Si ça fait longtemps maintenant que Liv n'est plus ici, force est de constater que les choses n'ont pas forcément grandement changé depuis la fois où nous avons subi toutes les deux l'entraînement à la torture imaginé par Nima. Enfin, surtout dans la relation que je peux avoir avec les mecs qui avaient été choisis pour nous le faire subir. Adam, en particulier. C'est pas qu'on s'entend pas... Après tout, on a parfaitement conscience tous les deux que sur le terrain on a plutôt intérêt à se serrer les coudes. Mais disons qu'en dehors, difficile de pas remarquer qu'on est constamment à couteaux tirés.

Descendant de la structure d'entraînement, un petit juron m'échappe à la vive douleur qui irradie dans ma cuisse. Il faut croire que la blessure de la balle que les Croatoans m'ont tirée dessus n'est pas encore totalement remise. En tout cas, elle me fait mal de temps à autres. Et c'est relativement chiant, on va pas se mentir. De quoi ne pas spécialement me mettre de très bonne humeur en tout cas.

Allant récupérer ma serviette pour m'essuyer le visage et les bras histoire de ne pas attraper la mort en restant avec de la sueur sur moi, je relève le nez pour voir Adam arriver. Et bien, évidemment fallait que ce soit lui qui débarque. Si tu veux la structure, elle est toute à toi. Et s'il veut me faire chier, là clairement j'ai vraiment pas envie. Venant m'accouder contre l'un des piliers de la structure, je l'observe et penche légèrement la tête sur le côté.

J'ai beau te regarder, j'ai du mal à savoir si tu vas bien, si t'as un problème quelconque ou si c'est juste le balais que t'as quotidiennement enfoncé dans le cul qui fait que tu tires cette tronche. Un souci ? Oui parce que bon, même si dans le fond je me passerai bien d'être la personne à qui il aurait envie de se confier, je sais aussi que ça fait partie de l'esprit de fraternité des combattants d'élite du groupe. Alors j'y mets du mien. Un minimum.

Je prends le temps de cette petite pause pour étirer un peu mes muscles, gardant mon appui sur la structure pour ne pas perdre l'équilibre quand je soulève une jambe après l'autre. Surtout lorsque je dois mettre tout mon poids sur la cuisse ayant été touchée par la balle tirée par les Croatoans. Franchement, je pense que j'aurais préféré me faire grignoter les tétons par un rongeur que devoir me retrouver à faire la conversation avec Adam. Parce que ce type n'en a pas, de la conversation. Et puis faut dire que si en temps normal j'aurais très bien pu faire abstraction de tout ça, je garde toujours en tête cette fois où il nous a traitées – Liv et moi – de folles alors qu'on a fait que se défendre dans un entraînement. Et depuis ce jour, je me suis promis de lui prouver qu'il n'avait encore rien vu. Petite fierté personnelle parfaitement puérile. Ça ne m'empêche pas d'avoir parfaitement conscience que sur le terrain, toutes ces gamineries n'ont pas leur place. Mais en dehors... C'est une autre paire de manches.

Je l'observe pendant qu'il me répond, semblant assez rapidement s'agacer. Quoi, c'est cette histoire de manche à balais qui l'a énervé ? Oh, pauvre minou. A deux doigts de lui proposer un mouchoir et un doudou pour calmer son petit bobo à son petit cœur. Je hausse un sourcil quand il parle de ce qu'il nous a fait ce jour là et lâche un petit ricanement. Surtout quand il dit que c'est à cause de mon comportement qu'il ne vient pas vers moi. Oh mais ça n'a rien à voir avec ce que tu as pu faire. Mais souviens-toi, je t'ai promis que si tu me trouvais folle, t'avais encore rien vu. Et j'aime pas revenir sur mes promesses malheureusement. Quant au fait que tu viennes pas vers moi, eh, honnêtement, c'est pas comme si t'étais vraiment le type le plus volubile du coin tu trouves pas ? Je suis manchote, pas aveugle.

