« Tu n’aurais pas dû voir ça, Maelys. » J’étais rentré directement chez moi après avoir déposé Ray au bidonville une heure plus tôt. Il n’avait pas pu faire le trajet par lui-même dans son état. Les chiens s’en étaient donné à cœur joie sur sa carcasse dégarnie par des mois de privation. Si le personnel du chenil n’avait pas raté une miette du spectacle, il en était de même pour l’adolescente à qui j’avais pourtant ordonné de rentrer sans tarder. « Pourquoi tu ne m’as pas obéi ? » Lui demandai-je, d’un ton pourtant calme et sans animosité.

L’adolescente était restée figée malgré elle devant le spectacle morbide, quand elle voulait uniquement récupérer un manteau pour se cacher à la vue de tous, honteuse. Honteuse de la merde de chien qui recouvrait ses vêtements, mais aussi des égratignures et des bleus – même si ces derniers étaient peu visibles. Elle n’avait aucun souvenir du trajet retour et, profitant que toutes soient occupées dans le salon, elle avait couru à la salle de bain sans se faire voir et sans répondre aux sollicitations des unes et des autres. Même pour elle, rentrer sans saluer était inhabituel. Elle avait mis toutes ses affaires, et la veste empruntée à elle ne savait qui, dans la machine à laver, la lançant totalement au hasard, oubliant même d’y mettre de la lessive. Elle n’avait rien dit à sa mère et à ses sœurs, prétendant que tout allait bien, alors que ça ne lui ressemblait pas de se changer pendant la journée comme ça. Elle fuyait le regard de River, alors qu’ils se retrouvaient tous les deux dans la cuisine, honteuse et mal à l’aise. « J’ai pas… je ne voulais pas, je voulais juste prendre un manteau, pour me cacher. Pour ne pas faire honte à la famille. » De l’adolescente bravache, il ne restait rien qu’une petite fille effrayée, dont le ton était peu assurée. « Il n’a pas mérité ça… » Sa voix était presque inaudible, alors qu’elle prononçait cette dernière phrase.

Maelys avait pris le temps de se changer rapidement, mais qu’elle se retrouve seule dans la cuisine avec moi témoignait du fait qu’elle avait tu cet incident honteux au reste de la famille. Je profitais que ne soyons que tous les deux pour battre le fer pendant qu’il était encore chaud. Elle n’aurait pas dû assister à une mise en scène aussi morbide. Même Lynn n’était pas au courant de ce que je pouvais parfois être amené à faire dans un cadre plus militaire. Ce n’était même pas une question d’âge, en vérité. Je cherchais absolument à les préserver.

Je poussai un soupir retentissant à écouter ses excuses. Elle avait seulement voulu récupérer un manteau avant de partir. Je me demandais à quel point elle cherchait encore à négocier dans la crainte d’une éventuelle sanction. Je m’étais aperçu avec le temps que la fille de Jena savait mieux louvoyer en société qu’on aurait pu le croire, parce qu’elle était parfois fine menteuse.

Je me figeai à l’entendre défendre Ray après ce qu’il lui avait fait. « Ce n’est pas seulement de toi dont il est question, Maelys. » J’imaginais qu’elle ne se contenterait pas d’explications si maigres. « La milice cherche à incriminer Lynn comme étant une rebelle, à cause des actes de son ex-mari qui ont des répercussions sur elle. Ils s’imaginent qu’elle a bien cherché à se prendre une balle lors des dernières manifestations… auxquelles tu as bien fait de ne pas participer. » Appuyai-je, comme pour lui signifier que je lui avais bien dit. « Ray méritait une bonne leçon, mais au-delà de ce fait, il fallait surtout que les militaires me voient lui en donner une pour que tout le monde comprenne que nous n’avons rien à voir avec ses agissements. Tu comprends ? »

Elle jouait avec ses mains, incapable de rester immobile, devant le regard inquisiteur de River. Elle n’avait vraiment pas voulu voir ça, et elle n’était pas restée en arrière volontairement. Elle le regrettait d’ailleurs amèrement. Elle regrettait aussi la façon dont elle s’était adressée à Ray, après qu’il ait subi ça. Elle n’avait pas voulu énerver Ray, elle essayait juste de comprendre quelque chose qui le dépassait, convaincue qu’elle était qu’il avait une belle vie et qu’il avait tout cassé.

Elle écoutait pourtant, estomaquée, ce que lui disait River. Elle savait que les miliciens avaient parlé à Lynn, mais elle pensait que c’était juste pour qu’elle leur explique ce que les rebelles avaient fait. Absolument pas parce qu’ils la croyaient coupable. « Mais… Mais Lynn est tout ce que l’Adonaï veut que les gens soient. Pourquoi… Pourquoi ils la croiraient coupable ? » Ça n’avait aucun sens.

« Mais c’est, c’était horrible. Il y avait pas un autre moyen ? Il a déjà peur des chiens, c’était… c’était pas déjà une leçon, de le mettre au chenil ? Ou alors… » Ou alors quoi ? Elle avait déjà vu des violences, dans sa vie, aussi horribles que celles-là, mais l’image des chiens qui déchiquetaient la chair de Ray était ancrée dans son esprit.