J’ai eu envie de m’entrainer après notre chasse au puma. Tant que je n’ai pas d’arc, il faut que je m’améliore avec mon Tomahawk. Ça s’impose désormais, parce que d’ici le temps a ce que j’ai de quoi m’acheter un arc… Les cochons vont voler.

Je rigole toute seule en y pensant. C’est une drôle d’expression que j’ai apprise la veille.

Bon aller, je me reconcentre un peu. Je suis en train de me construire une espèce de cible de fortune. J’ai trouvé un vieux tronc d’arbre un peu pourri dont personne ne veut, mais assez épais pour m’entrainer. Assez solide aussi. Il est bien large donc c’est juste parfait ! Je termine d’y graver différents cercles, comme sur les cibles d’entrainement chez moi ou celle que j’ai vue à Fort Nisqually dans le temps. Bon, juste d’y penser, ça me ramène à Ruben et mon cœur se serre. J’espère tellement que tout va bien ! Qu’il ne changera pas d’avis et qu’il ne m’oubliera pas ! J’ai à la fois des papillons dans l’Estomac en pensant à lui, mais le cœur dans un étau aussi…

Bon, aller ! Je terminer de graver mes cercles et je me recule un peu pour voir mon œuvre. Il vaut mieux que je me focus là-dessus. Je pince les lèvres tout en jugeant de mon travail, puis… j’en viens à la conclusion que ce serait parfait pour ce que je compte en faire. Il y a une fine couche de neige au sol, alors j’ai trouvé des cailloux pour mesurer la distance avec le tronc. Plus je serai près, plus ce sera facile. Donc, je veux aussi m’entrainer de plus loin.

J’ai mes deux Tomahawks et je commence à rebrousser chemin jusqu’au premier caillou que j’ai placé. C’est là que j’aperçois plus loin une silhouette familière qui s’approche. J’ai un grand sourire en reconnaissant Rafael !

- Hey Raf ! Tu viens t’entrainer avec moi ? Que je lui propose avant même qu’il ne puisse ouvrir la bouche.

Au pire, il refusera. Il n’est peut-être pas ici pour ça après tout, mais je suis toujours partante pour avoir quelqu’un avec moi.

Rafaël mettait à profit chaque jour où il n’était pas sollicité ailleurs pour perfectionner le maniement de sa lance. Il aurait besoin des conseils de Frances et de Nihima pour s’améliorer et ne prendre aucune mauvaise habitude, mais il ne comptait pas se reposer sur ses lauriers parce qu’il n’était pas en leur présence. Il avait promis à Frances de revenir et, s’il voulait pouvoir la regarder dans les yeux après le carnage à Cliffdell, il avait tout intérêt à avoir progressé. Mais il peinait : faute de cible vivante ou mobile, de conseils, d’encouragements aussi. Il avait beau être acharné, ses progrès étaient limités malgré tout, malgré sa bonne volonté – à cause de son acharnement, peut-être, et de sa colère envers lui-même de ne pas avoir été à la hauteur. S’ils lui donnaient l’énergie nécessaire pour ne pas baisser les bras, ils rendaient ses gestes imprécis, aussi.

Mais il était hors de question qu’il rende les armes : il arriverait à faire de sa lance un prolongement de son bras, comme son bâton pouvait l’être. Si, dans l’idée, les deux armes étaient similaires, la seconde était moins équilibrée, alourdie par la pierre taillée, qui faisait à sa manière contrepoids. Et la manipulation en était malgré tout très différente. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il se trouvait à l’orée de la forêt, se rappelant un entraînement similaire, quelques semaines auparavant, avant de leur dire au revoir pour un temps indéfini, avant le déménagement, avec Cassidy. S’il essayait de se convaincre qu’elle avait survécu, qu’ils avaient tous survécu, son cœur se serrait d’angoisse et d’incertitude.