Le laissant aller faire ses tours d'échauffement, moi j'en profite pour boire quelques gorgées d'eau et faire une pause bien méritée. Je sens que la fatigue arrive plus vite ces derniers temps et évidemment je préfère mettre ça sur le dos de la blessure à ma cuisse que sur le fait d'avoir un haricot qui commence à pousser dans le creux du bide. J'essaie juste de pas y penser, pour pas que des gens commencent à s'en douter et à poser des questions inutiles. C'est pas le genre de choses que j'ai envie que tout le monde sache. Ça finira bien par se voir, de toute manière. Et c'est là qu'on commencera à me faire chier, pour tout et n'importe quoi. Comme si je devenais subitement impotente et incapable de faire quoi que ce soit. Bref, c'est pas le sujet.

Quand l'ancien profiler revient vers moi, je suis assise au bord de la structure, accordant encore un peu de repos à mon corps après cet entraînement de plus d'une heure que je lui ai déjà infligé. Et c'est pas fini. En plus, t'as tout de suite été sur la défensive alors que je te demandais en toute sincérité si t'avais un souci quelconque. J'y peux rien si t'as la même tronche quand t'essaies de sourire et quand t'es préoccupé. C'est pas méchant. Enfin, pas comme je l'imagine dans ma tête. Je choisis peut-être pas les bons mots, mais j'ai jamais prétendu être douée dans le domaine.

Pincez-moi je rêve ! Monsieur tête de pioche aurait-il enfin décidé de moins se la raconter à faire le type mystérieux trop bien pour se mêler aux autres ? Non je dois sûrement halluciner. Sire Parfait n'aurait certainement pas des failles dans sa carapace et les laisserait encore moins voir par quelqu'un voyons. Bon, d'accord, c'est peut-être un peu mesquin de penser ça. Et puis je vais pas me plaindre, pour une fois qu'il a l'air disposé à parler et sans trop se faire prier. Remontant une jambe vers moi tant que je peux encore le faire, je pose mon coude sur mon genou et me contente de regarder au loin pendant que Adam fait l'effort de s'installer et d'avoir l'air ouvert à avoir une vraie conversation avec moi.

Tu sais, c'est pas parce qu'on montre nos émotions qu'on est plus faibles que les autres. Au contraire, c'est souvent comme ça que les gens ont envie de venir vers nous. De nous soutenir, quand ils voient que ça va pas. Et j'en passe. Je prétends pas lui apprendre la vie et je me doute qu'il a sûrement eu ses raisons par le passé. J'en ai eu aussi. Faut pas croire que ma vie a toujours été facile ou que j'ai jamais eu de merdes qui me sont tombées dessus. Suffit de regarder ces dernières années. Séparée de ma frangine, quasiment en train de crever quand je suis arrivée ici, j'ai retrouvé ma sœur pour la perdre ensuite, j'ai perdu une partie de mon bras. Et même avant ça. Mais j'ai pas envie de repenser à tout ça. Au passé. C'est pas le moment.

Balançant ma jambe qui pend encore dans le vide, un léger sourire étire le coin de mes lèvres pendant que je jette une œillade en coin au brun lorsqu'il parle du fait qu'on ait certainement démarré du mauvais pied lui et moi. Je me demande bien ce qui te fait dire ça, que je lui réponds d'un air un peu amusé. Rien que ça c'est déjà bien différent des précédents échanges qu'on a pu avoir depuis qu'on se connaît, en somme. Puis le voilà qui avoue que quelque chose le tracasse. Eh, comme quoi j'avais raison en fin de compte !

