi, d'ailleurs. On s'est démerdées pour s'faire un à peu près correct la nuit, ou pour allumer les feux. On a attrapé d'vieux vélos en chemin pour le trajet, aussi. En fait l'soucis ca a surtout été les gueux maintenant que j'y pense... L'adolescente se passe une main sur le menton, songeuse. On est tombées sur une putain d'cannibale, Indie ! J'te l'ai déjà dit ? Si ce n'est pas le cas alors il faudra qu'elle lui raconte ! Y'a aussi eu cette femme enceinte qui refusait d'nous filer d'la bouffe - elle l'a même balancée du toit ! - et que j'ai dû flinguer. Mais juste à moitié, t'inquiète ! Ou encore cette gamine qui vivait dans un zoo à la recherche d'un tigre ou j'sais plus quelle merde ! Que des gens louches ! Et instables ! Mais bon, au final, ça n'étonnera personne que l'humanité ait gardé la palme de la cruauté malgré l'apparition des rôdeurs, non ? Après j'dois avouer qu'sur la fin c'était quand même bien la merde pour la nourriture. C'était l'hiver alors on n'pouvait pas trouver facilement d'quoi s'nourrir dans la nature. Et on avait pas assez d'munitions pour chasser. Ni les compétences, en fait, d'ailleurs. Elle hausse les épaules après un petit temps de réflexion. Franchement, ce n'était pas parfait mais puisqu'elles sont rentrées vivantes c'est qu'elles ne sont pas si nulles que ça quand même, si ?

Ce qui amène inévitablement Zelda au point suivant, qu'elle aborde sur un ton délicat : En fait quand j'me suis inscrite à ton cours c'était surtout pour m'éviter des corvées. Vu que pendant que j'suis avec toi, ben... Elle ne s'emmerde pas à nettoyer le camp, réparer des trucs et toutes ces choses débiles que avilissantes réservées aux civils. J'veux dire... J'sais m'démerder, quoi. À peu près. Elle espère que son amie ne le prendra pas trop mal. Parce qu'elle a l'air vraiment impliquée dans ce projet, la jeune maman. Alors on pourrait p't-être s'trouver un petit coin tranquille pour s'planquer et discuter tranquillement en buvant c'thé ? Loin de tous ces vilains rapporteurs qui iraient rapporter son oisiveté à Yu', Maddie ou June, par exemple. C'est une bonne idée, ça, non ?

Déni de grossesse. La rectifie la brune non sans un sourire amusé, haussant les épaules à cette affaire de félicitations. Il s'appelle Caleb. C'était bien tout ce qu'elle pouvait trouver à dire, là dans l'immédiat. Venant s'installer pour écouter l'adolescente évoquer son passif avec Kassandra en extérieur, silencieuse pour la laisser s'épancher le plus possible sur ses péripéties.

Ca n'a rien d'étonnant que tu ai rencontré une cannibale. Dès les premiers il n'y avait déjà plus grand chose à manger, certains préfèrent parfois... prendre des décisions drastiques, pour s'assurer de survivre. Elle avait eu la chance de ne jamais avoir à devoir se poser la question, et ça n'était pas plus mal. Elle ne se serait jamais vu céder la chaire humaine, mais aurait-elle pu seulement prédire par le passé, que tuer ne serait plus un souci de moral ? Non, sans doute pas. Autant se contenter de ce qu'elle avait dans l'instant présent, et ne pas chercher à refaire le monde...

Et son aveu lui arrache un rire bref, soufflé. Secouant doucement la tête à l'idée, sans s'en formaliser plus que de raisons. Je ne suis ... Pas vraiment étonnée, pour ne rien te cacher. Zelda n'avait rien d'une élève appliqué et studieuse, après tout. Pas même pour les travaux pratiques.

Mais ... Désolée de te décevoir, mais ça ne fonctionne pas comme ça. Elle n'est pas vraiment désolée, d'ailleurs. Mais une ombre de sourire se devine dans ses yeux bruns, alors qu'elle se relève, tirant sur sa cigarette.

