« Les voilà ! » s’écria Sidney en pointant du doigt l’horizon où apparaissait la forme sombre d’une embarcation. Adossé contre la Jeep, Valérian expira la fumée de sa cigarette et se redressa pour contempler son arrivée. Le Horizon Prize glissait sereinement à la surface des vagues et laissait dans son sillage un cheminement désordonné d’écume. Porté par le vent, le bourdonnement régulier de son moteur atteignit rapidement les oreilles du grec. Il plissa les yeux, repérant à son bord les silhouettes de ses trois occupants. « Pile à l’heure. » marmotta-t-il d’un ton approbateur en jetant son mégot par terre pour l’écraser sous son talon. Les bourrasques tièdes désordonnaient ses longs cheveux sombres et faisaient claquer les pans de sa veste dans son dos : au-dessus de leurs têtes, d’épais nuages noirs s’agrégeaient, annonciateurs d’un orage. L’embarcation approcha doucement, puis, suivant les manoeuvres appliquées d’Echo, s’amarra docilement le long du ponton. Ils s’étaient donné rendez-vous à Cooper Point. Yann et Echo étaient allés chercher la cliente aux abords de Seattle pour la conduire à Olympia, où Valérian et Sidney devraient ensuite prendre le relais et l’escorter jusqu’au Store.  

Une fois le bateau amarré, Echo installa consciencieusement une planche entre celui-ci et le ponton pour permettre, dans une excès de galanterie, à la passagère de débarquer. À sa vue, Valérian haussa imperceptiblement les sourcils : la femme qui descendait avec l’aide du jeune capitaine était étonnement menue. Il émanait d’elle une délicatesse et une ingénuité qui, conjuguées à son teint de porcelaine, faisaient d’elle une apparition singulière. La nouvelle venue était si fluette que le grec se surprit à craindre qu’une bourrasque ne l’emporte par-dessus bord. Après avoir échangé un regard avec Sidney, il carra les épaules et s’avança dans la tempête à la rencontre de la jeune femme. « Jude, c’est bien ça ? » lui demanda-t-il d’une voix forte pour se faire entendre malgré le vent. C’était plus une formule de politesse qu’une réelle question : en vérité, il se rappelait parfaitement du nom indiqué sur l’avis de recherche placardé à the Vault. « Je m’appelle Valérian, et voici Sidney. Nous allons vous conduire jusqu’au Store. » Son oeil valide l’examina un instant. Dieu ce qu’elle pouvait être maigrichonne ! « Suivez-moi : le temps empire d’une minute à l’autre. Nous devons nous hâter ! » 

Il adressa un signe de la main à Echo et Yann qui se préparaient déjà à repartir en direction de la distillerie, puis indiqua à la jeune femme de le suivre jusqu'à la Jeep. Tandis que Sidney s’installait au volant, Valérian ouvrit la portière arrière à Jude - un geste qu’il avait effectué presque machinalement, vestige de son éducation passée - et attendit qu’elle soit montée à bord avant de la refermer derrière elle. « Dépêchons-nous : on dirait que le ciel va s’ouvrir en deux pour relâcher le Déluge sur nos têtes ! » grommela-t-il à l’attention de Sidney en s’installant à côté de lui sur le siège passager. L'afro-américain ne se fit pas prier : le moteur de la Jeep rugit tout à coup, et, dans un crissement strident de pneus, elle fit demi-tour et prit rapidement la direction du Store. Quelques minutes s’écoulèrent, pendant lesquelles Valérian scruta avec attention le paysage qui défilait derrière la vitre. Puis il s’éclaircit la voix et demanda à l’attention de la passagère : « je ne vous avais encore jamais vue dans les parages. C'est la première fois que vous venez au Store ? »