Debout, les bras croisé, je regardai le soleil qui se couchait lentement à l’ouest, vers l’océan. Mélancolique, je regrettais ces même couchés quand j’étais en mer, quand la lumière se répercutait à l’infinie sur l’eau, la teintant d’une lumière rouge. Ici, le soleil disparaissait bien trop rapidement à mon gout malheureusement. Soupirant, je ne perçu pas immédiatement que j’avais de la compagnie, Andrea m’avait rejoint pour regarder le soleil…

En silence, je regarde l’astre descendre avant de disparaitre sous les arbres. Alors je me retourne vers mon amie : « Tu sais pourquoi jamais autant mon pays et pourquoi j’aimais autant l’Italie ? » Question qui peut sembler sortir de nulle part, mais j’ai un but. Une question purement rhétorique pour lancer la conversation et mes idées : « La mer et la montagne, les forets font partis d’un tout, d’un biome où l’un peut côtoyer l’autre. »

J’avais autant arpenté les montagnes que les océans durant toute ma vie, n’ayant jamais été parfaitement heureux si l’un n’allait pas avec l’autre. A Nisqually, je pouvais explorer la baie, et même au-delà, et envisager d’aller dans l’arrière-pays pour assouvir ma soif de hauteur. Mais ici c’était différent, tout était beaucoup plus compliqué malheureusement :

« Je ne vais pas te mentir Andrea, sans la mer, je me sens un peu… coupé de moi-même. » Un peu désœuvré en fait, certes je participes à tous les travaux, j’aide quand il faut aider, j’ai ma fille à gérer, mais… mais je n’ai plus ce projet qui me tient tant à cœur. Je ne suis plus le capitaine d’un fier bateau, je ne suis que le membre du conseil. J’ai dû laissé mon expertise derrière moi, après tout, nous sommes en terre amérindienne. C’est plus Nima que les gens vont écouter, à raison, maintenant.

Alors je lance sans trop d’ambages à Andea : « J’ai besoin d’un nouveau projet. J’ignore la forme qu’il pourrait prendre, je ne sais même pas ce que je pourrais faire. Mais je sais que j’en ai besoin. » Et j’espère qu’elle sera en mesure de m’aider à trouver une nouvelle voie.

Elle aussi scrute l'horizon. Les yeux fixés sur ce coucher de soleil, le mélange des couleurs expose un point de vue unique sur l'état entier. Elle ne sait pas quoi en penser. L'espace d'une seconde, Andrea a surtout l'impression d'être apaisée. Cette vallée a une saveur particulière, le découpage des tipis réhabilités et des constructions dans leurs dos, ou encore cette nature sauvage à perte de vue les entourant, les défiant, les protégeant. Voilà des semaines qu'elle n'a pas éprouvé cette sensation de calme absolu et agréable, des semaines qu'elle aspire seulement à ce silence.

Ses yeux se relèvent vers Tomas, à côté de qui elle se trouve. Elle n'est pas gênée par sa présence, au contraire. Le norvégien a ça pour lui qu'il lui apporte une constante et une force qu'il ne suspecte pas, d'autant plus dans cette période troublée. On est malheureusement un peu loin de la mer actuellement, soupire-t-elle, constante qu'elle l'a arraché, en partant, à ce qui ressemblait à une vocation, un rêve, pour lui. On ne peut pas tout avoir, c'est tout le problème, même si elle adorerait lui rendre ce qu'elle lui a pris en partant. Un soupir lui échappe.

Et tu étais guide de montagne, ajoute-t-elle : J'aurais cru que ça te parlerait encore plus que Nisqually, mais il faut croire qu'on ne sait pas de quoi on vibre vraiment. Nous sommes dans une région qui a beaucoup de lacs, de rivières, de fleuves, il y a sans doute de quoi faire, précise-t-elle à l'homme pour qu'il comprenne qu'il n'y a bien que sa motivation qui le limite : Mais n'oublie pas que la Marina de Gig Harbor existe toujours, et que je t'empêcherais pas de la rejoindre de temps en temps pour aller bichonner tes navires, souffle-t-elle.

