Dix-neuf heures quinze.
Maison des Hawksley, district quatre.



Allez, il est temps d’aller dormir. Tout en portant délicatement Lucy, Elijah monte prudemment les escaliers menant au seul et unique étage de leur maison: l’endroit est peu éclairé, économies de bougies obligent, le prix de celles-ci se faisant de plus en plus élevé. Hors de question de les utiliser inutilement, par pur confort, alors qu’un petit nombre est amplement suffisant. Qu’importe si cela peut s’avérer plutôt inconvénient, lorsque la nuit tombe aussi tôt. Doucement, le milicien se dirige jusqu’à la chambre de l’enfant, plongée dans l’obscurité la plus totale: une fois à l’intérieur, il n’a qu’à faire que quelques pas, avant de la déposer dans son lit.

La recouvrant avec la couette, il prend le temps de la border, avant de finalement se relever: mais, s’il pense pouvoir partir d’aussitôt, il se trompe totalement. Tu pars pas ! Reste ici papa… La voix de Lucy brise le silence, tandis qu’elle s’accroche à la veste d’Elijah. Maline comme elle est, d’une certaine manière, à presque feindre le sommeil alors qu’elle semble encore bien éveillée. Bien. Essaie de dormir alors, d’accord ? Il s’assoit sur le lit, non loin de l’enfant, tandis que cette dernière a une légère moue: il lui faut peu de temps avant de revenir dans les bras de l’adulte, s’accrochant à lui. Un sourire se dessine sur le visage du milicien, avant qu’il ne la serre doucement contre lui.

De longues minutes s’écoulent avant que Lucy ne ferme de nouveau les yeux, sur le point de s’endormir, tandis qu’Elijah ne cesse de la tenir. I will hold you and protect you, so let love warm you til the morning. I’ll stay with you by your side, close your tired eyes. Paroles d’une comptine murmurées, tout en replaçant l’enfant dans son lit: cette fois-ci, elle dort suffisamment pour ne se rendre compte de rien, tandis qu’Elijah en profite pour s’éclipser. C’est en allant de nouveau dans les escaliers qu’il entend de légers coups donnés au niveau de la porte d’entrée: et apparemment il n’est pas le seul à les avoir entendus, puisque aussitôt Clover s’y dirige, tout autant intrigué.

Il n’y a aucun doute possible: ce doit être Mia, qui rentre tout juste, accompagnée par son amie. Maelys. Il les attendait de pied ferme depuis un moment déjà, bien décidé à leur demander quelques explications, concernant leur comportement respectif. Le mensonge émis, quand elles prétendaient aller se promener, alors qu’elles se trouvaient au beau milieu de cette marche. Une fois la porte ouverte, Elijah se trouve bel et bien devant sa fille aînée, particulièrement silencieuse cette fois-ci: entre-temps, le chien se dirige joyeusement vers elle, réclamant déjà son attention. Clover, l’appelle le milicien, lui faisant signe de revenir à l’intérieur. L’animal obéit, et l’attention de l’adulte revient de nouveau sur Mia.

Entre, dit-il finalement, dans un soupir. Cette dernière jette un dernier regard vers la rue, là où il est encore possible de distinguer deux silhouettes, non loin. Aucun doute, la belle-fille de River est elle aussi présente. Il s’efface pour laisser passer sa fille, avant de finalement faire un pas à l’extérieur. Maelys ? Avant de rentrer, j’aimerais que tu viennes à la maison. De toute évidence, des explications s’imposent. Si le ton de la voix reste particulièrement neutre, quoique emprunt de fermeté, il ne souffre cependant d’aucun refus: qu’elle le veuille ou non, l’adolescente a tout intérêt à venir, à moins qu’elle ne préfère qu’Elijah ait une petite discussion avec sa mère dès le lendemain… Quant au soldat l’accompagnant ? Eh bien, qu’importe. Il attendra.

