Voilà plusieurs jours qui se sont écoulés depuis que Gig Harbor s’est fait attaquer. Plus de deux semaines, à dire vrai, et je n’ai pas vu le temps passer. Trop occupé à reprendre l’organisation du camp, à replanifier les tours de garde en urgence, à nous occuper des blessés avec le peu de moyens restants entre nos mains. Et surtout, trop occupé à annoncer le changement qui est la conséquence directe de cet assaut en traître : nos rangs infiltrés, la confiance a été perdue. Envers les voyageurs de passage, envers les parfaits inconnus qui pourraient nécessiter de l’aide, et que nous nous sentons obligés de repousser du camp, pas peur d’une nouvelle offensive surprise. Il y a de ça, et il y a la situation avec les Hallows, également. Les convois entre la réserve et Gig Harbor allaient bon train, mais nous nous devons de les interrompre. Parce que la grande communauté doit gérer ses propres problèmes. Et que nous, à la prison, nous devons aussi accomplir ce qui est bon, ou plutôt ce qui est le mieux pour nous. C’est-à-dire nous renfermer, nous renforcer, mais aussi nous individualiser. Gig Harbor ne sera plus un avant-poste des Hallows. Et ceux qui sont encore dans la prison pour le compte de la réserve devront retourner chez eux, pendant qu’ils le peuvent encore. C’est comme ça, il le faut, pour le bien de tous. Et moi, j’ai ma propre maison à protéger : ici, c’est mon foyer, et je compte bien le privilégier.

Ça n’en rend pas moins les choses moins difficiles, particulièrement quand je sais que le dernier convoi, convenu entre les Hallows et moi-même, avec mes co-leaders, se rapproche à grand pas. C’est demain le grand jour, celui où l’on dira adieu à certains membres qui étaient devenus des habitués parmi nous, celui où l’on fermera nos portes, pour mieux prendre soin des nôtres. Le changement n’était pas franchement malvenu, si je devais être honnête, mais cela me fait un pincement au cœur, de devoir me dire que je ne recroiserai plus certains visages avant longtemps. Alors, je prends le temps, justement. De saluer tous ceux qui m’ont aidé, ici, à faire vivre les lieux. Même si, depuis l’attaque, il y a beaucoup moins de voyageurs qu’avant : trop de victimes ont été laissées par les pillards, forçant certains survivants, trop peu nombreux, à prendre leurs jambes à leur cou pour la majorité. Ainsi, même si la prison n’est pas encore officiellement retranchée et séparée des Hallows, aujourd’hui elle paraît néanmoins bien plus désertée qu’avant.

Mon regard s’attarde sur une chevelure blonde quand je fais ce constat, et je reconnais la cuisinière du groupe, qui semble s’être isolée pour mieux apprécier le calme des lieux. Je ne l’ai pas beaucoup vue, ces derniers jours, alors je profite de la perche tendue pour m’orienter dans sa direction, la hélant doucement : « Anna-Maria, je peux me joindre à toi ? » J’attends son assentiment, peu désireux de troubler sa quiétude du moment. Néanmoins, bientôt, je ne le verrais plus. Et ça me fait quelque chose, de me dire que je n’aurais plus la possibilité d’être témoin de sa bonne humeur autant que de sa bonne volonté, de ses sourires appréciateurs de Gig, de ce foyer que j’ai tenté de toujours couver, ici. En la rejoignant, je remarque la bouteille avec elle, et j’émets un sifflement admirateur : « Cachottière, t’avais gardé du whisky ? Je ne dirais pas non pour savourer un peu de ce fameux poison, s’il t’en reste un fond. » Surtout qu’il a tendance à aider, à faire passer toutes les émotions de ces derniers jours. « Tu profites de la solitude avant de te retrouver avec des centaines de personnes à la réserve de Yakima ? » Ou des milliers ? Je ne savais même plus le nombre exact d’habitants chez les Hallows. Toujours est-il que la blonde rentrerait bientôt avec eux, et qu’elle ne manquerait décemment pas de compagnie. Il n’empêche, ça risque de faire bizarre, les premiers temps. « Tu appréhendes un peu le départ ? »

Ⓒslytbitch.