L’hiver est rude à Gig Harbor. Adam quitte sa petite chambre – celle qu’il occupait déjà lors de son premier voyage à la prison – pour rejoindre l’extérieur. Une fois dehors, il remonte le col de sa veste puis il met son bonnet. Des rafales glaciales fouettent son visage. Son souffle se condense en petits nuages de vapeur alors qu’il longe le bâtiment pour rejoindre son poste, mains dans les poches. Cela fait plusieurs mois qu’il vit ici, loin des siens. Et si la vie est moins confortable qu’à la réserve, l’ancien agent ne s’en formalise pas. Ses journées sont tellement chargées qu’il tombe de sommeil chaque soir. Il donne un coup de main, ci et là ; sécurité, surveillance, nettoyage… Il ne chôme pas.

En cette fin de soirée, alors que la plupart des habitants de la prison se préparent à aller dormir, Adam va passer quelques heures dehors pour une tour de garde. La nuit risque d’être glaciale mais il a prévu le coup. Il s’est préparé un thermos de thé chaud ; de vieux sachets qu’il a déniché dans la cuisine et dont le goût est un peu amer… Mais au moins, il aura de quoi se réchauffer les mains…

Avançant tranquillement jusqu’à son poste de surveillance, il s’arrête quelques instants.  Il tend l’oreille. Une mélodie douce, portée par le vent, lui parvient. Alerte, il suit le son, se demandant si son esprit lui joue des tours. Guidé par la curiosité, il atteint finalement l’un des postes de surveillance. Là, il aperçoit une silhouette dans l’obscurité. Adam reste à distance, la femme ne semble pas remarquer sa présence. Il se laisse emporter par la mélancolie de sa chanson.

Lorsque la mélodie s’éteint, l’ancien agent approche doucement. Ne voulant pas effrayer la jeune femme, il se racle légèrement la gorge pour signifier sa présence. « Bonsoir. » Dit-il simplement, avant d’ajouter. « Besoin d’un peu de compagnie ? » Il n’est pas du genre bavard, mais il sait écouter… Le visage de la jeune femme ne lui dit rien. Il demande alors « Tu es nouvelle ici, non ? »

Le vent mordant souffle à travers les barricades de la prison abandonnée, transformée en refuge de fortune pour les survivants de ce monde dévasté. Les murs froids résonnent d'un silence oppressant, à peine interrompu par les murmures du groupe qui tente de trouver une once de chaleur autour d'un feu vacillant. Dehors, l’hiver est bien présent, impitoyable.

Adam est de ceux qu’on laisse tranquille, trop de souvenirs enfouis derrière son regard, trop de mystères. Il s’approche doucement d’Anna Maria, hésitant encore sur la manière de l'aborder. Lorsqu’il lui demande si elle a besoin de compagnie, sa voix est basse mais douce, essayant de ne pas paraître trop intrusif. La jeune femme lève lentement les yeux vers lui, ses traits tirés par la fatigue et quelque chose d'autre, plus profond. Elle ne répond pas immédiatement, le scrutant un instant avec méfiance, comme si elle évaluait s'il représente une menace ou non. Elle finit par le saluer.

Adam s’avance à une distance raisonnable d’elle, respectant cet espace fragile qu’elle semble vouloir conserver. Un silence inconfortable s'installe entre eux, seulement troublé par le crépitement du feu et le souffle du vent dehors. Il remarque ses yeux tristes, cette ombre qui plane sur son visage. Un regard qu’il connaît bien. Le genre de regard que l’on porte après avoir trop perdu, trop vu. Elle se présente finalement ; l’ancien agent se demande s’il devrait insister, tenter de briser cette barrière qu’elle a érigée autour d’elle. Peut-être qu’elle a simplement besoin d’être seule, après tout. Il se souvient des jours où, lui aussi, aurait voulu que le monde entier disparaisse. Mais ici, dans cette prison glaciale, la solitude peut être un ennemi aussi redoutable que les morts-vivants qui rôdent à l’extérieur.

Anna Maria ne dit rien, mais son silence est éloquent. Adam, en tant qu'ancien profiler, a appris à lire les gens, à comprendre leurs émotions même quand ils tentent de les cacher. Et ce qu'il voit chez Anna Maria, c'est une tristesse si profonde qu'elle semble presque irréparable. Il reste à distance, prêt à la laisser tranquille, à respecter son silence. Mais avant qu'il ne s'éloigne, il lui souffle quelques mots. « Je m’appelle Adam. » Il observe la jeune femme qui s’est replongée dans son mutisme. Mais cette fois, quelque chose a changé. Ce n’est peut-être pas grand-chose, juste un nom échangé, une connexion fragile dans un monde brisé. Mais parfois, c’est tout ce qu’il faut pour ne pas sombrer totalement.