aout 2021.

Les journées commençaient à réellement devenir lassantes. Pourtant, Hope ne faisait pas un boulot bien banale comparé à beaucoup de monde aux alentours du No Man's Land. Le pire n'était pas ça, mais plutôt les journées qui se succèdent et sont toutes identiques. Un client le matin, le repas du midi avec les filles présentes, puis un client l'après-midi pour ensuite, la nuit, partir danser à la cage. Un quotidien fatiguant mais surtout répétitif, quand on sait que ses clients sont toujours les mêmes, à l'exception d'une fois par semaine.

Heureusement, ils sont agréables. Bons coups pour la plupart, mais gentils. Parfois, il arrive qu'un client lui offre un petit cadeau qui colle parfaitement avec le temps actuel ; le plus beau, une robe pour se rendre à la cage, le plus marrant un bon pour la protéger si elle a besoin de se rendre dans un endroit glauque. Ce qui était dommage, c'est que les cadeaux étaient particulièrement rares, quand on sait que Oxana ne faisait pas dans la dentelle au niveau du paiement des prestations. L'avantage, c'est que mis à part, aller, une fois par mois ? Les enculés ne franchissent jamais la porte du motel.

Cet après-midi, par chance, Hope n'avait pas de clients. Les beaux jours sont là, la chaleur aussi, elle a décidé de ne rien foutre. A part marcher, encore et encore dans tout le motel à la recherche de quelque chose à faire. Hope pouvait bien faire un tour au No Man's Land pour trouver des petits cadeaux pour sa fille, qu'elle devrait bientôt revoir comme convenu avec Alex. Mais les températures sont trop puissantes pour lui donner envie de faire quoi que ce soit. Elle déambulait alors dans les couloirs en limant ses ongles, ignorant les bruits qui pouvaient provenir des chambres voisines.

Au rez-de-chaussée, personne. A part une jeune fille plutôt mignonne. En général, la blonde préférait les hommes, mais ici, elles n'avaient pas trop le choix de faire la fine bouche. Salut ma belle. Souffle Hope en se rapprochant, souriante. Je suis Spookie. Tu veux que je te fasse visiter ?

Les yeux rivés sur ses chaussures, Sienna traverse les rues de Seattle à petits pas pressés. La chaleur estivale est presque écrasante, et malgré les vêtements légers qu’elle porte, elle sent une goutte de sueur lui glisser le long du dos. Par souci de préservation, les gens sont partis se trouver un coin d’ombre afin de supporter la fournaise, lui donnant l’impression d’être seule au monde tandis qu’elle chemine en direction du Reign of Venus. Dans le silence absolu qui règne sur la ville, ses pas semblent résonner sur le béton brûlant, faisant grimper en elle une drôle de sensation de malaise qui vient s’enrouler autour de ses os dans une étreinte étouffante. Comme le sentiment d’être observée, ou d’être une proie facile. Il suffirait qu’elle croise la route d’une personne mal intentionnée pour que la situation passe de légèrement angoissante à complètement merdique. Pourtant, malgré ce mauvais pressentiment qui la taraude, rien ne se passe. Les immeubles défilent, et bientôt le motel se dessine au bout de la rue dans laquelle elle se trouve. A force d’y venir, le bâtiment lui semble presque familier. Presque sécurisant. Elle sait pourtant que dès qu’elle y mettra le pied, son malaise grimpera en flèche sans qu’elle puisse l’en empêcher. Parce qu’elle sait ce qui s’y trame, et le genre de personnes qui fréquente ce lieu ; de perdition, aurait ajouté sa défunte mère. Même si Amalia lui a assuré qu’aucune personne saine d’esprit ne pourrait la prendre pour une prostituée, cette peur pudibonde lui colle à la peau.

Le plan est simple. Entrer. Trouver Amalia. Lui remettre les livres. Repartir. Elle n’a pas envie de s’attarder ici, mais l’idée d’avoir une discussion avec la blonde ne lui déplaît pas. Elles sont toujours agréables et riches d’enseignement. Parce que la blonde est tout ce qu’elle ne sera jamais. Forte. Indépendante. Débrouillarde. Sans trop savoir pourquoi, Sienna s’est rendu compte qu’elle avait développé cette drôle de manie de chercher sa présence à chaque fois qu’elle se rendait au No Man’s Land. Arrivée dans le hall, la petite brune s’immobilise. Elle sait où se trouve la chambre d’Amalia, mais elle n’a pas envie de traverser les longs couloirs sans sa présence rassurante à ses côtés. Elle regrette l’époque bénie des téléphones portables et des sms, qui lui aurait permis d’annoncer sa présence au lieu de se retrouver là à piétiner d’un pied sur l’autre comme une godiche avec son sac à dos sur les épaules. Elle hésite, amorce un geste pour s’en aller, puis se ravise. Peut-être qu’elle peut attendre un petit peu. Ou peut-être qu’elle peut simplement déposer les bouquins bien en vue quelque part. Ce ne sont après tout pas des objets de valeur. Alors qu’elle va pour ouvrir son sac, une voix s’élève et manque de lui faire traverser le plafond pour atterrir à l’étage. Les joues rougies de honte, elle se retourne pour faire face à celle qui vient de débarquer dans le hall, le sourire aux lèvres. « Euh… Non je suis… En fait, c’est… Je ne suis pas… Pas une cliente. » Elle bégaye tellement qu’elle a l’impression qu’elle va tourner de l’œil. « Je cherche… Amalia… » Elle se cramponne à son sac comme si sa vie en dépendait.