Après, rien n'empêche de voir ça comme un jeu, à vrai dire. Loin de là l'idée de la prendre pour une gamine, mais seulement de faire en sorte qu'elle s'y intéresse un peu plus fort que pour éviter ses corvées, surtout.

Vois ça comme une sorte de cache cache niveau survie. Si par exemple tu survis à un assaut ennemi, et que tu es blessé à la cuisse. Ta plaie saigne abondamment, et des ennemis approchent. Un petite armée, du genre... Une bonne trentaine. Dans ce cas de figure, tu n'as pas d'armes utile, pas même la moindre munition. Ce serait quoi, ta première priorité, en sachant qu'ils risquent de te suivre à la trace?

- Ca m'dit quelque chose ce truc, ouais !

Zelda a en tout cas déjà entendu ce terme être prononcé. Peut-être lors d'une conversation ou en regardant un film. Mais elle pensait que c'était le genre de truc extrêmement rare, qui n'arrive pratiquement jamais. En tout cas pas à Fort Ward. Et encore moins à Indie. C'est quand même marrant, l'cerveau, hein ? L'adolescente décoche un sourire amusé à son interlocutrice en songeant à ce petit plaisantin de corps. Elle suppose qu'à sa place, cependant, elle rigolerait un peu moins. Même si elle aime bien les surprises, l'australienne. Caleb ? C'est à ce moment qu'elle perd le reste de sa légèreté et retrouve un air plus sombre. C'est un hommage ? Zelda ne peut pas dire qu'elle soit bien fan. À chaque fois qu'elle croisera l'enfant de son amie et Levi, elle ne pourra pas faire autrement que penser à l'original. Celui qu'elle a abattu quelques semaines plus tôt.

C'est fait exprès, ou c'est juste un hasard ?

L'adolescente n'a de toute façon pas envie de s'attarder sur le sujet et quelque part ça rend l'idée de raconter son périple plus facile. Même si ça doit le rendre accessible à la critique de son interlocutrice. Mais cette dernière, pour commencer, semble ne pas être vraiment surprise par cette rencontre avec la cannibale. En vrai, j'crois que j'les comprends ! précise-t-elle après un instant de réflexion. La faim c'est... Ouais, ça pousse à envisager d'autres options ? Et Zelda ne prétend pas qu'elle ne s'abaisseras pas à cela un jour. La survie a toujours eu un prix. J'trouve juste débile que c'te femme se soit mise en tête qu'elle pouvait nous bouffer... Elle n'est pas la bonne cliente pour finir en Big Mac, Zelda. Et ça la vexe un peu d'avoir été prise pour une foutue proie. Même beaucoup. Sans parler du fait qu'elle n'a même pas réussi à mettre cette cannibale hors jeu !

Mais la vraie déception vient lorsque Indie refuse la merveilleuse idée d'aller se planquer pour boire un thé en tout tranquillité. Ca ne marche pas comme ça, qu'elle dit. Ah non ? L'adolescente ne s'attendait pas vraiment à un refus et ouais, elle est surprise. Mais... t'es sûre ? insiste-t-elle gentiment. Un bon thé chaud ne la tente vraiment pas ? Avec un peu de sucre en plus, si elles ont de la chance ? Mais Indie est déjà passée à autre chose et tente de la convaincre en retour de faire un effort. Arguant même qu'elle peut prendre ça pour un jeu. Ben... Ca a l'air de lui tenir à coeur et puis elle vient quand même d'accoucher par surprise alors... Ouais, pourquoi pas ? Ca ne lui coûte pas grand chose dans le fond, si ce n'est de faire marcher son imagination.

