J’ai un froncement de sourcils, à regarder mon chalutier taggué par ces connards. Je l’ai récupéré ça fait déjà plusieurs semaines et putain, je décolère pas. Sérieusement, faut vraiment être le dernier des pourris pour mettre une foutue tête de mort sur un bateau de pêche. J’avais déjà aucun doute sur le fait que c’était des fils de pute mais là, ça fait que m’conforter à ce propos.

… ouais, j’sais, j’me focalise sur le matériel. Mais c’est ce qui m’évite de péter un câble ou de repenser encore et encore aux mêmes choses. J’sais qu’après tout ce qui s’est passé, j’ai besoin de rebondir, de regarder enfin d’vant moi. Et laisser Aleesha reposer enfin en paix. Pour autant, malgré ma discussion avec Yulia, ou plutôt grâce à elle, j’me rends bien compte que ça va pas être pour tout de suite. Qu’il faudra du temps. Pour moi, mais aussi pour les autres. On a tous beaucoup perdu dans cette histoire, beaucoup subi aussi. Et maintenant, va falloir accepter d’tourner la page.

Ce qui est carrément plus facile à dire qu’à faire.

J’soupire, avant de m’relever, finissant l’reste de mon pseudo sandwich à l’arrache, avant d’me diriger d’un pas genre vachement assuré en direction du navire de Gin. J’crois que je l’ai pas vue plus de dix minutes à la suite d’puis qu’on est revenus de la plateforme. J’peux totalement piger pourquoi, mais j’ai pas la moindre envie d’la laisser comme ça, à se morfondre ou à … j’sais pas quoi en fait. Même si on s’est pas vus depuis des mois, elle reste la première à m’avoir accueilli – après Lex évidemment – et à me traiter comme un membre du groupe à part entière, sans faire d’différence avec tout ce qu’ils avaient pu vivre avant mon arrivée. Oh, j’sais qu’on a tous des bagages, parfois même super lourds à porter, mais quelque part, ça m’a fait du bien d’les poser ici.

J’ai quand même un semblant d’hésitation alors que j’pose le pied sur le pont. « Sois pas con Echo… » Elle a b’soin de ses amis, surtout qu’on sait toujours pas c’qu’est devenu Cez’. C’est moche ça putain. J’finis par ouvrir la porte de la cabine du capitaine sans frapper et, quand j’la vois allongée dans sa couchette, je m’appuie contre l’embrasure de la porte, bras croisés. « Ah, dommage, t’es pas à poil. Quel intérêt de rentrer sans frapper… Bon, au moins, t’as pas repeint toute ta chambre en noir, j’imagine que c’est un bon début. » J’regarde autour de moi, avant d’rependre, comme si de rien était. « J’dois trouver de la peinture pour repeindre mon bateau. Tu viens avec moi. » Ouais, ouais, c’est pas une question, j’pense qu’elle a pu le deviner à mon ton.

Ça ne lui semble pas si long ce temps passé toute seule sur son voilier. Puis les autres ont l’air de s’être accordés pour lui laisser du temps. Ce n’est pas qu’elle les chasse en leur aboyant dessus juste, elle n’a pas la force de leur parler. Ni même de les écouter. Sans doute que ça s’est remarqué. Ici, il n’y avait que le ballottement du battement et le bruit des vagues contre la coque. C’était rassurant d’une certaine manière. Surtout parce qu’elle n’entendait plus le bourdonnement de la vie sur la plateforme, et qu’elle était assez loin pour ne pas entendre le bourdonnement de la vie des autres à Crescent. Elle n’arrivait juste plus à le supporter. Parce qu’elle était incapable de suivre. Ca ne tiendrait qu’à elle, sans doute que Guinevere aurait levé l’encre et largué les amarres pour se perdre un peu en mer. Mais, il y avait Kaitlyn. Et tout un tas d’autres excuses qu’elle pouvait trouver pour justifier qu’elle restait là quand même.

