Septembre 2022 - Walla Walla, WA

Il leur fait signe d’attendre, approchant son oreille de la porte. Immobile, Julian écoute. Silence. Rien d’autre ne lui parvient que les jappements de ce putain de clébard, dans la rue voisine. D’un signe discret, il envoie l’un des miliciens à l’arrière de la maison pour bloquer la sortie, et lui donne le temps de prendre position avant de brailler : « Milice, ouvrez cette porte ! ». Derrière lui, deux recrues préparent le bélier, prêts à enfoncer l’entrée si personne n'accède à leur demande. Lui, il a déjà sorti son S&W 500.

Car lorsqu’on l’appelle pour tapage, Julian se prépare à tout. Le plus souvent, ce n’est que le mari qui a la main un peu forte, et alors la milice n’intervient que pour clarifier qu’il est dans son bon droit. Elle sortira alors son nez de l’affaire aussi rapidement qu’elle l’y a mis. Mais il arrive parfois que la situation soit plus complexe. Qu’un amant arrive dans l’équation, par exemple. Quoiqu’il en soit, le pavillon n’était pas bien loin de son poste de garde et il était donc logique que Julian y fasse un saut après avoir été alerté par les voisins de cris et de bruits sourds. D’autant qu’il comprend vite que la maison pointée par les plaignants est celle d’un de ses collègues de la milice. Pas qu’il ne connaisse très bien ce type basé d’ordinaire à Colville, ni sa femme, si ses éventuels enfants. Ni que les rares fois qu’il l’ait rencontré ne lui ai donné une bonne impression – le type lui semblait un peu mou, du genre à suivre le mouvement, avec un occasionnel sursaut de zèle pour plaire à la hiérarchie et peut-être essayer de se rassurer sur sa place dans le régime. Parmi les fortes têtes, il est parfois aisé de disparaître, et les esprits les plus faibles sont aussi sont qui ont le plus besoin de se prouver qu’ils servent encore à quelque chose. Julian ne serait pas étonné qu’il soulage son complexe d’infériorité en frappant plus faible que lui. Mais s’il ne s’agit que de sa femme, cela ne le regarde pas. Quoiqu’il en soit, sans connaître les tenants et aboutissants de l’affaire, il ne peut juger si son intervention est utile ou non avant d’être sur place. Et il n’a pas eu le temps de mettre le nez dans un quelconque dossier avant de rassembler quelques volontaires et d’aller tirer le sujet au clair, alors c’est sans aucun indice qu’il se pointe à l’adresse indiquée.

Le voici donc flanqué de trois autres recrues – deux avec le bélier, la troisième bloquant l’accès extérieur de la maison – et prêt à utiliser la force pour pénétrer dans la demeure, immobile pour l’instant dans un parfait silence (sauf le chien, au loin). Il doute que les voisins aient fabulé sur le grabuge, ce qui le tend d'autant plus. Il sait, d’expérience, comment le calme précède les instants les plus funestes et c’est donc avec d’autant plus d’attention qu’il arme son revolver, attentif au moindre bruit qui pourrait transparaître de la maison. « Ouvrez ou nous entrerons par la force », ajoute-t-il d’une voix forte, avant de s’écarter pour laisser le passage au bélier. Il recule derrière eux, le revolver en joue sur la porte.