Octobre 2023

Le toit était un lieu qu’Eden appréciait particulièrement. L’isolement dans la forêt lui manquait de temps en temps, le bruissement des feuilles balayées par le vent n’avait pas son pareil en pleine jungle urbaine. Par ce mois d’octobre, Eden profitait de ces quelques instants de répit avec ses enfants, alors que Poppy comme Adriel gambergeaient entre plants et pousses. C’était la raison des racines, Eden n’était pas du genre à s’en plaindre. Elle estimait la saison comme pragmatique et abondantes, avec en bonus une conservation longue durée des aliments et légumes récoltés. Tout ce qui plaisait à Eden, alors qu’elle préparait l’hiver avec le reste de la communauté.

Plusieurs nouvelles bouches s’étaient rajoutées à la table. Eden, méfiante, n’avait pas voulu faire l’impolie ou preuve de rudesse, mais ces derniers mois, elle avait tout de même remis les barrières en place, la méfiance comme cadeau de bienvenue, le silence comme monnaie d’échange. Alors forcément, elle retrouvait ses expressions froides et taciturnes, préférant observer, avant de se faire un avis définitif. Accroupie, avec ses enfants, à récolter, elle leur expliquait toujours en coréen, l’importance de ne pas abîmer les courges pour qu’elles puissent se conserver longtemps.

Poppy et Adriel s’activaient à l’ouvrage, pendant qu’Eden se relève pour faire l’inventaire de ce qui avait été récupéré, pour l’instant. En parlant de mouches à nourrir, en voilà une qui arrive. Les enfants d’Eden restent concentrés sur leur travail du jour, il ne leur faudrait pas longtemps pour se rendre compte de l’entrée en scène du nouvel arrivant. La mère de famille hoche la tête, poliment, ne sachant pas bien ce qu’il venait faire ici.

Pour lui, le toit était un coin plutôt tranquille pour prendre une pause. A dire vrai, il n’avait pas encore croisé quelqu’un en montant là-haut, à ses heures perdues. Il y allait clairement pour prendre un peu l’air et réfléchir loin du sourire naïf d’Hazel. A cette époque, l’italien réfléchissait encore à s’il comptait rester dans les parages ou non. Il fallait le dire, suivre ce groupe restait assez confortable.

Sauf qu’aujourd’hui, c’était un peu différent. Quand il débarque, la place est déjà prise. La belle asiatique et ses deux enfants. D’accord, belle c’était un peu pauvre pour la décrire. Et superficiel. Il n’avait pas vraiment eu l’occasion d’aller sympathiser avec elle, il était plus simple de se tourner vers les personnes les plus accessibles en premier. Mais elle, elle ne l’était pas. D’abord parce qu’elle avait de jeunes enfants à protéger, ensuite parce que le regard qu’elle semble porter sur le monde lance un message plutôt clair : garde tes distances. Mais soit, il était là. Devait-il faire demi-tour pour les laisser tranquille ?

D’abord, la mère hoche poliment la tête en sa direction - ce qu’il lui retourne avec un sourire. Ensuite, les enfants relèvent la tête vers lui, interdits. Son sourire se fait plus chaleureux, son regard plus pétillant. Sa fille lui manquait. « Ciao ragazzi » Lance-t-il, avec son accent chantant. Il avise la mère louve avant d’avancer. « Vous avez l’air grand tous les deux, vous avez quel âge ? » Il regarde ensuite ce qu’ils sont en train de faire tous les trois. « Ooh… Ces courges sont magnifiques. » Il n’y connaissait rien en courge, soyons clairs.

Eden était méfiante des inconnus. Réflexe ou simples instincts, les derniers mois n’avaient pas été source de remise en question de ce côté là. La confiance, ou même l’absence de méfiance ne deviendrait pas une chose innée et d’ailleurs, c’était une chose qu’elle inculquait à ses enfants. Il ne s’agissait pas de devenir impoli et de s’attirer des problèmes, mais d’imposer une forme de distance afin de pouvoir savoir qui se trouvait en face d’eux. Pour l’heure, Adriel avait plutôt tendance à se montrer timide, mais de nature curieuse, Eden s’inquiétait parfois de le voir gamberger. Devait-il apprendre de ses erreurs ? Elle n’était pas certaine que ce fut la bonne manière d’envisager les choses. Eden demeurait peu convaincue par l’idée d’adapter les anciens moyens d’éducation à leur monde. La plupart du temps, aucun d’entre eux n’avait le luxe de l’erreur.

Elle regarda l’homme s’approcher de ses enfants, elle savait aussi qu’il ne tenterait rien, ce n’était pas qu’elle le considérait comme inoffensif, mais c’était le fait qu’il venait d’arriver et qu’à défaut d’autre chose il devait certainement chercher ses marques. Eden cherchait à rester raisonnable dans son approche des gens et des choses.

