En selle depuis quelques heures, Conrad amène sa monture à s'écarter du sentier rocailleux pour demander une pause de quelques minutes à son frangin. Mais voilà que la bête s'ébroue, et souffle bruyamment, comme si elle refusait d'obéir à son cavalier. L'électricien n'en est pas à son premier rodéo avec le cheval, pourtant, mais à chaque voyage, c'est la même chose. « Bon sang, celui qui t'a nommé Othello savait ce qu'il faisait, les caprices shakespeariens n'ont rien à t'envier. » râle l'aîné Howlett alors qu'il soupire, en parvenant enfin à maîtriser la bête. « Hamlet aussi est un grand dramaturge, ou il acceptera qu'on pose nos culs deux minutes sur autre chose qu'une selle ? » Le brun interroge son frère pendant qu'il s'asseoit lourdement à même le sol, sa canne remisée sur ses genoux par le même temps.

En route pour se rendre à Spokane, Conrad songe qu'ils auraient dû demander à y être affecté bien plus tôt. Mais avec les travaux interminables de New Eden, les autorisations de sortie ont été longues à réclamer et obtenir. Plus encore après les derniers événements. « L'air frais... ça fait du bien. » Lance t-il à la cantonade. L'environnement est surtout plus agréable que le quotidien étouffant de Walla Walla. Là-bas, ils passent plus de temps à tendre l'oreille et à regarder par-dessus leur épaule, en quête d'un nouveau complot. « Au moins, personne n'aura glissé de bombe dans les sacoches des chevaux. » Il blague à moitié, le brun. Quoi qu'il rajoute en signant, très sérieux : « J'ai vérifié. »

- Putain, j'ai mal au cul.

Que grommelle Kit. Assis sur l'animal depuis plusieurs heures, il aurait préféré continuer à pied. Au moins pour soulager son coccyx qui commence à pleurer. Oh, si son frère n'en dit rien, il est persuadé qu'il possède la même douleur. Peut-être plus étant donné ses vieux os. Mais pour l'instant, il gardera la remarque pour lui. Surtout que l'animal s'amuse de temps en temps à faire un accros à gauche ou à droite juste pour entendre son cavalier du moment insulter la terre entière.

- Oui ! C'est un petit con ! Il s'amuse à vouloir me faire basculer d'un côté ou de l'autre.

Et dire qu'il avait moins de difficulté avec les chiens. Oh, Kit savait bien que le cheval n'en faisait qu'à sa tête. Mais pouvait-il lui en vouloir ? Pas vraiment. Il ignorait tout de l'animal. Peut-être avait-il toujours été grognon et bourru. Peut-être que non. Dans tous les cas, Kit indique à son dramaturge de cheval de s'arrêter et le brun descend dans un soupire d'appréciation. Kit s'installe finalement dans l'herbe, presque plus confortable qu'une selle de cheval et pousse un nouveau soupire.

- Je crois que le plus incroyable, c'est qu'on cherchais un endroit sécurisé. On l'a. Et maintenant, l'extérieur me manque. Je comprends pas comment on peut jamais être content.

Enfin, ils n'étaient pas parti indéfiniment à Spokane. Ce n'était que temporaire. Mais le changement avait le don d'être plutôt agréable. Walla Walla était un bon environnement mais les enjeux politiques rendaient la vie parfois compliqué. Kit tourna la tête en direction de son frère qui revient sur la bombe qui aurait pu lui coûter la vie. Oh oui, il l'avait vu vérifier les sacoches comme s'il s'attendait à trouver quelque chose.

- Comment tu le sens, New Eden ces derniers temps, toi ? J'ai l'impression que dehors, on craint les Barbarians. A l'intérieur, les politiciens et les anti régime.

Conrad retient un sourire à la réflexion de son frangin. Visiblement, leurs montures ont une certaine appétence confirmée pour le drama, et maintenant qu’il est assis sur la terre ferme, peut-il en sourire plus librement. « Je pense qu’ils testent notre patience, pour voir si on mérite d’être leurs cavaliers, » conclut l’homme, malicieux. Lui aussi, en réalité, ça le fait quelque peu pester. Mais l’électricien apprenait doucement et sûrement aux côtes de Jacob comment se rapprocher de son cheval, comment mieux le monter aussi. Il avait appris, il y a fort longtemps. Aujourd’hui, ses sorties en selle sont encore un peu timides, alors il a du mal à saisir l’agitation de Hamlet. « Si seulement j’avais ma moto… » souffle le brun alors, presque déçu. Ce serait beaucoup plus simple pour lui, dans ces conditions.

Tout ceci n’a pas d’importance. Et très vite, le sujet de conversation est suppléé par ce groupe qu’ils viennent à peine de quitter ; temporairement uniquement. L’homme hausse les épaules, secoue la tête. « Je ne sais pas. Parfois, je suis aussi perdu quant à ce que je veux ici. » Mais le problème, c’est que Walla Walla n’est pas parfaite, loin de là. « Et puis, est-on vraiment en sécurité, finalement ? Quand on voit tout ce qu’il se passe entre ces quatre murs, on devrait se faire à l’idée que ça n’existe plus nulle part ailleurs. » Et peut-être que c’est pour ça qu’à terme, même lui se languit de l’extérieur. Au moins, dehors, les frères Howlett savent à quoi s’attendre. Dans la ville ? Il faut se méfier de la politique en place, des bombes, des doubles-jeux de tout à chacun. « J’ai la même impression que toi. Il y a des moments, je crois bien que je regrette d’être entré à New Eden. Je ne dis pas qu’on avait la belle vie au bunker, et on est bien mieux qu’à l’époque où… » Ils étaient chez les Barbarians, évidemment. « Mais j’ai l’impression que ce retour à la société d’avant, ça ne nous sied pas tant que ça. » Peut-être qu’ils s’étaient trop habitués à la vie dure, au dehors, finalement. Quand on doit lutter contre des morts, on oublie quelque peu la normalité de jadis.

Conrad redresse la tête, évite quelque peu le regard de son cadet, honteux par le partage de ses pensées. Avisant l’horizon, semblant voir bouger des feuilles au loin, sans s’en inquiéter outre-mesure. Le temps est venteux, après tout, rien d'anormal à ça. « Et toi alors ? Comment tu le sens ? »