Alice adressa un sourire à Daniel, même si elle ne le connaissait pas, et qu’elle n’était pas bien sûre de ce qui le mettait mal à l’aise. Mais elle avait envie de le mettre plus à l’aise, alors qu’il semblait aussi à sa place qu’un agneau au milieu d’une meute de loups. « Il faut renforcer des câbles usés, les enterrer après pour être sûrs qu’ils ne soient pas à nouveau endommagés par les intempéries, en raccorder certains à d’autres, aussi. » Sur l’antenne directement ou à terre, s’il n’était pas à l’aise avec la première option. Et il faudrait évidemment faire des tests, après, pour s’assurer que tout fonctionnait. Mais ça ne serait que l’aboutissement de tout ce qu’ils feraient.

Elle grimaça malgré elle, alors que Valérian disait qu’ils avaient subi plusieurs visites des pirates. Ce n’était pas réellement une surprise, ça n’en rendait pas moins les choses acceptables ou moins révoltantes. S’en relèveraient-ils, les uns et les autres ? « Ils paieront. » Elle essayait de paraître plus sûre qu’elle ne l’était et n’avait pas grand-chose à répondre de plus que cela, d’autant plus que Valérian ne s’adressait pas à elle, alors elle préféra garder le silence plutôt que d’avoir une parole maladroite ou qui pourrait mettre le feu aux poudres, persuadée que les tensions entre eux tous ne pouvaient qu’être ravivées.

Elle hocha la tête à l’attention de Moon. « Je pourrai monter avec toi. Normalement, la trousse à outils est prête. » Qu’elles n’oublient rien et n’aient pas à redescendre. « Le matériel pour s’assurer aussi. » Hors de question que l’une d’elles ne chute, même si les conditions étaient meilleures que lorsqu’ils avaient rétabli celle de Port Angeles. Même si la menace pirate était toujours là, dans les pensées de chacun d’entre eux. « De toute façon, si on sent la moindre fatigue ou la moindre déconcentration, on descend. » Ce n’était pas négociable. Surtout alors qu’Alice se sentait un peu coupable de la blessure de Salem, même si elle n’y était pas pour grand-chose, en réalité.

« Et ça t’amuse ? » Lâchai-je à Lenny, avec un regard désapprobateur. « La vidéo du drone est intacte, si tu veux voir la gueule que j’ai faite. » En vrai, au-delà de la franche rigolade que Lenny pourrait avoir, il serait peut-être utile que je leur montre le contenu de la vidéo pour savoir ce qu’ils en pensaient, surtout Valérian. « On a vu Hayden sur la vidéo, il était à bord du navire en question. » Je ne savais pas si c’était une bonne ou mauvaise chose. « Il ne vous a pas trahi tout de même ? » Lui demandai-je aussitôt.

Les nouvelles de Crescent Bay n’étaient pas vraiment bonnes. Evidemment, durant ces deux mois passés au large, les groupes de Valérian et Thaïs avaient dû faire le dos rond pour garder leurs otages en vie. J’étais un peu désolée pour eux, mais ils avaient fait leur choix et nous le nôtre. Ils avaient certainement davantage espoir que les autres soient encore en vie mais… dans quel état ? Leurs otages étaient essentiellement des femmes. Je n’osais même pas imaginer ce qu’ils étaient occupés à leur faire subir quotidiennement. « Ils recherchent toujours Yulia et les autres ? Ils ont posé des questions sur nous ? » La dernière fois que nous nous étions vus, les échanges avec Valérian avaient été houleux, mais nous avions convenus d’un plan d’action. Je ne savais pas si Thaïs et lui s’étaient tenus à cette version ou s’ils avaient cédé sous le coup de la pression. Je ne leur en voudrais pas dans ce dernier cas. Je savais à quel point ils pouvaient se montrer persuasifs. Les otages avaient également pu parler. « Quoi qu’il en soit, une fois cette éolienne en place, on pourra activer la tour radio. On tiendra ces pirates à l’œil avec le radar maritime et on vous préviendra immédiatement s’ils passent à l’action, ça vous laissera plus de latitude déjà… jusqu’à ce qu’on trouve la localisation de leur planque. » Le plan, pour nous, n’avait pas changé.

Chacun attendait de savoir quoi faire pour se mettre en action. Nous avions du pain sur la planche. Ce projet allait nous occuper les prochains jours. « Alice, Moon et moi, on va faire équipe pour brancher la tête de l’éolienne. C’est la partie la plus technique. » J’avais commencé à leur apprendre comment faire, mais nous n’avions pas encore travaillé sur une éolienne, alors c’était une bonne occasion. « Une fois qu’on aura fini, Lenny, Valérian et Daniel, on compte sur vous pour la hisser. Il faudra ensuite couler une dalle de béton pour terminer les fondations. Ca risque de faire du bruit et attirer des morts par contre... » C’était du travail de force et d’endurance, parfait pour eux. « Salem, je compte sur toi pour les câbles au sol. » Ce travail ne nécessiterait pas qu’elle force trop sur sa jambe blessée. « Si c’est ok pour vous, allons-y ! »

Bien sûr que ça m'amuse, tu t'imagines quoi ? Que j'ai juste envie d'imprimer ta photo pour la mettre dans mon porte-feuille, miss-sourire ? Je secoue la tête, l'emmerder est évidemment un plaisir, me payer sa poire encore plus, on change pas les bonnes habitudes et encore moins quand les temps sont graves, c'est justement le pire moment pour ça. Mais par la même, j'ai l'impression que ça révèle d'autre chose, dont Valérian doit répondre pour l'occasion. La présence d'Hayden a bord du navire des pirates, sa possible participation ou désertion à des crimes plus graves, j'en sais rien mais quoi qu'il en soit, la question se pose carrément pour comprendre ce qu'il se passe.

L'organisation se poursuit pour tout le monde, il faut bien. On est pas venus ici pour taper la discussion ou pour se tourner les pouces selon toute vraisemblance, je sais qu'il va falloir qu'on se mette rapidement au travail. De toute façon, j'ai pas très envie de m'ennuyer, les travaux manuels sont pas les pires à mon sens, on en a fait suffisamment pour que ça soit devenu une sorte de continuité pour moi, une évidence peut-être, j'en sais trop rien. En tout cas, c'est un peu plus ma came que réfléchir à des plans d'action, alors à la mention de Ruby, je lui fais un signe de la main : T'embête pas, on va préparer le béton à la main, c'est pas difficile.

Enfin, c'est pas une partie de plaisir non plus hein mais au moins, ça se fait. Tout ça prendra plus de temps mais on sera silencieux, et ça ira pour le reste, je dis "on" sauf si je me retrouve à devoir gérer ça tout seul. Du sable, du gravier, de l'eau, du ciment, on mélange un peu comme on ferait une pâtisserie et on y va, c'est pas le plus compliqué. Avec une bonne pelle en tout cas, ça fait seulement travailler les bras, je suis pas du genre à rechigner à la tâche, surtout quand celle-ci à rien d'une véritable purge. Faut juste voir à pas se mettre trop exposé au soleil, même pour la saison vu l'effort, on risque de transpirer.