T'es un putain de poète, à l'évidence, un grand romantique, que j'ajoute avec un sourire amusé en plissant les yeux dans sa direction avant d'ajouter : Avec des techniques de dragues absolument nulles à chier, histoire de bien lui remettre l'évidence à la figure. J'ai entendu des histoires qui m'ont donné envie de me moquer encore plus fort de lui. Des comme lui, j'en ai jamais vu. Et par là, j'entends des : aussi mauvais. Je glousse comme une idiote avant de secouer la tête vivement. Au moins, ça me détend un peu.Y'a effectivement rien qui nous retient ici, t'as raison, que je lui souffle en haussant les épaules.

Mais on irait où ? Que je lui demande. Mes yeux se posent sur lui, je fronce les sourcils. Consciente que c'est pas une réponse facile à me donner. Et puis en fait... C'est surtout qu'on a quitté trop d'endroits, pour fuir, parce qu'on avait mal ou parce qu'on le devait. A force, c'est épuisant psychologiquement de pas avoir sa maison. Depuis la distillerie, et puis après le Merchant en tout cas, j'ai l'impression que y'a rien pour nous dehors. Et ça finit par s'en ressentir pour tout le monde : La distillerie, le Merchant, puis tout ce qu'on a fait, Crescent, ça devait être notre refuge pour de bon, que j'ajoute dans un soupir.

Au final, quoi ? On a été des pouilleux pendant de nombreux mois, sans aucun pied à terre fiable. On devait pas en repartir, on devait y passer notre vie, mais ça s'est jamais fait comme on voulait. Et on en avait toujours pour nous dire avec un petit air désolé "ouais mais c'est comme ça, c'est la survie, le post-apo, c'est la vie quoi" sans jamais vivre ce qu'on vivait. Du coup, ça ressemble à des promesses en l'air, qu'on doit se faire à nous-mêmes et qu'on respecte pas, que j'ajoute dans un soupir : Si on est pas loyaux à ça, on l'est à quoi ? A rien.

Mais rien de nouveau sous le soleil en gros. Je soupire en le disant avant de secouer la tête en me redressant. J'ai pas bu depuis un moment alors ça s'en ressent, l'alcool monte plus vite à la tête : J'adore les feux de joie mais pas non plus à ce point, en plus bourré comme tu es, on risque de cramer la forêt avec, et je risque pas trop d'arranger les choses me connaissant, autant pas tenter le diable : Allez, va chercher la peinture et tombe pas à l'eau ! Moi je vais... Bah finir la bouteille et l'aider quoi, la base !

J’la fixe, passablement perplexe, avant d’loucher sur la bouteille. « T’as déjà l’alcool qui t’monte à la tête Yu’. » Et j’ajoute, roulant des yeux. « J’suis ni un poète, ni un romantique. » Qu’est-ce qu’il faut pas entendre sérieux. Bon, par contre, au reste, j’ai une grimace dépitée. « Si elles étaient juste nulles à chier, ça irait encore… mais p’tain c’est PIRE que ça. » Genre le stade au-dessus quoi. Ou en-dessous, je sais pas trop le terme le plus approprié. Au moins, j’ai conscience que j’suis pathétique quoi. Bon, j’sais pas si ça m’aide vraiment dans cette histoire. Ou si ça aggrave pas juste mon cas.

Enfin bref. C’est pas comme si c’était vraiment important au final. La seule personne qui a pu m’plaire depuis trois ans est clairement pas intéressée et le reste, c’est plus pour déconner qu’autre chose. Alors, autant laisser couler. C’est bien aussi.

