Depuis la dernière expédition, Waban se devait de faire quelques allers et retours vers l’infirmerie. Il faut dire que l’épaule délogé et la cheville foulée n’avait pas vraiment laissé le choix à Waban de faire autrement. Si, des mois en arrières, il avait la possibilité de passer inaperçu, de laisser au temps le soin de panser ses blessures, autant dire que ce n’était plus possible à présent.
Le natif était bien trop entouré pour pouvoir faire abstraction. Que ce soit Quinn, Nihima, Vi, Nolan… Beaucoup s’inquiétaient pour lui et il n’avait pas vraiment le cœur à les repousser.

Waban appréciait toutes ses personnes qu’il pouvait considérer comme des amis. Ceux qui lui avaient donné une impression positive dès le début. Ceux qu’il savait être de bonnes personnes. Alors aujourd’hui encore, tu marches vers l’infirmerie. Il n’avait jamais travaillé tant sur sa jambe mais visiblement, il devait faire quelques exercices pour tenter d’empêcher la rouille des dernières années.

Il avait bien remarqué la jambe de Nolan et, depuis le début, il y avait une sorte d’entente. Histoire de ne faire aucun commentaire mais de s’entraîner dans la confidence de l’autre. Même si la situation de sa cheville rendait difficile l’exercice en lui-même. Frappant à l’infirmerie, Waban poussa la porte. Difficile de s’annoncer à haute voix. Il espère donc faire suffisamment de bruit pour n’effrayer personne.

Pénétrant dans le bureau, qui devait aussi être refait comme la plupart des bâtiments ici, il claqua des doigts pour que la tête de son vis-à-vis ne soit finalement concentré sur lui-même.

- Bonjour Nolan. Comment ça va ?

Signa le natif dans sa direction. Waban faisait preuve de bonne fois en se forçant à aller jusqu’à l’infirmerie. Immobiliser son bras était chiant, de même pour sa cheville, puisqu’il avait l’impression d’être bon à rien. Sokanon veillait au grain, hors de question de laisser Waban sortir sans tout l’attirail nécessaire à une rémission.

- Ma mère me surveille. Si je ne viens pas ici pour les exercices, je risque de dormir hors de la maison.

Signe-t-il, un léger sourire amusé sur le visage. Il ne fallait pas se battre avec Sokanon. Il fallait faire ce qu’elle disait et point. Rien de plus, rien de moins.

J’ai un profond soupir, griffonnant distraitement quelques mots alors que j’examine pour la millième fois – sans exagération aucune – le schéma que j’ai sous les yeux. Nihima nous a ramené des cadavres de femmes et on a pu commencer à s’exercer, alors du coup, j’essaie de superposer la théorie et la pratique. Mais franchement, c’est plus compliqué que je l’aurais cru. Et un brin frustrant. Dans d’autres circonstances, j’aurais probablement trouvé que c’était un sacré challenge. Mais là, de fait, j’aurais préféré qu’il y en ait un peu moins.

Je tourne une nouvelle page, sourcils toujours froncés, sans prêter la moindre attention à ce qui se passe autour de moi. C’est souvent que ça arrive quand je suis plongé dans un bouquin. J’en oublie totalement le monde extérieur, ce qui est pas forcément une bonne chose. Enfin là, ça va, je suis en sécurité et je crains rien entre ces murs. Mais j’ai déjà réussi à faire ça quand j’étais tout seul dehors. Et c’était pas la meilleure des idées ouais. J’entends même pas qu’on pousse la porte et c’est quand Waban claque des doigts que je pige qu’il vient d’arriver. « Oh salut ! »

Je rends un large sourire au natif, alors que je referme bouquin et calepin rapidement. Je préfère éviter que les gens voient sur quoi je bosse, ça générerait beaucoup trop de questions auxquelles je peux pas répondre dans l’immédiat. « C’est pas moi qui dois poser cette question normalement ? » Soufflé avec un sourire amusé, alors que je l’observe avec attention. La virée à l’hôpital ne lui a pas fait du bien mais, en comparaison avec ce qui aurait pu lui arriver, il s’en sort plutôt bien. « J’imagine que tu dois déjà en avoir marre d’avoir l’épaule bloquée. » Ca doit être le plus galère de tout en vrai. Dans le genre handicapant, ça se pose là et ça l’oblige à demander de l’aide pour beaucoup trop de trucs. Mais on sait tous les deux que c’est une nécessité. Tout en parlant, je me suis efforcé de signer, histoire de pas perdre les bonnes habitudes. Si les cours avec Nihima m’avaient déjà bien aidé, j’ai fait des progrès assez fulgurants depuis notre arrivée ici et depuis que je passe du temps avec Waban.

Parce qu’on a réussi à trouver une espèce de terrain d’entente tous les deux. Et je me suis surpris à non seulement apprécier mais à chercher aussi sa compagnie quand je fais mes exercices pour ma jambe. Forcément, on parle pas, alors c’est reposant d’une certaine façon, même si on a aucun problème pour discuter. Et il est vraiment sympa, même si, en cet instant, je crois qu’il aimerait me voir un peu moins souvent. Je tousse un rire à sa remarque sur sa mère, avant de souffler, malicieux. « En même temps, si elle apprend que je te dispense d’exercices, elle trouvera un moyen de m’engueuler aussi. Et on sait tous les deux que ça te fait du bien. » A moi aussi, même si je m’en passerais bien, question de flemme. « Alors, comment tu vas ? » Je me suis fait un brin plus sérieux, l’observant avec mon attention habituelle quand je pose ce genre de questions, surtout à un blessé.

