Le temps semble comme suspendu alors que je n’arrive pas à réellement intégrer le fait que ce soit vraiment elle. Que je sois réellement rentré et que je l’aie enfin retrouvée. Je ne parle même pas du fait qu’elle ne se soit pas directement détournée de moi en refusant de me parler, c’est encore autre chose que j’assimilerais bien plus tard. Je sais juste que chaque geste, chaque respiration, m’ancre un peu plus dans cette réalité, notre réalité. Que ces derniers mois de douleur acceptent enfin de laisser la place à quelque chose d’autre.

Et que cet espoir que j’avais entretenu tant bien que mal pourrait presque s’embraser de nouveau. Quand j’accepterais réellement d’y croire. En cet instant, je serais bien incapable de dire ce que je ressens. Je sais juste que je préfèrerais mourir que de devoir m’éloigner de nouveau d’elle. Je ne réalise même pas à quel point mes doigts peuvent être maigres quand je les tends vers elle. Ou qu’elle peut tout de même sentir à quel point je n’ai plus que la peau sur les os quand elle me rend mon étreinte. Je sais juste que c’est bien elle. Que tout le reste est balayé en cet instant, parce que je la tiens enfin dans mes bras.

Je me crispe quand même à sa question, secouant la tête dans un refus muet de lui répondre. Je ne veux pas qu’elle sache ce qu’ils ont pu me faire. Pas maintenant. Jamais. Je ne veux pas qu’elle apprenne à quel point chaque journée jusqu’à la retrouver n’a été qu’une horreur sans non. Que j’ai vu le pire de l’humanité et que je ne sais même pas si je n’ai pas perdu un peu de la mienne en cours de route. Probablement que si. Pour réussir à survivre. C’est tout juste si je réussis à arrêter ma litanie d’excuses quand elle pose son front contre le mien. Et j’arrive à lui rendre un sourire tremblant, alors que j’inspire longuement, que je sens enfin ce poids qui m’étouffait depuis des mois disparaitre. A ses quelques mots, je pose une main sur sa joue, mon nez effleurant le sien. « Je suis bien vivant. D’accord ? Le reste c’est… ça passera. » Et je ferme les yeux quand elle se niche dans mon cou. Elle peut me sentir de nouveau trembler, mais je me contente juste de la serrer un peu plus fort, laissant les secondes, les minutes s’écouler dans un silence surréaliste. Que je finis par rompre, dans un murmure éraillé, mes lèvres posées sur sa tempe. « Plus jamais je ne te laisserais. Je te le promets mon amour. Jamais. » Et je compte bien passer le reste de mon existence à tenir cette promesse.

Le reste passerait ?

Quand elle voit son état, elle en doute. Fortement, viscéralement, même. De par cette masse corporelle qui n'est plus, ou ce regard qui à quelque peu changé, quand elle vient ancrer ses yeux dans les siens. Revenant s'accrocher à lui quand il lui fait la promesse de ne plus jamais la quitter, hochant silencieusement la tête pour ne pas briser l'instant, qu'elle craint de voir s'évaporer sous ses yeux en quelques minutes à peine, alors qu'elle s'y refuse déjà. Frémissant quand ses lèvres viennent effleurer sa tempe, ne relevant le visage que pour venir les joindre aux siennes. Une seconde, tout juste, de quoi se raccrocher à l'idée que ce n'est pas un rêve. Car dans les siens, sa silhouette s'évaporait sitôt qu'elle le reconnaissait...
Ne rompant l'instant que pour revenir mieux le reconnaître, encadrer son visage de ses mains et appuyer son front contre le sien, inspirant profondément. Ici, dans cette maison, avaient-ils finalement réussi à se retrouver, après des mois sans nouvelles l'un de l'autre. Et si une part de son coeur rêvait de voir l'instant s'allonger pour ne plus jamais que le temps ne s'évade... Il n'empêchait.

