Les jumeaux couchés, elle s'était laissée tombée dans le canapé, vidée de toute son énergie. Venant passer une main sur sa paupière marquée par la lame d'Alec, ou brillait désormais un oeil de verre d'assez bonne qualité pour laisser à penser qu'elle n'était plus aveugle de moitié, quand quelqu'un se mit à frapper à la porte, l'incitant à se relever.

Je t'ai dis que je gérai, avec les enf- Mais ce n'est pas Jacob, face à elle. Ce n'est pas lui qui est revenu sur ses pas pour lui donner un ultime conseil, alors qu'elle peine à reconnaître cette silhouette amaigrie sous ses yeux. Non. Elle s'y refuse, dans un sens. Pour mieux se protéger de la douleur que sa disparition à engendrée, alors qu'elle reconnaît doucement mais sûrement le regard de Tasya, dans cette silhouette émaciée. Et de toute les horreurs qu'elle semble avoir traversé, ses iris sont au moins les mêmes. Prononçant son prénom sans même s'en rendre compte sous ses doigts tremblants, immobile sur le pas de la porte alors qu'elles se retrouvent enfin, après tous ces mois sans nouvelles l'une de l'autre. Sentant son regard la brûler alors qu'elle vient doucement prendre la main osseuse de son amie dans la sienne, la serrant avec douceur en craignant de lui faire mal. Il ... Il arrêtait pas de te chercher. Son frère. En espérant la trouver à l'hôpital, alors qu'un sanglot de joie lui échappe, parvenant à esquisser un semblant de sourire. Je savais que tu reviendrais. Plus qu'une supplication, elle se l'était imposée à son esprit. Venant serrer Tasya dans ses bras en ignorant les regards curieux des voisins, réalisant alors son ventre absent de tout arrondi, alors qu'elle lui jette un regard paniqué.

Tasya ne sait plus, est-ce qu'elle doit rentrer ? Frapper ? Elle se contente de jeter un regard hésitant vers la porte close. C'est chez elle, la mexicaine le sait, elle en a conscience mais tellement de temps et d'épreuves se sont déroulés depuis qu'elle a mis les pieds ici pour la dernière fois. C'était lorsque les miliciens l'ont emmené peu de temps après la mort de l'Eveque. Un vertige la prend et elle doit s'arrêter pour se tenir au rebord de la porte pour ne pas perdre l'équilibre. Il s'est passé tellement de choses ces derniers jours.

Sa fille est avec Jacob. Il est parti l'emmener faire un tour pour que Tasya puisse retrouver tranquillement Phoebe et les jumeaux. Et si elle se sent impatiente, elle a aussi peur. Elle a du mal à gérer toutes ces émotions qui la submergent. Sa main se lève finalement et vient frapper de quelques petits coups hésitants sur la porte. Cette dernière s'ouvre sur une silhouette familière. « Phoebe » murmure-t-elle, un sanglot dans la voix. « Il m'a retrouvé » souffle-t-elle ensuite quand elle évoque Jacob. Sa main serre celle de son ami.

S'ils étaient nombreux à croire en elle, Tasya se sent touchée par cette marque de confiance et elle est la première surprise d'être ici aujourd'hui. « Tu t'en es sortie aussi » Et quelques larmes coulent sur ses joues. Elle est étonnée d'en avoir encore, elle a l'impression de ne faire que cela : pleurer.

Ses bras enserrent son amie. « Alba... » murmure-t-elle en remarquant les yeux de Phoebe se poser sur son ventre désormais plat. « Elle s'appelle Alba et elle va bien... » Elle a tant de questions à lui poser, tant d'interrogations, mais désormais, elles auront tout le temps pour se retrouver.

Il l'a retrouvé. Et de l'entendre, elle pourrait se mettre à remercier le ciel aussitôt, si les sanglots ne serraient pas sa gorge dans l'immédiat. La serrant un peu plus contre elle pour s'assurer ne pas rêver, hochant la tête à sa remarque. Elle s'en était sortie aussi, oui. De justesse. Mais c'était déjà mieux que certains, comme Ray. Esquissant un sourire en l'invitant à ne pas traîner d'avantage sur le pas de la porte, refermant dans leur dos alors qu'elle évoque sa fille, Alba. C'est un très beau nom. souffle t-elle avec douceur, la prenant par la main. Viens t'asseoir. Je crois ... Que nous avons beaucoup à nous raconter, la tout de suite. De cette fuite du bidonville à son retour de Colville. La laissant prendre place avant de venir en faire de même, relevant ses yeux vers la brune avant de reprendre.

Comment vous avez fait, pour sortir de la-bas ? Et ... Elliott, tu l'as vue ? Est-ce qu'elle va bien ? Quand aux leurs ? Elle n'ose pas évoquer tout de suite les morts, alors qu'elle viennent à peine de se retrouver.

« De justesse ? » La question franchit la barrière de ses lèvres, mais elle a peur de la réponse. Tasya est terrorisée à l'idée que ses amis n'aient pas pu s'en sortir. Elle a aperçu de loin les dégâts qui ont touché les barrières du bidonville. Désormais, les disgraciés se sont mélangés au reste de la population, mais qui est encore vivant ? Qui n'a pas survécu ? Elle n'en a aucune idée. Hoani ? Ray ? Harper ? Amalia ? Joe ? Les noms refusent de sortir, elle ne se sent pas capable de supporter une mauvaise nouvelle.

Tasya fait un pas à l'intérieur de sa maison et que ça lui semble étrange de revenir ici. Ses bras se resserrent autour d'Alba qui dort tranquillement, imperturbable. La fillette est née dans un monde chaotique et il semblerait que rien ne puisse la troubler, ni les bruits forts, ni les angoisses de sa maman. Et elles sont nombreuses à saisir la mexicaine et à l'empêcher de se contrôler ou de raisonner de manière cohérente.

La brune s'assoit sur le canapé. « Elliot est vivante, oui. » la rassure-t-elle aussitôt. « Physiquement, elle va bien. » Moralement ? Son amie est probablement aussi perdue et fragile qu'elle. Quant à leur fuite, elle ferme brièvement les yeux quand des souvenirs douloureux remontent à son esprit. « Il y a eu une émeute à Colville... » Elle se ressaisit et préfère commencer son récit un peu avant. « Nous avons du faire face à une épidémie de la peste. Et nous nous sommes rendus compte que les autorités relâchaient certains malades dans les égoûts, ceux que nous n'avions pas la temps de brûler, probablement. Des personnes ont libéré ces rôdeurs sur la population de Colville. Nous en avons profité pour voler un camion et rejoindre Spokane. Mason a avertit les autorités de l'avant-poste et ils ont organisé l'évacuation de Colville. C'est là-bas que j'ai appris que les choses ont changé ici. » Son histoire parait surement décousue et ne raconte qu'une infime partie de ce qu'il s'est passé là-bas.

« Et toi ? Que s'est-il passé ? » demande-t-elle à son tour. « Je suis désolée, mon départ a été si précipité, je n'ai pas pu... Je ne suis pas arrivée à trouver les mots pour te le dire... » Tasya n'avait pu que leur laisser un mot, une lettre.