Le truc, c’est que. Bordel, il est passé où Cesare ?! Elle n’arrive pas à se sortir ça de la tête. Qui lui en voudrait d’ailleurs ? Les raisons de sa mission de dernière minute échappent aux autres qui avaient eu bien d’autres problèmes à gérer. Il s’en sortirait, il reviendrait. Comment pouvaient-ils en être aussi sûrs ? Elle avait tellement espéré le revoir. Elle avait attendu de le revoir. Il aurait dû être là. Il aurait dû participer à ce putain d’assaut pour la sauver. C’était comme ça que ça aurait dû se passer, pas vrai ? Alors du coup, qu’est-ce qui le retenait ? C’était quoi son excuse ? Évidemment, des questions sans réponse. D’ailleurs, elle n’aurait pas le loisir d'en supposer quelques-unes car, Echo venait de monter sur le pont.

Elle soupire. Elle n’a plus l’humeur pour ça. C’est que c’était vraiment grave. « Sérieux, t’as besoin d’une baby sitter pour ça ? » Elle sait très bien que pour le coup, c’est plutôt lui le babysitter dans l’histoire. Elle se redresse, le regarde sans grande émotion. « T’as personne d’autre à emmerder, sérieux ? » Peut-être que sortir lui fera du bien. Peut-être qu’elle a besoin de changer d’air. De toute façon, Echo est on ne peut plus sérieux et elle le sait. Elle regarde son voilier, un peu dépitée de le laisser. « J’imagine… J’crois que l’mien aussi aurait besoin d’un coup de peinture. » Surtout d’un nouveau nom, en fait. Parce que la trace de son ancien nom ; La Serena. Bah c’était naze en fait. Elle n’avait aucune idée de qui était Serena pour son ancien propriétaire. Mais, ce voilier méritait d’être renommé. « Si j’te suis, tu diras à Valerian et autres que j’vais bien ? » Qu’elle demande, comme une négociation.

J’sais qu’à sa place, je deviendrais dingue. Probablement parce que j’connais ce sentiment. De pas savoir ce que l’autre est devenu, de d’voir attendre, sans être capable de faire quoi que ce soit d’utile pour lui mettre la main dessus. Sans compter ce qu’elle a dû vivre sur la plateforme. On a bien vu leurs têtes à toutes. Et forcément, ça m’a ramené à Aleesha. J’arrête pas d’me demander ce qu’elle a pu vivre durant les mois où elle a été entre leurs mains. Sans compter la façon dont elle a terminé. Ptet que j’aurais préféré jamais savoir, jamais la voir comme ça. Alors ouais, j’pourrais essayer de consoler Gin mais, franchement, j’suis assez bien placé pour savoir qu’il y a aucun mot qui puisse vraiment être utile à quoi que ce soit. Aucune option qui soit la bonne là, de suite, à part laisser faire le temps et espérer que Cez’ réapparaitra d’une façon ou d’une autre.

Mais j’peux pas la laisser mariner dans sa déprime malgré tout. Parce que je l’aime bien Gin. Et que j’sais aussi que c’est ptet la seule chose qu’on peut faire. Eviter de la laisser s’noyer toute seule. J’arque un sourcil quand j’la voix soupirer et j’ai un haussement d’épaules à sa question. « J’ai toujours besoin d’une baby-sitter, t’as pas eu le mémo ? » J’lui rends un large sourire avant de reprendre, comme si de rien était. « Oh, j’ai une liste longue comme le bras de gens à emmerder, mais faut bien que j’change de cibles de temps en temps. Aujourd’hui, c’est pour ta pomme. » De toute façon, c’est non négociable, elle doit bien l’voir à ma tête. « On pourra trouver d’la peinture pour le tien en même temps alors. » J’ai foutrement aucune idée d’où on va pouvoir aller. Enfin si, j’ai une liste avec quelques noms sous le coude, mais j’sais pas trop où commencer. « On va tracer jusqu’à Port Angeles du coup. » D’la peinture, normalement, c’est pas le truc qui aura été trop pillé. En théorie.

Au reste, j’la fixe quelques secondes, sans trop savoir quoi lui répondre. « Ca changera quelque chose si j’dis ça ? » Soufflé d’une voix plus douce, avant d’continuer, sur le même ton. « Tu sais que ça dupera personne hein. Et… c’est pas si grave que ça. Que ça aille pas. » Elle a le droit de pas aller bien, surtout après tout ce merdier. Alors ouais, j’attends quand même son explication. Avant de soupirer. « J’leur dirais c’que tu veux. Mais amène-toi. » Et j’tends la main pour l’inciter à s’lever, plus sérieux que j’peux l’être en temps normal.