D’autant qu’on a un sujet d’discussion autrement plus sérieux là. Et j’ai une grimace, laissant filer un silence. « Ouais, j’connais ça aussi. » Avant Crescent Bay, j’ai dû quitter … fuir plusieurs endroits aussi. Ptet pour ça que j’suis plus vraiment attaché à quoi que ce soit. « Y a plein de trucs qu’on devait faire Yu’. Et qu’on fera jamais. » J’suis pas du genre amer en temps normal, mais là, c’est surtout un constat. J’aurais dû finir ma vie avec Aleesha, mes parents auraient pas dû mourir sur le navire de Jack. Et j’pourrais continuer longtemps comme ça. « C’que tu dois te demander, c’est est-ce que tu t’es sentie chez toi en revenant ? J’te parle pas de loyauté ou de connerie du genre. J’veux dire, tu parles vraiment d’être loyale à quatre murs et un toit ? » Bon, en vrai, j’comprends ce qu’elle veut dire, mais pousser à l’autre extrême, ça peut aussi lui faire voir les choses un peu autrement. « C’est à toi que tu dois être loyale. A ce que t’es. Le reste… c’est que du matériel. » D’puis le temps, j’pense qu’on a tous appris que c’est pas ce qui compte le plus. Ouais, c’est sûr, on a un certain confort et ça m’ferait chier de perdre de nouveau mon bateau. Mais on a perdu tellement pire que ça, au final, c’est du détail.

A sa réponse pour savoir si on doit cramer l’bateau ou l’repeindre, je laisse filer un ricanement. « Et finir aussi cramés. J’pense que si on approche une allumette de moi, j’prends feu. » J’lève un sourcil à cette pensée avant de reprendre, pointant mon index vers elle. « On va commencer par repeindre la… le truc-là. » J’désigne l’habitacle où y a les commandes, infoutu de m’rappeler de son nom dans l’immédiat. « Et tu dois m’aider à trouver un nom moussaillon ! » Où est-ce que j’ai foutu la peinture déjà ?

J'me fous de ta gueule mais putain à ce niveau, c'est de l'art ! Au-dessus, c'est le soleil ! Je sais pas comment il fait pour être aussi hilarant, malgré lui notamment mais Echo, c'est vraiment une merveille. S'il existait pas, faudrait l'inventer tellement il est incroyable : Je vois même pas comment tu peux réussir ! T'as traité Allia de vieille croûte quand même ! Je rigole a m'en faire mal aux côtes, et peut-être ouais que l'alcool commence à taper fort, après tous ces mois sans boire une goûte, ça cogne comme une beigne en plein visage : Ouh tu vas me faire pleurer, que je souffle en me frottant les yeux.

Je glisse le regard vers Echo un instant alors qu'il parle. Ses mots font sens, j'le sais. Mais je crois aussi que c'que je ressens, ça a rien de rationnel ou de palpable, c'est ça l'souci. Ouais mais- Je soupire, comment m'expliquer ? J'aime l'idée d'avoir quatre murs et un toit qui tient, tu vois ? Je sais que c'est débile, pour beaucoup d'gens qui sont aptes à changer d'endroit, ça veut rien dire du tout tout ça. Mais pour moi qui ais jamais eu ça, c'est... Bah c'est ce que je veux. Parce que les gens qui l'ont eu, ils ont eu l'air heureux pour de vrai. Je hausse les épaules, consciente que c'est pas simple.

Genre... J'ai envie d'avoir une maison, je veux vraiment ça, c'est comme avoir une famille, j'sais... J'sais pas trop ce que ça fait normalement, et depuis les Exiles, c'est un mot qui a du sens pour moi, je pince les lèvres. L'alcool me rend étrangement bavarde, c'est pas désagréable en soi, j'aime bien : J'veux aussi un endroit que j'peux appeler chez moi et pouvoir m'attacher à ça, j'veux des murs qui ont d'la mémoire, qui nous ressemblent, un soupir m'échappe et je secoue la tête : J'sais que c'est débile c'que je dis, je m'écoute et je me trouve conne.

C'est pas grave. Allez bouge-toi ! Je suis debout, je tangue un peu et c'est pas qu'à cause de la boisson, même si ça couvre bientôt. Le temps qu'Echo revienne en titubant lui aussi, je rigole comme une dinde en le voyant faire. Bon, un nom ! Que je m'exclame soudainement : Tu veux l'nom d'une femme ? Ouais, ça lui irait bien. Mais d'abord : Est-ce que c'est une fille au moins ? Son bateau ! Il la bichonne comme une femme ou comme un mec ?

