Je ne m'attendais pas à ce qu'une telle chose puisse arriver si rapidement. En un sens, c'est normal, nous sommes humains et donc vulnérables à tout ce qui touche aux virus. Mais je crois que le fait de savoir que cet endroit possédait un vaccin m'avait fait imaginer que les choses seraient différentes. Sauf que quand je vois à quel point c'est le branle bas de combat au laboratoire, je crois qu'on est bien loin d'être hors de danger. Il semblerait que les études ne donnent rien de concluant, ce qui m'inquiète un peu. En tout cas, je suis presque content que ma mère ne sorte pas de la maison, du coup. Ce serait bien de lui éviter d'ajouter un truc pareil en plus du reste.

Quoi qu'il en soit, j'ai été réquisitionné par l'une des responsables du camp aujourd'hui. C'est Bonnie qui m'a annoncé ça alors que j'arrivais au laboratoire, de base, et j'ai rapidement fait demi-tour pour aller me rendre au lieu indiqué par la scientifique. Madisson. Je l'avais rencontrée quand j'étais arrivé dans le camp avec ma mère. Elle n'a pas l'air beaucoup plus vieille que moi, en soit. En tout cas, elle avait l'air très gentille. Elle s'est montrée patiente avec ma mère, bienveillante. C'était vraiment cool de sa part.

Presque au pas de course, ayant peur d'arriver en retard, je rejoins donc le point de rendez-vous où je repère déjà la silhouette de la blonde au loin. Je la salue de la main quand je suis encore à une quinzaine de mètres, histoire qu'elle remarque que j'arrive, avant de la rejoindre finalement. Reprenant mon souffle, je m'excuse rapidement avant de prendre une grande inspiration. Désolé pour le retard, je ne savais pas que vous m'attendiez. Réflexe, je préfère toujours vouvoyer avant qu'on me dise le contraire. C'est ce que mes parents m'ont appris, et je respecte leur éducation.

J'ai cru comprendre que vous aviez besoin de moi ? J'ai été libéré de mes obligations au laboratoire pour aujourd'hui, histoire d'être disponible pour vous. Alors n'hésitez pas. Ouais, j'ai fait des progrès niveau relationnel. C'est vraiment pas encore ça, mais au moins je bégaie un peu moins quand je m'adresse aux gens. Ça me permet d'avoir l'air moins idiot, j'imagine.

J'avoue qu'une part de moi est assez perturbée à l'idée de vouvoyer quelqu'un qui n'a pas l'air beaucoup plus âgé que moi. Mais d'un autre côté, l'éducation que m'ont inculqué mes parents est bien trop ancrée dans mon esprit pour que je ne tente d'y déroger. Cette fille, aussi jeune soit-elle, est l'une des responsables du camp. Et je lui dois du coup le respect. Encore plus qu'à n'importe quel habitant normal du Fort comme je peux l'être.

Je suis presque au garde à vous à côté d'elle, tenant le dos droit et essayant de ne pas faire honte à la confiance qui a été placée en moi pour me confier ce travail. Attentif, je me contente d'un hochement de tête quand la blonde me remercie d'être là. C'est normal, la situation est beaucoup trop importante pour que n'importe qui de sain ne soit pas mis à contribution. Et pour faire partie de l'équipe du laboratoire, même si ce n'est que pour prendre des notes sur l'avancée des recherches sur cette nouvelle forme de la maladie, je suis bien placé pour savoir que les choses sont bien plus compliquées qu'on ne l'aurait imaginé.

L'objectif est donc d'aller distribuer des repas et prendre des nouvelles des malades. Au moins, ça me permettra aussi d'étudier un peu les symptômes si possible et de les rapporter aux scientifiques quand je retournerai au laboratoire une fois mon travail ici terminé. Parfait. Je hoche donc la tête avant de remarquer le petit garçon qui vient se coller contre Madisson. Je hausse un sourcil, surpris, avant d'entendre les explications de la mère de ce dernier, donc. Oh, d'accord. Puis j'essaie de m'inspirer du comportement qu'auraient eu mes frères dans une situation pareille, offrant un sourire – pas très à l'aise, j'avoue – au petit bout. Je compte sur toi pour me guider alors! Ok je sais pas si c'était vraiment bien, mais j'ai essayé.

Reportant mon attention sur la responsable, je secoue négativement la tête avant de jeter un coup d’œil à la carte qu'elle m'a confié. Non, c'est bon. Et je suis disponible toute la journée si vous avez besoin de moi pour autre chose. Bonnie m'a dit que je devais prioriser ça aujourd'hui, plutôt que de retourner rapidement au laboratoire. Ce n'est pas vraiment comme s'ils ne pouvaient pas se débrouiller sans moi. Nous nous mettons donc en route, après que j'ai récupéré la plupart des vivres préparés pour les malades histoire que la blonde n'ait pas trop à porter vu la fatigue évidente visible sur ses traits. Comment vous faites pour gérer tout ça ? La curiosité a pris le pas sur la timidité.