Son sourire se fait timide mais complice à l'égard de son voisin. Le frère de Ludwig, elle le porte en haute estime. Ses yeux se reposent sur ces montagnes, ces pâturages, à ce que ressemble ce campement qui prend très doucement forme pour la deux-centaine de personne qui y vit. Nous avons tout à recréer ici, le terrain est vierge, il ne suffit que d'imagination et beaucoup d'efforts, précise-t-elle : Tu as une idée ? Demande-t-elle pour la forme. C'est difficile de partir d'une page vierge. Mais quelques gribouillis ne feront pas de mal.

Je réfléchis quelques instants aux dires d’Andréa : « C’est vrai, mais je ne connais pas ces montagnes. C’est le territoire des indiens, enfin des membres des premières nations ici. Pas les Alpes italiennes. » Encore que, je me dis que si j’ai appris à explorer les Alpes, je peux toujours apprendre à explorer celles-ci : « Tu crois qu’ils prennent des stagiaires les habitants de la réserve ? » Ce serait peut-être une piste à explorer, je devrai aller demander à Nima de me servir d’intermédiaire avec la tribut qui peuple ces montagnes.

En tout cas, ça me semble beaucoup plus envisageable que de faire des aller-retours à la marina pour s’occuper de mes bateaux : « On vit dans un monde où ce qui n’est pas utile n’a pas sa place. Allez jusqu’à Gig juste pour passer la peau de chamois sur les coques… ça serait beaucoup de ressources pour rien. » Autrement dit, si je n’ai pas une raison matérielle d’y retourner, alors je ne prendrais pas ce risque.
Mais si je tenais tant que ça à rester dans les bateaux… Peut-être qu’il y aurait quelques chose à faire ici, comme le disais Andrea, il y a de nombreuses rivières et plusieurs lacs : « Je pourrais toujours nous trouver quelques petits bateaux fluviaux et tenter de remettre en place une équipe de pêche. Evidement une cartographie des lieux semblerait s’imposer. » Sans l’action de l’homme, même minime, les reliefs des cours d’eaux peuvent changer rapidement.

L’idée me vient : « Je pourrais rassembler quelques personnes et mener une série d’expéditions pour reconnaitre plus en profondeurs la région. A l’aide de ces rivières. » Ce pourrait être un bon projet à n’en pas douter, qui aurait une belle utilité pour notre groupes… « Si jamais nous devons encore fuir rapidement, mettre en place un itinéraire et assez de bateaux pour tous nous transporter. »

C’est certes assez… sinistre de penser comme ça, mais je penses qu’il vaut mieux envisager le pire. Je pense qu’Andréa et le reste du conseil sera d’accord avec moi sur ce sujet.

Je suis à peu près persuadée qu'ils seraient ravis de te faire découvrir leurs terres, souffle-t-elle en fronçant les sourcils. A son avis, il n'y a pas à négocier longtemps : si Tomas se montre respectueux avec eux, ils tâcheront de lui enseigner tout ce qu'ils savent. Tu as tout à apprendre de cet environnement, notamment pour nous transmettre ensuite ton savoir, ajouta-t-elle simplement. La préparation qu'il peut avoir, rapidement, sa capacité d'adaptation, l'afro-américaine ne doute pas qu'il est le chef d'équipe dont ils ont besoin.

Tu es celui qui est le mieux capable de s'adapter à ce monde, et surtout à des natures hostiles, c'est pour ça qu'il est précieux que tu comprennes avant nous ce qu'il en est de ces terres, ajoute-t-elle simplement avant de soupirer un instant. Elle le scrute et esquisse un bref sourire : L'utilité est discutable, mais quand le cœur d'un homme sourit, il n'en est que plus efficace ensuite. Ne tiens-tu pas à revoir ta compagne ? Lui demande-t-elle. Il serait plus simple d'avoir cette femme parmi eux mais elle doute qu'elle les rejoigne un beau jour.

C'est pour ça qu'il peut sans doute rejoindre Gig Harbor de temps à autre pour bénéficier de sa présence et de cette relation. Qu'elle soit une parenthèse opportune, ou plus sérieuse. Andrea n'est pas dupe : elle sait qu'un homme comblé est plus efficace. S'il a une raison de revenir, il reviendra forcément, elle ne se fait pas de soucis pour ça. C'est une très bonne idée, fait-elle avec un sourire : Les barrages sont aussi à explorer, à mon sens, ajoute-t-elle d'un ton posé en réfléchissant à haute voix. Elle y pense, sérieusement. Tout ça leur demandera beaucoup de travail mais... Il y a sans doute à faire : S'ils peuvent être détruit pour modifier le relief ici, et donc leur permettre de gagner d'autres bras d'eau : Ou remis en marche pour nous amener un autre confort...

