J’inspire longuement, profitant du calme temporaire de la maison. A cette heure de la journée, en fin de matinée, je sais que je suis tranquille, qu’il n’y aura pas d’importun pour venir me voir. Ils viennent tous à l’heure du thé, probablement pour grappiller de quoi manger vu que, malgré les restrictions, je fais toujours partie de ces privilégiés dans leur petite tour. Evidemment, impossible d’oublier ma discussion avec Neela même si, pour le moment, je suis concentrée sur autre chose. Ma famille, mon fils. Une petite bulle de bonheur qui ne va pas manquer d’exploser si tout ce que j’ai entendu est vrai. Mais dont je veux encore profiter un peu.

Soufflant doucement une berceuse à l’attention de Noah, j’ai un sourire alors que je caresse sa joue à le regarder dormir dans son couffin. Il est tellement petit, paisible et depuis qu’il est venu au monde, je comprends papa. Et maman aussi. Cet amour qu’ils avaient pour nous et ce besoin de nous protéger de tout ce qui pourrait nous toucher, je l’avais déjà pour April et Wilan. Mais là, c’est autrement plus fort. « Je t’aime petit ange. » Un murmure à son attention alors que j’embrasse son front et que je m’éloigne doucement, ignorant ce petit pincement au cœur juste à la pensée qu’il dort dans la pièce d’à côté.

Et j’ai un profond soupir, mains sur les hanches, me demandant ce que je vais pouvoir faire pour m’occuper. Mais je vois la tête d’Onyx se relever alors qu’il agite joyeusement la queue, les oreilles dressées amicalement en fixant la porte. Quelques instants plus tard, voilà qu’on frappe et je vais ouvrir, intriguée. Mon visage s’illumine aussi sec quand je vois la silhouette de Jordane. Je lui avais déjà dit de passer le matin, quand elle aurait le temps. Parce que je savais qu’on serait tranquilles. Et elle n’a pas manqué de le faire. Je lui rends son étreinte avec force dès que la porte est refermée, restant accrochée quelques instants à son cou et inspirant longuement contre elle. Ca ne fait que quelques jours que nous ne nous sommes pas vues et pourtant, elle aussi m’a terriblement manqué. C’est pourquoi je souffle, avec un sourire attendri. « J’ai eu l’impression de ne pas être … entière ces derniers jours sans toi, c’est terrible ! » Une amitié précieuse, qui me porte depuis notre rencontre, à n’en pas douter. J’ai eu tellement de chance que Dieu la mette sur ma route.

A sa question, j’ai un soupir, même si je ne perds pas mon sourire. « Fatiguée. Complètement perdue aussi. C’est tellement… nouveau. C’est comme si on avait pris une part de mon âme, de mon cœur, pour la mettre dans cette toute petite chose. » Et j’ai encore du mal à m’y faire. « Et toi ? » Tout en parlant, je l’entraine vers le salon et, au reste de ses propos, je bats des cils. « Des muffins ? Alors là, c’est la deuxième meilleure nouvelle de la journée avec ta venue. » Avec un thé, ce sera parfait.

Ce contact avec Jordane est précieux. Parce que je sais qu’il est honnête, sincère et je suis persuadée qu’à la différence de Ray, il n’y a aucune duplicité dans son comportement. Après tout ce que j’ai pu ressentir au moment de mon divorce, c’est quelque chose qui me rassure et me fait un bien fou. Et les paroles que laisse échapper Jordane m’arrachent un sourire attendri. « Oh, je suis sûre que tu saurais très bien te débrouiller sans moi, même aujourd’hui. » Mais ça me fait plaisir, évidemment. Tout comme j’ai du mal à imaginer mon existence sans elle.

Au reste, j’ai un rire, hochant doucement la tête à ses paroles. « Je savais déjà que donner la vie, avoir un enfant, c’était la plus belle chose qui pouvait nous arriver. Mais là, c’est… oh Jordane, c’est tellement difficile à expliquer. C’est comme si mon cœur avait doublé de volume pour réussir à contenir tout l’amour que j’éprouve pour Noah désormais. » Je ne pensais déjà pas la chose possible et j’étais persuadée que les sentiments que j’avais pour ma famille ou pour elle étaient déjà ce qu’il y avait de plus fort. J’étais bien loin du compte décidément. « Et je ne suis pas sûre d’avoir vraiment le droit de me reposer. Il faut bien s’occuper de ce petit amour. »

Je serre encore mon amie dans mes bras avant de l’entrainer dans le salon. « April a fait de la citronnade. Tu en veux ? » Au reste, j’ai tout de même un léger temps d’arrêt, fixant Jordane quelques instants. Avant de souffler, d’une voix douce. « Tu m’as l’air de plus en plus proche de Victor… je me trompe ? » C’est un gentil garçon, même si l’idée qu’il se remarie implique que Grace est vraiment partie. Et ça, j’ai encore beaucoup de mal à l’admettre, la douleur d’avoir perdue une de mes meilleures amies de la sorte est encore bien vive, quoi qu’elle ait pu faire pour finir loin de nous. Et je finis par hocher doucement la tête, réalisant que, si je peux en parler à quelqu’un, c’est bien à Jordane. « J’ai… on est venu me voir. Pour me parler de tout ça. Pour essayer de m’ouvrir les yeux. Que nous méritions plus, que… enfin que nos dirigeants ne nous prennent pas assez en considération et j’en passe. » J’ai parlé d’une toute petite voix, sans trop oser entrer dans les détails ou même nommer Neela ou encore Tasya. Tout ça est encore bien vif dans mon esprit, même si ça commence à faire plusieurs semaines déjà.

Quand Jordane me demande à voir Noah, mon regard se fait plus brillant. « Oh, bien sûr ! Viens ! » Je lui attrape la main, nouant mes doigts aux siens et je l’entraine dans la chambre, non sans poser un index sur mes lèvres. « Il dort pour le moment. » Et je finis par m’arrêter devant le petit couffin, me reculant d’un pas pour la laisser voir le petit miracle d’elle-même. « Tu peux approcher. » Qu’elle n’ait pas peur. Il ne risque pas de se réveiller aussi facilement. Je crois.