Fort Nisqually - août 2022.

Il parait que j’ai quartier libre.

Ouais, moi non plus j’savais pas trop ce que ça voulait dire. Jusqu’à qu’on m’explique que j’avais bien fait mon boulot, même plus vite que prévu et que, du coup, j’étais libre de faire ce que j’voulais jusqu’à demain. Autant dire que j’ai trouvé ça carrément cool. Et si pendant un instant, j’me suis tâtée à aller voir Nihima pour refaire une séance de lancer de… trucs-là, la hache chelou qui a un nom que j’ai encore oublié… bref… je disais quoi ? Ah ouais… j’ai failli demander un entrainement, mais quand j’suis passée, elle était en train de torturer des gens sur leur énorme structure. Et même si l’idée de tenter ma chance dessus était super tentante, j’me suis dit que partir en balade ce serait moins crevant.

Sans compter qu’on m’a parlé des maisons en bord de mer pas loin. Enfin elles sont même techniquement sur les terres de Nisqually quoi, sauf que les gens vont pas trop vivre dans le coin vu qu’elles sont toutes délabrées, à la merci du vent de la marée et probablement d’un paquet de trucs qui m’échappent totalement. Parce que ça m’intéresse pas trop, j’me dis qu’il doit y avoir un lien.

Bref, du coup, j’ai embarqué mon casse-croûte, soigneusement emballé par Olivia et j’suis partie dans la direction qu’elle m’a indiquée en chantonnant, plutôt contente d’aller explorer les lieux. Ouais, ouais, je sais, ils ont déjà été pillés, mais y a ptet des conneries à récupérer, on sait jamais. Des vieux CD, des cassettes, des trucs qui leur sont pas utiles à première vue. Ou à deuxième vue aussi.

Me faut qu’une vingtaine de minutes pour arriver au bout du monde. Bon, pour arriver sur la plage, mais j’trouve que ça sonne plus classe comme ça. Arrivée sur le sable, j’ai une profonde inspiration, fermant les yeux quelques instants alors que j’profite du moment. J’avoue, ça fait un bien fou. Oh, j’ai bien moins besoin de ce genre de moment aujourd’hui qu’il y a quelques mois, quand j’ai commencé à v’nir ici. Mais quand même, ça fait quelque chose. Comme si ça me réchauffait de l’intérieur. Et j’adore ça. C’est pas pour rien qu’on a pris notre maison au bord de l’eau avec Joe. Et que tant que j’pourrais, j’vivrais à côté d’un point d’eau maintenant. Le mouvement de l’eau a quelque chose de réellement apaisant, qui m’donne le sentiment que tout finira toujours par s’arranger.

… bon, les pensées philosophiques ça va deux minutes hein. J’suis pas venue là pour ça. Pas que pour ça en tout cas. Ramassant un coquillage que j’trouve joli, j’le glisse dans ma poche pour me diriger vers une des maisons la plus proche de moi. Un premier pas sur la marche en bois qui craque sous mon poids et j’ai un froncement de nez à l’odeur de pourri qui s’dégage. « Ouais, bon, c’est ptet pas le plan du siècle. » Pas grave, on m’a confirmé que c’était sans danger. Enfin, si j’grimpe pas sur le toit quoi.

Sauf qu’il y a un truc bizarre. J’suis pas capable de mettre de suite le doigt dessus mais, une fois que j’ai passé la porte, j’finis par lâcher, à voix haute. « Hé, si quelqu’un est v’nu m’espionner, c’est le moment de sortir de ta cachette ! J’trouve pas ça super marrant ! » Bon, ptet que j’suis encore devenue parano, allez savoir. Surtout que la maison fait que craquer dans tous les sens. « Sauf si t’es un fantôme, là tu peux rester caché ! » Ouais, c’est important de préciser je pense.

Bon, l’point positif, c’est que je suis pas cinglée. Enfin, j’entends pas des voix quoi. Pas que j’pense direct à Johanna qui a des voix qui lui disent de faire des trucs en m’demandant si c’est pas génétruc, mais un peu quand même. Ptet que ça m’arrivera quand j’aurais 20 ans. J’avoue, j’y pense. Souvent. Très souvent même. En me demandant comment on pourra bien gérer si ça arrive. Donc, dans l’doute, faut que j’trouve un endroit d’ici mes 20 ans où on sera en sécurité et protégées si… ‘fin si on a la même chose toutes les deux.

Ouais, j’vous jure, moi aussi j’aimerais bien pas être dans ma tête des fois.

Enfin, j’en étais où ? Ah ouais, j’entends pas de voix, c’est vraiment quelqu’un qui m’parle. Et qui joue au fantôme donc. « Ah, ah, ah. T’es super drôle hein ! » Surtout qu’il a l’air super jeune. Ou alors, si c’est un adulte, j’espère pour lui que c’est pas un mec quoi. J’plisse des yeux, les deux mains sur les hanches, alors que j’finis enfin par capter son regard. Ouais, il a pas l’ai bien plus vieux qu’moi en tout cas. « Ca dépend. Y a quelqu’un qui donne le droit d’venir là ou pas ? » J’me rends pas trop compte en vrai. On m’a pas interdit d’venir là, mais on m’a pas vraiment donné la permission. Et j’ai pas vraiment d’adulte responsable là pour veiller sur moi quoi. Du coup, c’est un peu tendu de savoir quoi lui répondre exactement.