Tout s’était bien passé. Maelys n’y croyait pas vraiment, même quand elle était venue chercher Mia. Elle s’inquiétait que tout dégénère et avait hésité à l’y entraîner. À y aller, aussi, tout simplement. Après ce que Lynn avait subi… Elle était plus que jamais consciente du danger. Tasya l’avait d’ailleurs mise en garde, insistant sur le fait que ça n’en valait pas la peine. L’adolescente avait du mal à faire la part des choses entre sa volonté que les choses changent, et l’exemple donné par certaines femmes de Walla Walla, et sa peur qu’elle soit blessée ou tuée sans jamais revoir son père, s’il était bel et bien en vie. Mais il suffisait que Mia se confie sur la peur qu’elle ressentait à l’idée d’épouser un vieil homme pour que toute volonté de faire profil bas chez elle disparaisse, remplacée par une colère insurmontable.

Alors même si elle craignait de croiser le père de son amie, même si elle savait qu’il allait probablement lui reprocher ce qu’elle avait fait, elle tiendrait tête. Elle avait dit à Mia de tout lui mettre sur le dos, ce qui n’était de toute façon pas totalement faux. Elle espérait tout de même, surtout alors que la vision familière de sa maison se rapprochait, faire demi-tour sans se faire repérer, repoussant la confrontation à plus tard. « Attends ! » Saisissant la main de Mia, elle l’arrêta à quelques pas de la maison. « Je… Tu crois que je pourrais venir plus tard ? » Elle n’eut pas vraiment le temps de répondre qu’un aboiement se fit entendre. Mia lui murmura que c’était sûrement trop tard.

Grimaçant, elle s’avança malgré tout vers la porte, le regard fruyant. « Monsieur. » Elle hésita. Pouvait-elle seulement dire non ? Le ton du père de son amie lui soufflait que non, mais elle pouvait arguer qu’il était tard, et que River lui avait dit de ne pas traîner dehors quand il faisait sombre. Le père de famille qui lui faisait face pouvait certainement l’entendre, non ? Malheureusement, il s’était décalé pour lui laisser la voie libre, et elle n’eut pas d’autre choix que d’entrer. Croisant les bras, elle refusa malgré tout de détourner le regard, attendant qu’il lui dise ce qu’il lui voulait. Qu’elle le sache très bien importait peu.

Sous le regard attentif d’Elijah, Maelys s’avance finalement vers la porte d’entrée, sûrement consciente qu’elle n’a de toute façon pas le choix d’aller dans le sens de sa demande. Il lui laisse la voie libre pour qu’elle rentre dans la maison, et une fois ceci fait l’adulte referme la porte derrière eux, laissant le milicien suivant la jeune Reid à la trace sur le palier. L’attitude de cette dernière ne l’impressionne pas, alors qu’elle semble décidée à rester plantée là, les bras croisés. Tu connais le chemin jusqu’au salon. Une manière de l’inciter à s’y rendre, pour qu’ils puissent avoir une discussion dans de meilleurs conditions.

Mia les attend déjà là-bas, sagement assise sur le canapé trônant dans la pièce: en voyant son amie arriver, elle l’invite à s’installer près d’elle, lui adressant un mince sourire. Une façon comme une autre de la mettre un peu plus en confiance, même si elle se doute de ce qui les attend: après tout, ce qu’elles ont fait était tout sauf honnête, il fallait bien l’avouer. Elles auraient dû lui en parler, mais… il est certain qu’il ne les aurait pas autorisées à s’y rendre, une fois mis au courant. Alors… peut-être que ça en valait la peine, de dissimuler ça. Et puis rien ne leur est arrivé au final, n’est-ce pas ?

