Ses oreilles bourdonnent encore des aveux d'Ulrich. Si elle garde un visage neutre, son esprit tout entier vibre d'une colère forte. Ses yeux cernés laissent transparaitre les nuits agitées depuis la bataille : les fantômes de Lee et surtout d'Aamir viennent la hanter et elle ne peut avoir que des regrets pour les pleurer. La militaire tient le coup, il le faut. Elle aura tout le temps pour s'effondrer quand tous les siens seront en sécurité.

La porte se referme et elle se tourne vers Connor et Valérian. « Nous avons donc une semaine. » Un peu moins, vu le temps qu'ils ont mis à cuisiner Ulrich, quelques jours tout au plus. Cette nouvelle est probablement la seule bonne qu'ils ont pu recevoir depuis le début. Sam et Reese sont donc encore en vie à l'heure qu'il est. Pour le moment. « Et chaque jour qui passera après ce délais, c'est un otage qui perdra la vie. » prononce-t-elle d'une voix sombre.

Thaïs se tourne vers Connor et le dévisage. « Tu connais Peter. Si je lui dis la vérité, penses-tu qu'elle risquera des représailles ? » Il sait de quoi elle parle. La militaire ne compte pas tourner autour du pot et dissimuler la vérité aux Inglorious Fuckers. Elle a toujours fait preuve d'une sincérité à toute épreuve et est prête à accepter les conséquences de leurs actes. Cependant, Peter ne lui a pas fait une très bonne impression : homme colérique, sans empathie, prêt à tout pour défendre les siens et peut-être même à écraser les autres, qui sait. Autant dire que sa sincérité aura ses limites si ça peut mettre en péril les siens.

Des représailles ? Les yeux de Connor se tournèrent vers la femme. Encore sous le choc, le sportif était en train de digérer les informations comme il pouvait, avant de se figer à la question de la brune : Tu crois quoi ? Que les Fuckers vont la tabasser dès son retour pour lui faire payer ce qu'il s'est passé ? Tu les prends pour qui, au juste, Thais ? Demanda-t-il, plus sombrement encore. Il connaissait sans doute moins Peter qu'Elena, mais il voyait mal sa compagne s'associer à un monstre : Ils t'ont accueilli chez eux, et jusqu'à preuve du contraire, Riley a pu bouger, et tu es toujours sur tes deux jambes, tes hommes reçoivent des soins, lui rappela-t-il.

Quoi qu'il en soit, cette information était importante. Restait à savoir cependant si le moment était judicieux pour la confronter. Je ne pense pas, ajouta-t-il simplement : On est tous des gens normaux. Avec ce qu'elle a subi, tout le monde aurait fini par parler, et ça, il savait Elena et Peter assez intelligents pour le comprendre. Ce que ça met en évidence, c'est d'autres problèmes : à partir du moment où on ouvre nos portes, on prend le risque d'être exposé. Notamment face à la torture, parce que personne ne pouvait assurer qu'il passerait à travers les mailles du filet. On est pas fait pour résister à ça, aucun de nous, souffla-t-il.

L’expression sombre, le grec repensait aux échanges avec Ulrich, et aux aveux horrifiants auxquels celui-ci s’était finalement livré, son visage pâle fendu d’un sourire sardonique. Il s’était visiblement amusé de leurs réactions indignées, prenant un indéniable plaisir à leur raconter les horreurs qu’il avait fait subir à Sam dans le but de lui arracher la position de Telve. En son for intérieur, Valérian redoutait que Reese, Gin ou Kaitlyn aient subi un sort similaire. Il s’efforçait néanmoins de s’arracher à ces profondes angoisses, comme à des tentacules vireux, pour garder la tête froide et concentrer son énergie sur les préparations de la bataille à venir. Il ne pouvait pas se laisser submerger de nouveau par ces émotions destructrices.    