Ça ne l’empêcha pas pour autant d’adresser un sourire à Nascha, qu’il espérait plus enjoué que son humeur, en s’approchant d’elle. « Avec plaisir ! On est toujours mieux en compagnie pour faire ça ! » Et, si elle manquait sûrement d’expérience elle aussi, elle était douée malgré tout et pourrait le conseiller, non ? Lui s’ essaierait pour elle, si elle en avait besoin. « Il faudrait que je fabrique une sorte de mannequin solide, pour qu’il soit plus mobile… Ça m’entrainerait mieux. » Et elle aussi, peut-être. « Les tiens maniaient des tomahawks ? » Ce n’était pas vraiment commun. « Je peux te servir de cible, si tu veux… » Il lui adressa un sourire pour lui montrer qu’il plaisantait, avant de se placer face à la cible qu’elle avait gravée… « Et si je lançais ma lance, et que tu essayais de la viser avec ton tomahawk ? » Il ne pourrait pas lui proposer l’inverse, la tâche lui paraissant réellement ardue s’il s’agissait de toucher et interrompre le lancer du tomahawk, mais il pourrait viser des points précis de la cible.

Je sautille sur place quand Raf dit qu’il veut bien s’entrainer avec moi. C’est tellement vrai ce qu’il dit, c’est toujours plus amusant à plusieurs.

- Oh un mannequin ce serait une belle idée. Une cible c’est un début, mais… les Coyotes n’ont pas cette forme. Est-ce que tu crois qu’on pourrait même faire bouger le mannequin ? Une cible en mouvement ce serait extra ! On deviendrait vraiment doués !

Je réfléchis tout haut bien entendu et je me rends compte de mon enthousiasme. Il faut que je redescende d’un cran, je crois. Maman m’aurait dit de commencer par le commencement.

- Bon, la cible immobile et ronde pour débuter. Je me gronde un peu moi-même avec le sourire. Ceux qui voulaient apprendre, oui ! Moi j’étais vraiment émerveillée par nos traditions. J’ai donc fait le plus d’ateliers possible après les cours à l’école. Mes parents étaient vraiment contents de voir ma passion pour notre culture. Ce n’est pas tous les natifs qui apprennent à manier nos armes traditionnelles ou qui apprennent nos arts et tout ça.

C’est important de faire cette précision je trouve. Les gens ont tendance à croire que nous vivions dans des tipis et que nous n’avions aucune technologie. Alors qu’au fond, tout était pareil que chez les blancs. C’est juste moi qui était intéressée à appliquer notre savoir même dans le monde moderne. J’en suis très heureuse aujourd’hui.

- Même au niveau des prénoms, c’est plutôt rare les prénoms natifs maintenant. Mes parents voulaient vraiment être originaux, mais mes amis s’appelaient Mary et Tania.

Je suis presque choquée un instant que Rafael propose d’être une cible. Je m’en voudrais bien trop de le blesser sans le vouloir ! Heureusement, il plaisante, ouf !

- Oh c’est une bonne idée ! On pourrait inverser ensuite… je pourrais… Je cherche un peu autour de nous. Je pourrais prélever un gros bout d’écorce et le lancer dans les airs pour ta lance ? La cible serait plus grosse que mon Tomahawk forcément.

Voilà pourquoi c’est bien de s’entrainer à plusieurs, on a plus d’idée ensemble !

Une cible en mouvement ? Ici, ça allait être compliqué, non ? Il n’avait rien, de manière générale mais encore moins pour organiser un vrai entrainement. « Et si on la tirait avec une corde, dans différents sens ? Comme ça, on peut s’en tenir assez loin, et l’autre aura quand même la surprise de sa direction ! » Au dernier moment, comme ça, impossible à prévoir. De toute façon, il y avait fort à parier que, s’ils mettaient ça en place, Rafaël ne réfléchirait pas vraiment en amont et tirerait selon son intuition.