Je ne crois pas avoir été beaucoup en conflit d’idée avec Andréa et là, alors que nous discutons, je réalises qu’encore une fois nous sommes sur le même terrain d’idée, il ne reste plus qu’à faire fructifier ces idées : « Je suis content de voir que nous sommes d’accord alors. J’irai voir Nima à l’occasion pour qu’elle me serve d’intermédiaire. » Et pour la proposition d’Andrea, j’avoue que ses idées me vendent un peu de rêve, j’aimerai beaucoup retrouver de l’électricité et pouvoir charger mon téléphone, cependant, la réalité du monde me rattrape : « Ce serait le rêve de réhabiliter les barrages, mais sans même être ingénieur, je vois plusieurs problèmes. » Des problèmes qu’on pourraient résoudre, mais je ne sais pas comment faire :

« Déjà les barrages en eux même, il faudrait les remettre en place, laisser des gens sur place pour les surveiller et après avoir les infrastructures pour amener le courant jusqu’ici. » Des cables, des transformateurs, des batteries et que sais-je encore… je ne sais pas ce qu’il faudrait, juste que c’est très compliqué : « Ce serait un travail d’Ases si tu veux mon avis. » De titans diraient d’autres, mais nous ne sommes pas à une référence mythologique… « Mais réalisable avec les bonnes personnes j’imagine. » Genre avec Ruby, qui avait fait un travail formidable sur mon bateau, mais là, nous sommes loin d’elle et d’ailleurs, vis-à-vis de l’autre proposition d’Andréa :

« Et même pour les détruire… tu sais comment détruire un barrage toi ? » D’un point de vue théorique, je dirais qu’on met des explosifs et on fait tout sauter, mais je suis certains que c’est plus compliqué que cela… ça demanderait des connaissances militaire qui se font rares par chez nous.

« Il faudrait demander aux « indiens » s’ils veulent participer au projet avec nous. » Je mets des guillements à Indiens car c’est encore la façon la plus rapide de les nommer dans une discussion et vu que nous sommes sur leurs terres, ils ont leur mot à dire.

Nous tenterons d'être débrouillards, même si ça demandera du temps, souffle-t-elle d'un ton assuré, sans cacher qu'elle ne craint pas le défi. Tomas voit les obstacles, Andrea ne voit qu'une manière supplémentaire d'être créatif pour avancer et parfaire leur confort ici. Déjà, ils ne roulent pas sur l'or, mais ils sont motivés, pragmatiques, probablement compétents. Il y en a sans doute qui parviendront à comprendre tout ça, je suis persuadée qu'à défaut de savoir, nous pourrons apprendre, ajoute-t-elle avec la même assurance et confiance en elle et surtout en sa communauté.

Il y a des savoirs faire qui méritent d'être sollicité, de toute évidence. Un sourire plus tard : Ma mère me disait toujours : "maintenant que l'impensable est fait, passons à l'impossible", glisse-t-elle à son voisin, l'air de lui dire qu'il est probablement la seule raison qui implique que le travail n'est pas encore fait. Qu'importe le reste, Andrea veut que son groupe avance et se dédie a des projets pour lui-même. Qu'ils s'investissent suffisamment pour voir plus loin, qu'ils gagnent leur confort, leur liberté, leur vie. Pour ne pas seulement survivre.

Je ne suis pas du genre à me laisser décourager pour si peu, et je crois que nous gagnerons à renouer nos alliances le cas échéant, elle pense évidemment à Ruby, mais les Remnants auront sans doute l'occasion de faire parler d'eux. Reste à voir ce qu'ils sont prêts à céder pour eux. Ils savent sans doute déjà où sont localisés les barrages, comment les atteindre, et possiblement leurs états aujourd'hui, ajoute-t-elle à propos des amérindiens vivants encore dans la réserve. C'est l'occasion pour nous de gagner du temps en réalité, rien de plus. Elle ne met pas tous ses oeufs dans le même panier. Cela dit, il y a un circuit électrique à refaire sans doute, c'est ça qui nous demandera des moyens, ajoute-t-elle dans un soupir. Tu as pu aviser des lacs de la région ?