Les yeux dépareillés de la blonde sonde la jolie fille face à elle, un peu déstabilisée de voir qu'elle semble très jeune. C'était très rare d'en voir ici, mais pas impossible, et ça lui fend vraiment le coeur. Peut-être réussira-t-elle à la convaincre de quitter les lieux et de se trouver des amis ? C'était une idée bien meilleure que de venir ici pour s'offrir du bon temps. Après peut-être qu'elle cherche seulement un peu de compagnie ? Ce n'est pas rare que la blonde se fasse payer uniquement pour parler et non pour du sexe.

Mais très vite, la réaction de la jeune femme ne tarde pas et Hope s'attendait à tout sauf à ça. Elle semble tellement mal à l'aise, tellement rouge qu'elle a l'impression que cette dernière est à deux doigts de prendre feu. Un grand sourire fini par courber les lèvres peintes de rouge de l'ancienne actrice, qui émet presque un rire. Oh pardonne moi alors, c'est très rare qu'on reçoive des visites d'une autre nature. Elle croise finalement les bras sur sa poitrine, l'air songeuse quant à la nature de sa présence ici.

Mmh, Amalia.. Ses yeux vairons glissent le long de l'escalier extérieur qui mènent aux chambres, avant de revenir sur la jeune femme. Je ne sais pas si elle est dans sa chambre, ou si elle est sortie. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'était pas non plus en train de faire des travaux à l'extérieur. Tu veux la voir à quel sujet ? Se permet-elle de demander. Avec tout les fous qui traînent dans la rue, Hope préfère rester méfiante. Même avec un visage d'ange comme celui-là, elle pouvait être une kamikaze et cacher une bombe sous ses vêtements. Mais autant rester amicale pour le moment : Tu veux boire quelque chose en attendant ? Lui propose-t-elle alors, en désignant la pièce voisine au hall où traînait le bar. Ne t'inquiète pas, je mord pas.

Après quelques longues secondes durant lesquelles Sienna se demande à quelle sauce elle va être mangée cette fois-ci, les lèvres rouges de la blonde s’étire dans un sourire qui semble sincère et les épaules de la petite brune se détendent de manière imperceptible. Elle s’excuse de l’avoir confondue avec une potentielle cliente, lui expliquant qu’évidemment, les touristes sont plutôt rares dans ce genre d’endroit particulier. « Oui, j’imagine. » Elle hausse les épaules avec un petit sourire gêné, parce qu’elle est en quelque sorte bien obligée de la croire sur parole. Elle semble être d’un tempérament beaucoup plus doux qu’Amalia, et à la mention de cette dernière, elle se tourne en direction des escaliers, comme pour réfléchir à l’endroit où elle pourrait se trouver. Malheureux, elle semble n’en avoir aucune idée, et lorsqu’elle s’enquiert des raisons pour laquelle la petite brune souhaite la voir, cette dernière se retrouve incapable de répondre. Parce que même si elle ne transporte rien de valeur, elle ne sait pas vraiment si elle peut lui faire confiance. « J’avais des… Trucs pour elle, qu’elle m’avait demandé la dernière fois que je suis venue. » Elle tente de rester vague en indiquant d’un geste de la main la bretelle de son sac à dos, comme pour expliquer que ce qu’elle ramène se trouve présentement à l’intérieur.  Plus les secondes s’écoulent et plus elle réalise qu’attendre son amie toute seule ici est une mauvaise idée, mais ça serait vraiment trop bête d’avoir fait tout ce chemin pour rien.

L’idée de boire quelque chose par cette chaleur de plomb est séduisante, et si la petite brune va pour accepter sans réfléchir, elle réalise bien vite qu’elle n’a rien emmené avec elle. « C’est-à-dire que… J’ai rien sur moi pour payer en fait… » Elle n’avait pas prévu de s’attarder dans ce lieu de perdition plus que de raison, et elle prenait toujours soins de vider son sac à dos avant de partir toute seule à l’aventure dans les rues de Seattle. Parce qu’elle faisait une proie facile, et qu’elle n’a pas spécialement envie de se faire tabasser – ou pire encore – pour des rations sèches ou des médicaments approchant de la date de péremption. A part les bouquins qu’elle se trimballe, elle ne porte sur elle que ses fringues, son couteau de chasse à la ceinture et le petit canif de poche que lui a filé Amalia lors de leur dernière rencontre planqué dans une de ses chaussures. En pensant à la blonde et aux conseils qu’elle lui a dispensé pour l’aider à avoir l’air moins faible devant les inconnus, elle redresse un peu les épaules pour ne pas ressembler à une gamine recroquevillée par la peur. Elle lève ses deux billes noires vers les prunelles de la prostituée qui lui fait face et qui la dépasse largement d’une tête, essayant de ne pas avoir l’air trop impressionnée. « Je m’appelle Sienna. » Elle fait preuve de politesse face à cette femme qui se montre agréable alors qu’elle aurait tout aussi bien pu l’envoyer se faire voir.