Je me tourne légèrement vers lui, venant prendre un instant son menton entre mes doigts pour le forcer à regarder dans ma direction, puis l'observe attentivement avant de laisser un grand sourire amusé étirer mes lèvres. Bah tu vois quand tu veux. Et ça t'a même pas fait péter les gerçures de l'avouer. Je le relâche et prends une grande inspiration avant de retrouver mon sérieux et de regarder à nouveau au loin. Écoute, j'ai pas non plus été très cool avec toi. J'avoue que je prenais un malin plaisir à t'emmerder. Mais si tu veux tout savoir, tu me faisais penser à l'un de mes petits frères. Toujours à vouloir faire le fort, comme si personne pouvait le comprendre. Déjà avant l'apocalypse, ça faisait des années que j'avais plus de nouvelles de lui. Il a jamais pris la peine de se faire connaître de Harper et a entraîné notre autre frère là-dedans. Alors peut-être qu'une partie de moi a voulu te faire subir ce que j'ai jamais eu l'occasion de lui faire à lui. L'emmerder jusqu'à ce qu'il craque et se rende compte que ça sert à rien de faire comme s'il était au-dessus des autres. Comme s'il pouvait tout gérer seul dans son coin sans jamais s'ouvrir à quiconque.

Alors, dis-moi. Qu'est-ce que t'as?

Tu prêches une convertie. J'avais absolument pas l'intention de m'intégrer ou de rester là de base. Et pourtant regarde nous maintenant. Tous les deux dans les rangs des combattants d'élite du groupe. Si ça c'est pas de l'investissement et de l'intention de rester, moi je sais pas. C'est presque amusant de voir à quel point ça fait bizarre qu'on ait une véritable conversation Adam et moi. Avec des mots posés, un véritable intérêt pour ce que raconte l'autre. Et pas juste des insultes déguisées, des grognements mécontents et des regards mauvais l'un envers l'autre. J'irais presque jusqu'à dire que ça fait du bien, ce changement.

Je hausse les épaules face à ses excuses, même si c'est vraiment agréable de les entendre – et j'imagine que ça doit aussi un peu lui coûter de les présenter – et offre un petit sourire à l'ancien profiler. Avec du recul c'est vrai qu'on devait un peu avoir l'air de tarées aussi, faut l'avouer. Et j'ai peut-être un peu trop joué le jeu par la suite en voulant te montrer ce que pouvait faire une folle. Pas très adulte de ma part, désolée. Bordel, on dirait vraiment qu'on compte repartir sur des bases saines pour de vrai. Et bah. Si on m'avait dit que cette rencontre allait se passer comme ça, je crois que j'y aurais pas cru.

Le pire c'est qu'il m'imite en me parlant aussi de lui. En me confiant qu'il a aussi des petits frères qu'il a pas revu depuis le début de toute cette merde. Évidemment j'ai une petite grimace, soupirant légèrement. Merde. Ça fait chier. J'ai pas revu mes frangins non plus depuis même quelques temps avant le début de tout ça. Mais ils me manquent pas vraiment. Faut le faire, finalement je suis plus proche de Harper que je connais depuis le moins longtemps que de mes frangins avec qui j'ai grandi. Les mots sortent tout seul. Naturellement. Comme quoi finalement, peut-être que si on avait pas joué les têtes de cons tous les deux avec Adam on aurait pu bien s'entendre y'a un moment déjà.

Lui faisant signe de me suivre parce que je commence à avoir vachement mal à la cuisse quand même de rester debout, je m'installe sur le bord des marches menant à la structure, prenant appui avec mes coudes sur la marche du dessus. J'ai tout mon temps. Donc a toi de voir si t'as envie de faire la version longue ou si ça risque de trop impacter ton espérance de vie, que je lui dis avec un petit sourire amusé. Pas moqueur, par contre. Juste que bah, évidemment que je vais pas arrêter de le taquiner pour autant hein.

Au pire on a qu'à faire une question chacun ? Comme ça pas d'injustice. Du coup, hm... C'était quoi concrètement le taf d'un profiler ? Parce que perso j'en sais que ce que j'ai pu voir à la télé dans des séries policières. Autant commencer simple.