Aussi lorsque son amie lui expose une situation et lui demande quelle serait sa réaction, Zelda s'accorde un bref instant de réflexion pour jouer le jeu en retour. Le but, ici, ce n'est pas d'emmerder Indie de toute façon... Faudrait vraiment qu'ces ennemis soient balèzes pour m'blesser ! se sent-elle obligée de préciser. Fierté oblige, quoi. Mais en admettant qu'ils y soient arrivés parce que... genre... j'suis dans un mauvais jour ou quelque chose comme ça... L'adolescente se masse le menton et fronçant les sourcils. J'pourrais jouer la morte mais ils me tireraient une balle dans la tête pour être sûrs que j'me relèverais pas, donc bon. Et puisqu'on a dit qu'ils sont pas trop nazes, j'imagine qu'ils progresseraient en fouillant la zone qu'ils traversent. Personne n'a envie de s'retrouver avec des ennemis dans son dos, c'est clair ! Se cacher, c'est stupide et ça n'fonctionne que dans les films ! Et les mauvais films, en plus. Ceux où les méchants sont des putains d'amateurs qui ne pensent pas à lever la tête, regarder derrière le canapé ou sous la table. Si ma plaie saigne abondamment, j'laisserai des traces de sang derrière moi. Même si j'arrive à bander ça à peu près correctement. Et courir pour fuir m'affaiblira davantage et accélèrera la perte de sang, j'suppose. Alors... La seule solution qu'elle entrevoit ne lui plaît pas vraiment mais reste toujours préférable à la mort.

Il lui faut encore un instant pour envisager l'idée de la prononcer à haute et intelligible voix : J'crois que j'me rendrais ! Même si ça lui arracherait la gueule, du coup, ouais. J'suis jeune, et une femme. Autrement dit j'peux travailler et il y a une chance qu'on m'sous-estime. Alors ouais, p't-être que j'me ferai abattre sur place mais c'était plus ou moins c'qui allait m'arriver, non ? Et p't-être aussi que ces cons se diront que j'ferais une prisonnière sympa, dont on peut abuser. Et là j'regretterai de pas avoir pris une balle, c'est clair ! Mais... L'un dans l'autre, rester en vie ça offre tout de même certains avantages. Et à la première occasion j'les égorge dans leur putain de sommeil ! Et basta ! Problème réglé, pillage du butin et retour à la base. Ou à ce qu'il en reste, Indie n'a pas précisé si Fort Ward avait survécu ou pas. Ca ferait un nouveau sujet à aborder en séance avec Zi.

Voici en tout cas sa réponse. Zelda guette maintenant la réaction de sa camarade, pour voir ce qu'elle en pense. Est-ce qu'il y a au moins une bonne réponse à tout ceci ? Tu ferais quoi, toi ? La réponse l'intéresse vraiment en plus. L'adolescente ne pensait pas s'amuser avec ce petit exercice mais ouais, c'est fun. Suffisamment pour qu'elle commence à s'investir. Appeler Levi n'est pas une option ! Pas de cheat codes. Non non non ! Attends, j'ai mieux ! Tu t'réveilles en pleine nuit avec une grosse explosion ! Y'a plus d'électricité, t'es seule dans ta chambre et t'entends des cris à l'extérieur. Et puis d'un coup, paf, t'entends la porte d'la barraque qui saute au rez-de-chaussée et des mecs qui parlent... mmh... thaïlandais. Mais d'un air vénère, tu vois ? Ils sont pas là pour un échange culturel, tu l'comprends tout d'suite ! Indie peut oublier jusqu'à l'idée de s'en faire des potes. En plus ils ne parlent pas anglais, voilà ! T'es pas blessée mais t'as juste ton couteau naze. Et tu vois par la fenêtre un fuyard s'prendre une rafale dans l'dos donc tu sais qu'ils sont équipés comme des gens normaux, eux. Tu fais quoi ? Il n'y a pas vraiment de bonne réponse non plus. L'idée c'est surtout de ne pas crever là aussi. Ayé, tu les entends qui montent l'escalier. Ils se rapprochent inexorablement ! Ca c'est juste pour lui mettre la pression et la mettre dans l'ambiance. C'est important, l'immersion.