Hochant légèrement la tête, il sourit en retour. « Histoire de perfectionner notre geste. Ne mettons pas le tigre avant le cerceau. » Son expression n’avait pas beaucoup de sens, mais il s’amusait à déformer les vraies expressions avec des expressions liées à son univers de naissance – principalement pour se moquer des gens qui riaient de lui pour ça, et leur rappeler haut et fort qu’il en était fier. « Je serai ravi que tu m’en dises plus ! » Il avait toujours été curieux de tout et des autres, surtout quand ça sortait de l’ordinaire. « C’est bien, je trouve. De les apprendre, de les préserver. Même si j’avoue que j’étais persuadé que c’était quelque chose de courant, d’y être formé. » C’était, à ses yeux, leur mode de vie. Comme l’était le sien avec son clan. « C’était un peu comme ça, chez nous, aussi. Bon après, on était nomades et on vivait avec notre clan, mais tout le monde n’était pas investi de la même façon. Ni forcément forains ou diseurs de bonne aventure. » Les plus gros clichés à leur sujet. « Le tien est bien plus beau ! » Même si ceux de ses amies l’étaient aussi. « Ça a un sens particulier ? »

Il était tout de même content d’être avec elle, et qu’elle soit si enthousiaste. L’entraînement serait bien plus passionnant que s’il le faisait dans son coin. « On fera ça alors ! Mais d’abord… Attends-moi, je reviens ! » Partant d’un pas vif, il se rendit dans une des pièces totalement fermée de la prison et prit un pot de peinture rose vif. Il en avait récupéré plusieurs, un peu au hasard, en se rendant à Olympia, avec l’idée de décorer la prison. Saisissant un bout de bois, il repassa sur les cercles gravés sur l’arbre. « Voilà ! Comme ça, on les verra mieux ! » Avant, donc, de se lancer sur des cibles mobiles plus compliquées à viser. « Allez, j’y vais ! » Histoire de montrer l’exemple… ou l’exemple à ne pas suivre, alors que sa lance allait se figer dans le sol, à trop grande distance de la cible.

J’hoche de la tête, trouvant vraiment que les idées de Rafael sont très bonnes. Avec une corde, c’est vrai que ça rendrait les choses plus faciles. Surtout si nous arrivons à préparer le tout de façon à ce que la personne qui s’en occupe, arrive à faire bouger notre cible dans plusieurs directions différentes. La surprise nous forcera à réagir plus rapidement et plus précisément. J’adore ! Je crois que ça doit aisément se lire sur mon visage !

- Le tigre avant le cerceau ! Ça me fait sourire. C’est original, est-ce que ça veut dire la même chose que la charrue avant les bœufs ? Ou cette histoire de peau d’ours ? Je crois que oui.

Du moins, ça me semble logique vu la discussion que nous avons.

- Oh ? Attention, j’aime un peu trop parler de tout ça. Je suis vraiment une passionnée. Je pouffe de rire. Bien sûr, ça me ferait très plaisir de parler de mon peuple, mais je suis aussi curieuse d’en apprendre plus sur le clan de Rafael. C’était quel genre de clan ? C’était quoi votre nom ? Vous avez des traditions comme nous ?

Je rougis un peu quand il dit que mon nom est plus joli que celui que mes amies avaient. Ça me fait bien plaisir de l’entendre, mais je me demande aussi ce que sont devenues Mary et Tania. Il y a longtemps que je n’ai pas pensé à elles…

- Ça veut dire chouette. Comme l’animal. Mes frères s’appellent Tokala et Kele, ça veut dire renard et épervier.

Ils me manquent tellement. Est-ce que Kele se souvient seulement de moi ? Tokala est-il toujours en vie ou est-ce que les rumeurs sur les Têtes-Plates étaient vraiment fondées ? Je chasse tout ça de mon esprit… Je sens déjà ma gorge se serrer et je n’ai pas envie de me laisser aller à ma peine. D’ailleurs Rafael me demande d’attendre un instant, alors qu’il repart vers le camp. Ma curiosité prend le dessus et je me demande ce qu’il va chercher.

Les minutes passent et mon nouvel ami revient avec… de la peinture rose.

- Ah ! Super idée ! oui encore une fois, je dois l’admettre et ça ne me pose aucun souci.

Je laisse donc Raf commencé et… sa lance se plante dans le sol. Ce n’est pas grave, nous sommes là pour nous améliorer !

- On va y arriver à force de s’entrainer ! Que je l’encourage.

C’est mon tour, j’attends donc que mon ami aille récupérer sa lance et… je me mets en position avec mon Tomahawk. J’essaie de viser au mieux, puis je le lance ! Malheureusement, le dos de la lame vient taper contre l’arbre – et pas sur la cible – et mon Tomahawk retombe au sol…

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