Mais à quel moment j’ai trouvé que c’était une bonne idée d’lui raconter mes déboires sentimentaux ? Bon, en vrai, j’suis même pas sûr qu’on puisse appeler ça comme ça. C’est juste une grosse loose astronomique. Comme elle dit si bien, le niveau au-dessus, c’est le soleil. Ca craint putain. J’vais finir célibataire sans même un chat pour m’tenir compagnie, parce que les chats, sur les bateaux, c’est pas terrible.

… ouais, moi aussi l’alcool commence à me monter méchamment à la tête à. J’crois même que je vois un peu flou en vrai. « Je l’ai PAS traitée de vieille croûte ! J’ai euh… » Et j’me laisse tomber en arrière. « Oh et puis merde Iojov, ma vie sentimentale est pire qu’un drama brésilien et ça te fait marrer. » J’la pousse un peu, pour le principe, même si, en vrai ptet que je me marre, un peu. C’est totalement débile mais, même si j’sais bien que ça mènera à rien, même si c’est juste des conneries dans le vent, j’ai l’impression d’être enfin … vivant. Pour la première fois d’puis trois ans. Que j’me laisse pas juste porter par la vengeance ou par le besoin de faire mon deuil. J’crois que ouais, j’arrive enfin à vraiment avancer et j’fais pas juste semblant.

J’essaie de lui expliquer tant bien qu’mal ma vision des choses. Mais j’pige aussi ce qu’elle veut dire. Et j’ressens pas le même besoin vu que j’ai grandi dans la même maison toute ma vie, que j’ai même cherché à m’en échapper. J’sais que pour elle, c’était pas du tout le cas du peu que j’sais de son enfance et du reste. « Quelque part, c’est pas déconnant d’vouloir un peu de stabilité au milieu de tout ce bordel. » Ptet que j’y ai pas pensé avant vu que j’étais pas vraiment dans cette optique non plus ces dernières années, j’sais pas. Ou que j’considère mon bateau comme ma maison. Ca marche aussi. J’saurais pas trop dire en vrai. « Mais c’est pas débile. Et j’m’y connais en débilité Yu’, tu le sais. » Un clin d’œil complice. « Et tu la verrais comment ta maison d’rêve ? » J’me demande si elle y a vraiment pensé. Avec les murs qui lui ressemblent donc.

J’reviens avec l’pot de peinture et deux pinceaux, tanguant un peu mais plus assuré sur le bateau que j’l’serais sur la terre ferme. « C’est du… euh… blanc cassé ? Une merde du genre. C’est pour éclaircir ce mur-là… » J’désigne un truc un peu au pif j’avoue. La coque, le plus important, j’m’en occupe avec Allia. Mais l’reste a aussi besoin d’un coup d’neuf. « Euh… » Merde, c’est une fille ou un mec mon bateau ? J’bats des cils, mon pinceau dans le vide. « J’sais pas… c’est… mon pote j’crois. » Okay, ça sonne complètement con ça.

Je pense qu'il faut que tu te fasses une raison, Echo, je lui offre un sourire moqueur, le genre qui augure rien de bon sur ce que je pense : Tu coucheras plus jamais avec personne, à part si la fille a pitié de toi, tout simplement ! Et je peux pas m'empêcher de rire, son désespoir est sans doute sincère, mais il a pas tant de soucis à se faire. Même dans sa bêtise, Echo est plutôt mignon, il trouvera bien une fille suffisamment dingue pour vouloir de lui un jour. Je sais juste pas qui sera assez tarée pour ça mais c'est pas bien grave.

Je souffle, et le scrute longuement. Peut-être que le monde tourne un peu plus vite ce soir, mais j'le mentionnerais pas : C'est une bonne question... Mon regard passe vers le ciel un instant et je réfléchis : Tu vas rire mais... Un cottage a la campagne, ouais, ça me parle là. Même si ça me ressemble pas du tout ! Avec un jardin clôturé, un potager, et pourquoi pas un poulailler, un rire m'échappe, je rêve, parce que ça a aucun sens que j'évoque ça à haute voix : Je me verrais pas trop fille de la ferme en vrai mais ça me semble l'idéal pour pouvoir vivre super longtemps et élever un enfant, tout simplement.