Peu de temps après, Elijah entre dans la pièce, suivi de près par Clover: l’attention de l’adulte se pose silencieusement sur Mia puis Maelys, le temps d’un instant, avant de prendre la parole. Je peux savoir ce qu’il vous a pris de participer à cette marche, sans en avertir personne ? Un court temp d’arrêt. Pire encore, en mentant sur ce que vous comptiez réellement faire ? Clairement, le milicien ne cache pas son agacement: à ses yeux, l’une comme l’autre ne se rendent pas compte d’à quel point la situation aurait pu être dangereuse, s’il y avait eu le moindre incident. Que penses tu qu’il se serait passé Maelys, s’il t’était arrivé quoique ce soit, en étant sous ma responsabilité ?

Peu importe si la marche pacifique est au final restée calme et maîtrisée jusqu’au bout: rien n’allait forcément dans ce sens, au moment des faits. Il aurait suffit d’une minuscule étincelle, pour que cela devienne un immense brasier, à l’image de la sortie du pseudo prophète bien des mois plus tôt. Ta mère en sera informée, bien sûr.

Elle le connaissait, oui, mais elle aurait préféré l’oublier subitement. Il était tentant de repartir en courant, d’un coup. Mais même vieux comme il l’était, il l’aurait rattrapée sans trop de problème, elle en était presque sûre. Elle regrettait de ne pas avoir son skate : là, il n’aurait jamais pu tenir la distance. Mais la punition aurait sûrement été encore pire. Il aurait été en parler à River, non ? Mais il n’était pas là, et s’il n’en parlait qu’à Jena… Elle ne ferait sûrement rien. Jusqu’à ce que River rentre, du moins, à moins que Maelys n’arrive à l’amadouer d’ici là ? À moins qu’elle ne parvienne à convaincre Elijah, mais ça lui semblait beaucoup plus compliqué. Baissant la tête, elle devança donc le père de son amie dans le salon, allant s’asseoir à côté de Mia qui lui faisait signe. Au moins, elle la soutiendra. Elle serra sa main dans la sienne par réflexe, même si Maelys pouvait l’entendre lui dire qu’elle n’avait pas de raison d’avoir peur.

Elle espérait en tout cas être la seule cible des accusations d’Elijah, même si, vu son entrée en matière, c’était plutôt raté. « C’est ma faute ! Mia n’y est pour rien, c’est moi qui ai menti. » Ce n’était même pas faux, même si son amie savait pertinemment ce qu’elle avait en tête. « Vous nous auriez jamais autorisées à y aller, si on vous l’avait dit, alors qu’on est grandes. » Elle était prête à parier qu’elle avait vécu autant, si ce n’est plus, de choses que la plupart des gens de Walla Walla. Que les adultes le veuillent ou non, elle était capable de choisir par elle-même et de se débrouiller toute seule. « Mais ça n’aurait pas été votre responsabilité, parce que j’ai menti ! » Elle se retint de dire que ça n’était pas la première fois qu’elle mentait pour la même raison, et qu’ils n’accuseraient jamais Elijah de ça : ça n’arrangerait pas sa cause. « Et c’était organisé par Hailey, c’est une femme respectée et une vraie chrétienne ! Tout le monde lui fait confiance, personne ne mettrait le bor… bazar, dans une marche organisée par elle. » Plus que tout le reste, c’était aux yeux de Maelys le seul argument valable et celui qui devait faire mouche.

Même si, si elle devait être honnête, elle avait craint qu’il ne se passe quelque chose. « Mais je n’aurai pas laisser quoi que ce soit arriver à Mia ! Elle serait rentrée, s’il y avait eu le moindre problème ! » Elle savait, bien sûr, que Mia n’était pas d’accord, mais elle l’aurait implorée de veiller sur Wilan et sur April, au cas où, et Mia n’aurait pas pu le lui refuser. En tout cas, Maelys y croyait fermement. « Elle a… Je sais. » Elle aurait pu lui dire qu’elle ne ferait rien ou qu’elle avait trop à penser, mais dans le premier cas, c’était très bien pour elle, dans le second… Elle ne savait pas trop.