Le front marqué d’une ride profonde, le grec tourna ses yeux sombres vers Thaïs qui s’inquiétait de la réaction de Peter s’il venait à apprendre la vérité. Il ne connaissait pas non plus l’homme, mais savait Elena suffisamment intelligente pour ne pas s’allier à une brute irréfléchie. « N’importe qui aurait parlé sous la torture. » ajouta Valérian d'un air grave. Il en avait lui-même fait les frais quelques mois en arrière, quand les pirates lui avaient arraché de force la position de Crescent Bay. « Nous connaissions ce risque. Nous savions qu’en ouvrant nos portes à nos alliés, nous nous exposions à ce genre de… déconvenue. » Les Exilés avaient fait l’expérience d’une situation similaire avec the Haven. Et si Valérian avait dans un premier temps été furieux contre Selene, il avait fini par comprendre le désespoir qui l’avait poussée à vendre la distillerie. « Mais nous avons besoin de ces partenariats pour survivre. » Les échanges entre les différentes factions assuraient en effet leur pérennité. Le grec resta songeur un instant, puis tourna son regard vers Thaïs. « Est-ce que tu comptes le leur dire ? »

Devant la réaction estomaquée de Connor, Thaïs vient croiser ses bras. « Pour qui je les prends ? Pour des humains justement. Et on est en temps de guerre » commente-t-elle. « Qui peut être sûre à 100% des réactions des uns et des autres ? » Thaïs a conscience que Sam a mis en péril le groupe de Peter et cela suffit pour attiser quelques craintes de sa part. Si les Inglorious n'avaient pas pu se préparer, ils seraient aux mains des pirates aujourd'hui, alors, oui, elle craint des représailles, quoique puisse en dire Connor. Ils restent humains et certains sont plus impulsifs que d'autres. Souvent, cette impulsivité peut prendre le dessus sur la raison, c'est ce qui définit aussi ce trait de caractère.

Elle expose ses doutes, quitte à ce que cela fâche. C'est son rôle de leadeuse. Les relations sont tendues du fait de la dernière attaque. Elle ne s'offusquerait pas que les Inglorious aient les mêmes doutes concernant ses propres intentions pour Evan, c'est normal. Quant au reste, si les Gentle Bastards ont été soignés, ils n'en restent pas moins prisonniers de cet endroit donc elle se montre plus que mitigée sur cet accueil si chaleureux que lui décrit Connor.  « Sous étroite surveillance » rappelle-t-elle simplement. Ils ne sont pas des invités.

Thaïs hoche lentement la tête. Connor et Valerian ont raison. Aujourd'hui, c'est Sam qui a parlé, à l'avenir, ce peut-être quelqu'un d'autre. « Malheuresement, à part en s'isolant complètement, il n'y a aucune certitude. » Ce n'est pas le but de Thaïs. « Nous avons tout intérêt à renforcer nos alliances au contraire et nos moyens de communication » Et si son esprit fourmille déjà d'idées pour la suite, elle se concentre toutefois sur l'instant présent et ses priorités. Elle se tourne vers Valerian « C'est inutile de leur cacher la vérité, elle finira par éclater. Si j'ai l'occasion de leur dire, je le ferais. » Et elle assumera.

Et tu ferais quoi à leur place ? Tu les laisserais partir sans les surveiller étroitement ? Demanda-t-il en fronçant les sourcils. Elle souhaitait vraiment repartir dans ce débat ? Des gens qui ont vu la tête coupée d'un allié pour les avertir de ce qui allait suivre, qui peuvent paniquer ou réagir sous le coup de l'émotion, de l'impulsivité, et donc aggraver une situation déjà grave ? Il n'y avait rien de plus logique au contraire, et c'était purement hypocrite de reprocher aux Fuckers de prendre les décisions qui s'imposaient quand, à l'inverse, Thais ferait sans doute exactement la même chose avec les informations qu'ils avaient tous. Sérieusement, vous êtes évidemment les deux personnes qu'on doit garder précisément ici, parce que vos hommes vous suivent et vous font confiance, ils ne tenteront rien d'idiots sans votre assentiment, ajouta-t-il simplement. Un soupir lui échappa.

Au moins, on est d'accord là-dessus. A voir si tu veux le dire à tout le monde, ou seulement à Peter et Elena sans notre présence, c'était aussi une possibilité. Telve était le camp le plus "simple" à attaquer stratégiquement : accessible par la mer et de ce que vous en saviez, sans défenses importantes, ajouta-t-il. Avec Crescent déjà prise, il ne reste finalement que votre camp dont Sam peut connaitre la localisation, et l'avant-poste de Gig Harbor qui est prenable, du reste ? Rien du tout. De ce point aussi, nous devrons y venir après. Les alliances ont pris un sacré coup, la confiance aussi. La reconstruire prendra du temps - beaucoup. Mais vous devrez discuter avec les Fuckers de ça, plus posément, souffla Connor.