Mais en fait, je me redresse et reprends avec sérieux : Mais en vérité, l'endroit qu'est vraiment chez moi, c'était la distillerie, ouais. Cet endroit, il avait quelque chose. Je sais qu'aujourd'hui, y revenir serait seulement ressasser des souvenirs douloureux, en attendant c'était quand même ma maison. C'était le premier truc qu'on a construit, et qui fonctionnait, mon bébé. Le premier, si on y pense bien. Je soupire. Regagne le quai, et puis quand Echo revient, on en est à réfléchir pour le nom de son navire.

De son pote, comme il dit. Ok du coup, on peut l'appeler euh... Je me creuse la tête, tangue un peu sur mes appuis en scrutant le nom actuel, en me disant que ça lui va pas vraiment : The Fearless, Challenger, Murray, Blackmore, Abundance, Felicite, je sais pas d'où me vient cette inspiration mais ça s'enchaine dans ma tête, et je donne tout pour qu'Echo puisse faire un choix qui lui correspond. A voir si ça lui inspire un truc, sinon, je continue à chercher : Franchement, ça dépend de ce que tu veux lui donner comme tempérament !

J’fronce les sourcils quand elle commence à parler, attendant la chute avec une pointe d’appréhension. Et putain, elle me rate pas. J’sais pas si je dois rire ou pleurer, surtout qu’elle a pas foncièrement tort. « Arrête, j’vais finir par me jeter par-dessus bord à ce train-là ! » Pourtant, j’commence à rire, genre le rire difficile à contrôler et qui fait mal au ventre. « Au moins, j’ai encore la carte de la pitié. » Ouais, c’est encore plus pathétique dit à haute voix. « Moi qui pensais que mon sourire ravageur compensait l’reste, quelle désillusion. » Tu parles, comme si c’était un truc qui m’avait vraiment intéressé jusqu’à maintenant. Plus depuis des années en tout cas. Et aujourd’hui ? J’en sais rien. Il s’passe des trucs nouveaux, inhabituels et j’me sens devenir quelqu’un d’autre. Alors ouais, ptet que ça commence à avoir de nouveau de l’importance, je saurais pas dire. Tout comme j’sais toujours pas si j’ai envie de m’remettre réellement avec quelqu’un.

Trop de questions, surtout pour mon esprit embrumé par l’alcool. Alors, j’l’écoute, quand elle m’parle de sa maison idéale. « Ca m’donne pas envie de rire. C’est… mignon. C’était ce dont Aleesha rêvait, avant tout ce merdier. » La maison avec la clôture. J’aurais adoré pouvoir lui offrir en vrai. Juste pour la voir sourire encore une fois. J’fronce les sourcils sans m’en rendre compte avant de reprendre, avec un sourire. « J’te vois paaas du tout en fille de ferme perso. Mais j’suis sûr que tu peux trouver un compromis qui t’rende pas dingue au bout de trois semaines. » Mais ptet qu’en vrai, ça l’apaiserait de ouf et elle pourrait enfin se sentir en sécurité avec la petite.

J’laisse filer un silence quand elle parle de cette distillerie qu’j’ai pas connue. « Et… y retourner ? C’est exclu j’imagine ? » J’sais qu’Seattle, c’est grave la merde, mais vu que c’est la merde partout, autant aller là où elle se sent bien hein. « Perso, j’te suivrais où tu veux, tant que tu m’files un coin où ranger mon bateau et un hamac pour pioncer tranquille. » C’est eux ma famille maintenant, et la fin de cette histoire avec les pirates me l’a bien confirmé. La v’là qui semble sacrément inspirée pour trouver un nom. « Murray ? Pourquoi Murray ? » Soufflé alors que j’la regarde, passablement perplexe. « J’aimerais un truc qui me ressemble plus que… ça. » Revenge. Ca pouvait coller, jusqu’à présent, mais faut passer à autre chose maintenant. « … évite de me proposer le looser hein. » J’anticipe avant qu’je sois obligé de la lancer dans la flotte pour impertinence. « Un truc positif. Qui m’donne l’impression d’avancer. T’vois l’idée ? »