Je suis épatée par toute la distance que nous avons abattue depuis notre départ de White Swan. Je comprends réellement mieux pourquoi il faut préparer des convois pour ce long périple. Spécialement à l’approche de l’hiver avec le temps d’ensoleillement fort restreint.

J’en frissonne d’ailleurs, rien que d’y penser, cachant mon nez au creux de mon écharpe de laine. Notre couturière sait réellement y faire, le tricot est si doux et ne laisse pas passer le vent du tout.  Mon temps ici ne serait pas des plus longs, mais je compte bien le rentabiliser. Déjà, je me suis retrouvé devant l’espace qui devait être réservé pour une volière, l’an dernier. Le dénommé Preston n’a pas eu le temps de voir aboutir son projet. Je sais qu’il manque à plusieurs malgré tout. Je n’ai pas connu l’homme, mais je reprends avec aise l’éducation de nos rapaces. Et… soyons tout à fait honnêtes ici, je serai plus performante. Certes ma fierté vient enfler cette opinion, mais surtout… je suis qualifiée professionnellement pour le faire avant tout.

C’est calepin en main que je commence à dessiner mes plans, me rendant près de l’un des braseros qui a été allumés un peu partout dans l’enceinte de la prison devenue avant-poste. Le temps n’est pas du tout mauvais, mais il est frisquet. C’est l’humidité, je présume, nous sommes loin de notre vallée dans la réserve. Il faudra que je pense à ça au niveau de l’isolation de la fauconnerie d’ici tiens. Le temps de mettre une petite note au bas de ma page et je reprends mon petit plant.

Il y a quand même pas mal de mouvement tout autour de moi. Qui dit convoi dit ravitaillement en bonnes choses, échanges, retrouvailles pour certains même. Ça semble aussi attirer par mal les passants du coin. Il y a sans doute plusieurs opportunités à tirer de cette arrivée. Les rires, les échanges animés, le hennissement des chevaux, il me semble même entendre un véhicule ou deux. On ne pourra pas dire que ce n’est pas vivant à Gig Harbor et si par moment ça m’intimide un peu, je dois avouer que c’est simplement impressionnant de voir que le monde est encore bien plus organisé que je ne me le serais imaginé jusqu’ici.

La prison de Gig Harbor est un peu délabrée. Roksana ne s’attendait pas particulièrement à atterrir dans un palace, mais l’ancienne utilité des lieux couplée à l’état piteux des murs et des fenêtres extérieures donnent au bâtiment une allure sinistre. Les survivants fourmillent dans tous les coins, occupés à décharger des charrettes remplies de caisses empilées les unes sur les autres dans un équilibre précaire, et l’ancienne militaire a l’impression de débarquer en plein emménagement. Elle n’est pas spécialement à l’aise à l’idée de se retrouver entourée de visages inconnus, et elle scrute discrètement la foule pour s’assurer qu’aucun indésirable de son ancien groupe ne s’y trouve. C’est un lieu d’échange après tout, et même si la brune doute que les New Eden viennent se risquer sur le territoire des The Hallows au vu de leur passif conflictuel, elle n’est pas tout à fait tranquille pour autant. Elle ne s’est pas retrouvée au milieu d’autant de personnes depuis sa fuite de Walla Walla à l’issue des procès ayant été organisés pour statuer sur le sort des disgraciés, mais la présence de Roman à ses côtés l’aide à tempérer ses angoisses. Le fait de savoir que cette expédition à pour but de renforcer les défenses du campement et d’assurer une meilleure protection pour l’ensemble de ses habitants la pousse également à prendre sur elle.

L’établissement carcéral ressemble à une ville dans la ville, et les deux compagnons de voyage circulent un peu au hasard entre les bâtiments sans trop savoir qui ni quoi chercher. « Ça leur couterait pas plus cher de poser deux ou trois panneaux » soupire-t-elle en slalomant entre les passants aux bras chargés, veillant à ne pas accidentellement les bousculer. Une femme à l’entrée des lieux leur a vaguement indiqué la direction à prendre pour espérer trouver quelqu’un en mesure de les aider, leur précisant que tout le monde était très occupé pour le moment, mais elle a l’impression de tourner en rond. Du coin de l’œil, elle repère une brune en train de crayonner sur un calepin face à une zone en friche, et elle se fait la réflexion que c’est probablement quelqu’un du groupe en train de panifier une installation quelconque. « On va pas y passer la journée. Viens, on va lui demander. » Elle se sent mille fois plus à l’aise à l’idée de demander son chemin à une femme, peu désireuse d’aller lancer une conversation au hasard avec l’un des nombreux types qui arpentent les lieux. « Salut » déclare-t-elle en s’approchant du brasero avec l’ombre d’un sourire amical sur les lèvres, se souvenant des conseils de Maxine. « Désolée d’te déranger, on cherche un responsable. Tu peux nous renseigner ? »

Je relève le nez de mes plans lorsque j’entends qu’on me salue. J’offre bien rapidement un sourire à l’inconnue qui s’adresse à moi et à l’homme qui l’accompagne. Il faut dire que je suis assez sereine dans l’enceinte de la prison. À mes yeux, il n’y a pas réellement de menaces ici. Et s’il y en a, je ne suis même pas inquiète qu’on réglera rapidement cette problématique.

- Bonjour. Ne vous en faites pas, vous ne me dérangez pas. Je note bien sûr qu’elle utilise le tutoiement, mais j’inclus aussi surtout l’homme à ses côtés. Quel responsable cherchez-vous ? Il y en a plusieurs sur place aujourd’hui. Vous pourrez trouver Duncan Donhadams vers l’armurerie aujourd’hui. C’est un membre du conseil et le responsable sécurité de notre groupe. Je préfère donner le nom de la direction de notre groupe.

Je ne sais pas s’il s’agit de leur premier passage à Gig Harbor, tout comme moi. Je devrais sans doute leur poser la question ? Je ne suis pas guide touristique j’en conviens, mais cela me semble simplement être poli.

- Est-ce que c’est la première fois que vous venez à l’avant-poste ? Si ce n’est pas le cas, ma foi au moins je m’en serai assurée au lieu d’assumer.

La curiosité fait s’activer mes méninges. Je me demande bien évidemment pourquoi ils veulent voir un responsable. Encore une fois, je suis loin d’être nerveuse à cette idée. La sécurité est renforcée ici et Duncan n’est pas seul à l’armurerie. Il serait un peu idiot de s’en prendre à lui ou à un autre individu de notre groupe ici. Rien n’est impossible cependant, mais… je ne sais pas. Mon instinct ne me souffle pas de me méfier de ces deux personnes.

J’entends Aram qui s’impatiente non loin. L’immense aigle a faim. Il faut que je lui trouve quelque chose à manger ou que nous allions à l’extérieur pour lui permettre de chasser. Je mets mon carnet dans la poche de mon manteau et de l’autre, j’en sors mon gant de cuir. Immédiatement Aram le repère et descend de son perchoir sur l’ancien château d’eau. J’ai tout juste le temps d’enfiler le gant et de tendre le bras, que mon aigle vient se poser dessus.

- Impatient va. Que je chuchote à l’intention du rapace, avant de lui gratouiller le bec. Il pèse son poids maintenant aussi, heureusement que je me tiens en forme. Ne vous en faites pas, il est dressé. Je n’ai pas pensé à mes deux vis-à-vis… fort heureusement ni l’un ni l’autre a attaqué Aram par peur ou surprise.