Waban haussa simplement une épaule. Oui, le médecin devait demander plus souvent comment la personne se portait. Mais Waban partait du principe qu’il avait tout autant besoin de retourner la question. Après tout, il avait cette même difficulté au niveau de sa jambe. Mais avec l’épisode de l’hôpital, il estimait que cette question était plus que nécessaire.

- C’est une manière d’éviter la question ?

Signe le natif en ayant repérer assez facilement l’absence de réponse à cette demande plutôt simple. Néanmoins, Waban ne put qu’hocher la tête avec rapidité. Oui, il en avait marre d’avoir l’épaule bloquée, marre d’avoir l’attelle à sa cheville. Il avait l’impression que les esprits le mettaient à l’épreuve d’une résilience quelconque. Quoi qu’il en soit, il avait maintenant bien trop de paires d’yeux portés sur lui pour pouvoir passer entre les mailles du filet. Entre Nima, Vi, Sokanon, Gaagi, Quinn et d’autres. Non, si Waban ne se pliait pas aux soins, il savait pertinemment qu’il devra essuyer les réprimandes et il n’a pas envie de se fatiguer à ça dans l’immédiat.

- Elle a dans l’espoir que ça ne soit plus une gène avec le temps. Mais je doute vraiment que ce soit le cas après autant d’année. Ça me fait du bien sur le moment mais lors des températures basses, le problème revient.

Autant dire que Waban trouverait l’exercice d’une inutilité profonde. Mais il s’y pliait toutefois. Mais comment allait-il ? Plutôt bien. Mieux d’ailleurs qu’il ne l’aurait pensé. Parce qu’il avait pu parler à Vi, déjà. Mettre à plat de nombreuses choses. Mais la lettre qu’il avait trouvée laissait planer une certaine ombre au-dessus de sa tête. Waban s’approcha finalement de la chaise pour s’y asseoir.

- Je déteste l’attelle à ma cheville. Je déteste le blocage de mon épaule. Mais je me sens bien. J’ai mal à ma jambe avec l’effort dans l’hôpital cependant… Et toi ?

Waban ne pouvait s’empêcher de poser à nouveau la question. Même s’il n’était pas vraiment sûr que Nolan ne réponde à sa question. Mais il aura au moins essayé. Essayé de faire parler Nolan au même titre que ceux qui se confie à lui sans qu’il ne pose la question.

Je rends un large sourire à Waban quand il signe. « Je pensais surtout que c’était une manière subtile d’éviter la question. Ca marche pas trop on dirait. » En même temps c’est pas comme si j’avais vraiment fait des efforts pour détourner le sujet. D’habitude, je fais un peu plus attention, mais avec Waban, je me sens assez en confiance pour pas avoir juste à me murer derrière mon rôle de médecin. Faut dire que, paradoxalement, le silence aide beaucoup à se livrer. Et parler en langage des signes, apprendre la signification de chaque mouvement, chaque signe, ça permet aussi de dire précisément ce qu’on a en tête et ça rend la discussion autrement plus pertinente, moins parasitée par des paroles superflues, qui arrondiraient les phrases.

Du reste, j’ai une grimace quand il se confie un peu plus par rapport à sa jambe. « Ouais, je connais. Je confirme que ça sera plus jamais exactement comme avant. Mais on peut encore trouver d’autres exercices pour que ça soit pas un handicap pour toi. C’est le plus important à mon sens. » On aura de toute façon jamais les moyens de retaper les corps aussi bien qu’avant. Mais paradoxalement, notre façon de vivre a aussi un impact positif sur la forme générale des gens. Que ce soit la nourriture ou les entrainements, je suis sûr que certains – dont moi – sont plus en forme qu’avant. Reste à espérer que ça dure, même ici. « Toi aussi t’es capable de prévoir la pluie avant qu’elle arrive ? » Super pouvoir totalement inutile au demeurant.

Je le suis des yeux alors qu’il vient s’installer et je désigne deux tasses. « Tu veux boire un truc chaud ? J’ai du pseudo café ou du thé. » Ptet même que je vais sortir la boite de bonbons, allez savoir. J’ai quand même une grimace compatissante quand il continue, évoquant les deux attelles qui l’entravent depuis la virée à l’hôpital. « Ca doit être un peu frustrant, je comprends. Et sur une échelle de 1 à 10, t’as mal comment ? » Vrai que c’est compliqué quand on me retourne la question sur comment ça peut aller. Parce qu’on est à l’infirmerie et que c’est mon job de poser la question, pas qu’on me le demande. Mais ça reste Waban. Alors je me frotte la nuque, songeur, avant de laisser filer un soupir. « Je me dis qu’on a eu sacrément de la chance là-bas, surtout vu ce qui nous attendait sur place. Enfin de la chance et une super équipe. » Même si on est tous conscients qu’une bonne équipe fait malheureusement pas tout. « Mais ça me fait quand même flipper. De voir qu’on peut encore tomber sur des endroits comme ça. Ca m’a aussi rappelé les premiers mois de l’épidémie. C’était pas… enfin, c’est compliqué de l’assimiler. » Donc je peux pas dire que je vais bien. Pour autant, ça va pas mal non plus. Et c’est sans compter sur tout ce qui tourne autour d’Andrea et provoque une tension constante, que rien pourra faire baisser.