Les enfants d’Eden regardent leur mère avant de répondre à l’homme en question. Eden hoche la tête, leur faisant signe qu’ils pouvaient lui réondre. Adriel s’approche en premier, certainement plus téméraire, moins farouche que sa mère, moins retenue que sa soeur. « Je m’appelle Adriel, et j’ai 6 ans. » fit-elle, en montrant fièrement son âge sur ses doigts. « Moi c’est Poppy et j’ai eu 8 ans cette année » fit ensuite la petite fille, avec un sourire léger.

La suite semblait s’adresser à Eden, un commentaire au sujet des courges. Elle n’était pas certaine d’avoir bien entendu, le commentaire lui semblait légèrement surréel. En … effet, fit-elle, un peu décontenancée par l’approche.

Moi c’est Eden, ce sont mes enfants. reprend t-elle, ensuite, Comment es-tu arrivé ici ?

Adriel et Poppy. Le sourire du brun s’agrandit un peu. Il avait très envie de passer sa main dans les cheveux du plus jeune pour les lui ébouriffer mais il préféra garder ses mains dans ses poches devant le regard de louve de la mère. « Enchanté les enfants. » Et autant qu’à la mère qu’aux deux petits, l’italien se présente : « Moi c’est Rico. »

L’italien s’avance un peu, autant se montrer avenant. L’asiatique faisait partie des Sanctuary Point après tout et l’homme cherchait à se faire bien voir - comme toujours. « Tu veux dire, ici sur ce toit ou ici chez vous ? » Tente-t-il, avec un humour de baratineur. Ca ne faisait pas aussi mouche qu’avec Jamie ou Hazel, à l’évidence. « Je suis là depuis quelques temps, j’ai rencontré Hazel pas loin d’ici, on a sympathisé et elle a fini par accepter de m’héberger contre service. Mais je n’ai peut-être pas le droit d’être ici ? » Sur ce toit. Autant jouer la carte du mea culpa. « Je peux vous laisser si tu préfères. J’avoue que je trouve l’endroit assez calme, ça me fait du bien mais je peux revenir plus tard… ou pas. » Ajoute-t-il, en abandonnant son numéro de charme habituel pour une autre facette plus prudente de lui-même.

Eden n’avait jamais pu envisagé que l’on s’en prendre à ses enfants sans qu’elle ne se transforme en bulldozer. Bien sur qu’elle avait envisagé les scénarios dans lesquels l’un de ses enfants, ou même les deux ne passaient pas un certains âge. L’idée lui paraissait d’une violence terrible, elle était certaine qu’elle se transformerait en monstre. Elle savait, de manière pragmatique, qu’il ne leur ferait rien. Ce n’était pas tant qu’elle le savait, c’était qu’elle ne baissait plus sa garde. Plus maintenant, elle ne pouvait se résoudre à refaire l’erreur du passé, celle qui leur avait coûté leur foyer.

Elle le regarde longuement, alors, Je n’ai pas dit ça, répond t-elle, au sujet du droit ou non, de Rico à se trouver sur le toit. Il y a bien assez à faire pour nous tous. Je ne posais la question que par curiosité, mais peut-être que je n’ai pas le droit ? reprend t-elle, en se penchant légèrement pour récupérer ce qu’Adrien lui tendait fièrement. Elle lui sourit, avant de mettre le légume dans le panier qui était à sa gauche. Je ne fais pas partie des membres du groupes les plus sympathique, je le crains.   Plutôt antipathique, par bien des aspects.

La maman louve n’est pas facile à faire céder - il le note dans un coin de son crâne. A d’autres intonations, sa réponse aurait pu être aussi badine que sa question. Mais Rico préfère jouer la prudence - et l’imbécile, peut-être. « Oooh. Bien sûr que si. Tu es plus chez toi ici que moi. » Il lui offre un sourire, s’approche un peu du bord du toit et de la petite famille, indirectement.

Quand elle se présente comme un membre pour le moins antipathique, il a un léger rire. « Qui t’en voudrais ? Tu as deux enfants à protéger. » Commente-t-il, comme une évidence. Lui-même n’aurait jamais laissé sa fille seule avec un inconnu. « On ne cesse jamais de vouloir les protéger de ce qui les attend dehors… Même si on ne peut pas toujours les protéger d’eux-mêmes. » Ajoute-t-il, en pensant à sa fille - refaisant sans doute l’histoire à sa façon. « Désolé, je ne cherche pas à te faire peur, j’ai juste… Mmh. Disons que ma fille a cessé de me pardonner toutes les choses que j’ai faites pour sa sécurité. Elle est partie rejoindre de mauvaises personnes, il y a quelques mois et je n’arrive plus à avoir de nouvelles d’elles depuis. » Explique-t-il, en venant s’asseoir sur le rebord, à deux-trois mètres de la famille. Il finit par lui sourire, tristement. « Ma fille dix-neuf ans maintenant, mais je ne regrette rien de ce que j’ai pu faire pour la mettre à l’abri, malgré qu’elle m’ait laissé. » Sans doute qu’Eden pourrait en quelque sorte, comprendre cela. Non ?