Je me frotte le nez, songeuse, alors qu’il continue de m’expliquer ce qui lui arrive. « Mais comment t’as fait pour te retrouver là-haut déjà ? Et ton ballon ? » J’veux dire, c’est pas super logique tout ça. Enfin, s’il m’explique comment il a grimpé, j’pourrais ptet l’aider à descendre. Au reste, j’suis carrément paumée pendant une seconde. « Jérôme ? Oh ! J’crois que je vois qui c’est. J’l’ai vu trainer du côté des écuries quand j’y bosse. » Je crois. Enfin, j’visualise un poivrot en tout cas. « Et pourquoi il a fait ça ce connard ? » Quoi, ça se dit pas ? On a pas le droit de piquer le ballon de quelqu’un. Encore moins de le balancer hors d’atteinte. Du coup, j’vais devoir défendre la veuve, l’orphelin ou… ouais, non, j’raconte n’importe quoi là, faut que j’me recentre un peu !

Alors, j’secoue la tête pour me remettre les idées en place. « Okay, okay. Donc ! Comment t’as fait ton affaire ? » J’commence à regarder autour de moi comment grimper pour l’aider, mais j’ai pas spécialement envie de rester coincée moi non plus. J’veux dire, si Milow apprend que j’ai pas réussi à m’extirper d’une simple baraque, j’vous dis pas la honte intersidérale quoi.

Bon, vu sa réaction, j’me dis qu’il doit être encore plus jeune que j’le pensais et que le second degré c’est pas trop son délire. Après, faut dire que j’ai appris ça assez tôt. Vu l’endroit où je vivais, c’était genre la base de la survie quoi. Au reste, j’ai une grimace et j’essaie même pas d’m’en cacher. « Ah ouais, si ton père a pas envie que tu sois là, c’est pas terrible de lui désobéir hein. Mais bon, tu le sais déjà j’imagine. » Soufflé alors que j’retrouve mon sourire et que j’ajoute, avec un haussement d’épaules. « J’suis pas du genre à dénoncer. Pis tsais, entre ados, t’as une espèce de… d’accord… comment on dit déjà ? Tactique ? Ouais c’est ça ! Un accord tactique entre nous ! On s’serre les coudes, quoi qu’il arrive. » Parce que bon, les adultes ont toujours du mal à capter que nous, ce monde-là, on le connait bien mieux qu’eux. On grandit dedans, il nous est devenu vachement plus familier que l’ancien monde qui était le leur. L’avenir nous appartient, mais faudrait qu’ils acceptent de lâcher un peu du lest pour des gens comme euh… « Hé c’est quoi ton nom ? » Ouais, ça peut servir quoi.

« Ton ballon s’appelle aussi Jérôme ? Mais pourquoi ? Ah nan, c’est pas ça. » Hum. Ouais, j’ai du mal à capter tout ce qu’il me raconte. Pas que j’écoute pas, mais j’suis surtout en train de regarder comment l’aider à se dépatouiller de son problème. Et à descendre de là donc. Du coup, possible que j’rate quelques échanges. Je hoche quand même la tête au reste. « Ouais j’bosse là-bas. Nihima m’apprend à monter, mais j’dois d’abord avoir fini tout le boulot pour ça ! » J’ai des responsabilités quoi. Et on m’traite comme une vraie adulte ici, c’est cool. J’vois bien que certains ont tenté de me materner, mais ça a duré deux minutes. Heureusement d’ailleurs. J’ai eu assez de deux mères que j’ai fini par perdre. Autant pas s’attacher si ça finit comme ça. « Les grands sont relous. J’veux dire, t’as bien le droit de causer si t’as envie. » C’est clairement pas moi qui vais lui j’ter la pierre à ce propos. Mais au reste, j’ajoute, secouant la tête. « La base mon grand, c’est de pas te faire choper. Ja-mais. T’avais fait exprès de péter la vitre ? » J’suis curieuse ouais.

Et du coup, j’regarde comme il a fait, penchant la tête sur le côté. « Oh c’était pas mal joué hein. Franchement, c’était des bonnes prises et tout. Et y a pas d’autre moyen de descendre ? » J’me tapote le nez, songeuse, alors que j’réfléchis aux options. « C’est pas que de la chance hein ! Mais là, va ptet en falloir un petit peu par contre. » C’est le souci quand on sait pas fait de la grimpette en temps normal. Les gens pensent que l’plus complique c’est d’monter. Mais en vérité, c’est surtout de redescendre. Parce qu’on est moins assuré dans ses prises, on a le vertige et un paquet d’autres trucs auxquels on pense pas au début. Un bref soupir, alors qu’il parle d’une échelle ou d’un matelas. « Y a des matelas dans les films de Bruce Willis ? Perso, j’suis plus films d’horreur en vrai. » Ouais, ouais, j’adore les trucs qui font peur ce qui, dans le monde dans lequel on vit, est un peu paradoxal. « J’pense que j’vais monter te rejoindre. Et on va trouver une autre sortie ensemble. Ou porter le matelas tous les deux. T’en dis quoi ? » Perso, je m'inquiète pas trop de ma capacité à redescendre par le même chemin si besoin. Donc ça m'parait la meilleure option.