Comment as tu réussi à revenir ? La question n'est qu'un souffle dans son cou, craignant la réponse, alors qu'elle vient également rajouter. Il... J'ai accouché. L'information semblerait presque sortir de nulle part, mais ne devait-elle pas le faire remarquer ? Son ventre n'avait pas encore perdu ses rondeurs si tôt après la naissance de Neil, mais il n'empêchait qu'il se devait d'apprendre qu'il était désormais père. Du moins, à nouveau.

Il va bien. Il est chez Neela... Le rassure t-elle par ailleurs avec douceur avant qu'il ne s'imagine le pire, esquissant un sourire malgré les larmes qui semblent ne jamais vouloir s'arrêter de couler. Les retirant du plat de sa main, avant de reprendre à son attention:

On ... Il y a eu beaucoup de changement, ici. Comme tu peux le constater, je n'ai pas pu rester la.

Pas un seul jour n’est passé sans qu’elle me manque. Viscéralement. Mais il n’y a qu’en cet instant précis, alors que j’ai enfin l’impression de respirer correctement, alors que je me sens enfin de nouveau entier, pour la première fois depuis plus de cinq mois, que je comprends la force de ce que je peux éprouver pour Anjali. D’amie, confidente, elle est devenue ma femme et jamais je ne pensais pouvoir aimer quelqu’un comme ça. Alors je me dis qu’avec elle, je pourrais me relever de tout ça, que je vais avancer, ramasser ces milliers de débris qui jalonnent mon existence pour arriver de nouveau à en faire quelque chose.

Je me fige un instant, quand ses lèvres capturent les miennes. Le moment est si bref que je me demande presque si je n’ai pas rêvé, mais c’est un sourire incrédule qui lui répond. Retrouver ce goût-là, même fugacement, m’aide à m’ancrer un peu plus dans cette réalité. Et à chasser cette peur panique de l’avoir perdue pour toujours. Je n’ai pas envie de la relâcher, même si je sais bien que ce sera nécessaire tôt ou tard.

Et à sa question, je souffle, dans un murmure. « Colville est tombé. On… on a été plusieurs à pouvoir fuir. A aller à Spokane pour demander de l’aide. Et j’ai demandé à Armand de venir. Ce qu’il a fait. Avant de me dire ce qui s’était passé ici. » Ma voix s’est faite tremblante au simple souvenir de cette nuit cauchemardesque. Je me demande si un jour, toutes ces images s’atténueront, si j’arriverais à les laisser derrière moi. Mais j’arrête tout bonnement de respirer quand elle continue, battant des cils, alors que mon cerveau n’arrive pas à assimiler ce qu’elle vient de me dire. « Tu… quoi ? Quand ? Comment ? » Je baisse les yeux, alors qu’en effet, elle n’a pas du tout l’air enceinte. Et je relève la tête, me retenant tout juste de trembler uniquement parce qu’elle me confirme qu’il va bien. « D… d’accord. Il va bien. Il… notre dernier-né va bien. » Je me retiens de le répéter encore et encore, alors que ma main se pose doucement sur sa joue, captant les quelques larmes qui lui ont échappé. « Je suis tellement désolé. » Qu’elle ait dû partir d’ici, qu’elle ait dû subir les conséquences de ma propre déchéance. « Où… où est-ce que vous vivez ? » La culpabilité s’entremêle à la honte et je sens que je commence à avoir du mal à respirer.

Mais j’essaie de me concentrer sur elle, sur ce qu’elle me dit. « Et les enfants… comment ils vont ? » J’ajoute, d’un ton plus incertain. « Tu crois que j’aurais le droit de les voir ? Pas forcément de leur parler si ce n’est pas possible. Je voudrais juste… voir mes enfants. » Je ne veux pas trop espérer, je ne veux pas imaginer que, dans quelques heures, je pourrais enfin poser de nouveau les yeux sur eux. Et encore moins que je pourrais les prendre dans mes bras. C’est juste… trop pour mon esprit qui n’arrive pas à tout assimiler. J’attends juste le moment où je vais prendre un coup de massue et où je vais me réveiller de nouveau à Colville, loin d’eux, de tout ça.