C'est vrai qu'on ne doit pas avoir beaucoup d'années d'écart, tous les deux. Mais je sais pas, j'imagine que le fait d'avoir en face de moi une responsable du camp me fout quand même un bon petit coup de pression. Du genre à me dire qu'elle peut certainement influer sur mon avenir ici en un claquement de doigts quoi. Ce serait sûrement pas trop difficile pour elle quoi. Et je n'ai pas spécialement envie qu'un quelconque manque de respect de ma part puisse influer sur la légitimité de ma mère à être dans un endroit sécuritaire pour elle. J'en ai suffisamment chié pour réussir à lui faire tenir bon pendant tout ce temps dehors. Aujourd'hui, il y a un peu d'espoir pour qu'elle finisse par aller mieux, se rétablir. J'imagine qu'il ne me reste pas grand chose d'autre que d'espérer que ça fonctionne. Justement. Enfin bref.

Je hausse les épaules, lançant un rapide regard à la blonde pendant qu'on prépare les différents paniers de provisions. C'est un réflexe, pardon. L'autorité, tout ça. Mon père et mes frères arrêtaient pas de répéter en boucle qu'il fallait jamais manquer de respect à quelqu'un de plus haut que soi dans la hiérarchie, même si cette personne a l'âge d'être notre enfant, un frère ou peu importe. J'ai un petit rire qui m'échappe, nostalgique d'un coup en repensant à toutes ces fois où j'ai pu râler parce qu'ils m'embêtaient avec ça. Et maintenant, je serais prêt à payer très cher pour les entendre à nouveau me faire des leçons de morale comme ça.

Quoi qu'il en soit, je me permets une petite question, que j'espère pas trop intrusive non plus, concernant l'état dans lequel se trouve la responsable en face de moi et surtout pour savoir comment elle fait pour tenir le coup. Ça doit vraiment pas être évident. Et je me dis que c'est encore pire quand je l'entends me dire que du coup son fils est difficile la nuit, et qu'en plus ils sont obligés de rester loin du père de l'enfant puisqu'il est malade.

Je grimace et jette un rapide coup d’œil à Madisson et Rafaël, sans trop savoir quoi dire ou faire. Pour ma part, je me garde bien de parler du fait que ma mère commence à avoir des symptômes. Mais puisqu'elle est confinée dans sa chambre quoi qu'il arrive et que moi je passe mon temps au labo en général... J'imagine que ça joue pas beaucoup. Mais du coup, c'est pas trop difficile de vivre sans vo- enfin, ton compagnon ? Ça doit être chiant pour toi aussi non? Je fais un effort, pour la tutoyer, en espérant que ça la dérangera pas. Mais bon, j'imagine que non sinon elle m'aurait pas dit que je suis pas obligé de la vouvoyer. Bref.

On commence par où, alors ? Maintenant que les paniers sont prêts, j'imagine qu'on va pouvoir se mettre en route.

C'est étrangement facile de parler avec Madisson. Elle est ouverte, gentille, agréable. Douce aussi. En fait, je me sens bizarrement en confiance avec elle, alors pourtant que je ne suis pas vraiment du genre à être très à l'aise avec les gens. Même si je fais des efforts, en général ça se voit beaucoup que je ne suis pas doué pour ça. Mais j'ai pas vraiment l'impression que ce soit si flagrant que ça pour une fois. Est-ce que ça voudrait dire que je fais des progrès ? Peut-être. En un sens, j'espère. Parce que ça me permettrait peut-être d'être enfin un peu moins bizarre. Dans le fond je l'ai toujours été et ça m'avait jamais dérangé. Mais je me dis que peut-être ça me permettrait de mieux m'intégrer. De m'assurer qu'ils vont pas nous considérer comme une part sacrifiable si un jour quelque chose devait arriver. On sait jamais quoi. Bref.

J'écoute d'une oreille attentive les explications de la responsable au sujet de sa situation avec le père de Rafaël. Ah. Ça m'a l'air compliqué tout ça mais j'imagine que si ça leur convient à tous c'est sûrement que ça doit être bien non ? Après tout, c'est pas vraiment mes affaires. Alors je me contente de hocher légèrement la tête, continuant de finir la préparation des paniers repas en fonction des instructions données par la blonde un peu plus tôt. Tant que ça vous convient, je pense que y'a que vous que ça regarde dans le fond ! Mais vo- tu as du mérite je trouve pour tout ça. Tout gérer et tout. Ouais, je fais des efforts vu qu'elle m'a dit de pas la vouvoyer. C'est pas facile et il me faudra du temps avant que l'information rentre dans ma cervelle mais je vais faire ce qu'il faut pour.

Quoi qu'il en soit, il est à présent temps de se mettre en route et d'aller faire ce pourquoi on m'a demandé d'être présent avec la jeune mère de famille. J'attrape autant de paniers repas que je peux porter, histoire de la décharger un maximum, puis je me redresse et attends ses nouvelles instructions. En observant la carte qu'elle me montre, je m'en fais un schéma mental que je ne tarde pas à retenir. J'ai toujours eu de la facilité dans ce domaine. Autant que ça serve. On peut faire chacun un côté comme ça on ira plus vite ? Et vous pourrez rentrer tous les deux plus rapidement ? Enfin, moi c'est comme tu, euh vous, euh non tu veux ! Pardon, je m'embrouille un peu...