Malgré moi, j'lâche un super long bâillement pas du tout discret tout en m'frottant les yeux avec mon poing serré. Puis j'me rends compte que j'devrais pas, vu que j'suis en train de monter la garde, et j'me redresse comme si on m'avait foutu une décharge au cul, regardant rapidement partout autour de moi pour vérifier qu'on m'a pas vu. Bon. Toujours personne à l'horizon. Fiou. J'ai encore eu de la chance. Et j'soupire de soulagement avant de m'remettre à ce que j'faisais : surveiller les alentours.

J'sais pas trop quelle heure il est, j'sais juste que c'est calme – comme souvent – et que j'commence à piquer du nez. Encore quelques heures à tenir j'pense et j'pourrai aller piquer un somme avant d'aller à l'entraînement.

Pendant quelques secondes, j'crois que j'hallucine quand j'entends des bruits de pas. Et si j'plisse les yeux pour tenter de voir quelque chose à l'extérieur, mon cerveau finit par s'connecter comme il faut et j'me rends compte qu'en fait ça vient de derrière moi. Depuis le camp. Là, j'tourne la tête pour m'retrouver face à une brune que j'reconnais assez rapidement comme étant Erika. On s'est pas beaucoup parlé par le passé, quelques fois aux entraînements communs et voilà. Mais j'lui adresse quand même un sourire – fatigué on va pas s'mentir – quand elle m'parle. Salut. Ouais, tout juste. Toi c'est Erika, c'est ça? Est-ce que tout va bien ? Faut dire que c'est rare qu'on ait de la visite pendant les tours de garde de nuit.

A sa réponse, j'me contente de hocher la tête et de recommencer à regarder au loin, histoire de quand même continuer de bosser quoi. J'suis là pour ça faut dire. Bien sûr, pas de souci. Quelque chose va pas, pour que t'arrives pas à dormir ? Enfin, si t'as envie d'en parler hein. Promis, j'suis bon pour écouter. J'peux même fermer ma gueule si t'as pas envie d'avoir mon avis après ! Eh, ça coûte rien d'être sympa avec les gens.

J'vais pas mentir qu'avoir un peu de compagnie va sûrement m'aider à plus trop piquer du nez. Enfin, j'pense. En tout cas, j'prends quand même la peine de faire attention à ce que me répond Erika même si j'reste attentif à ce qui pourrait se passer dans les alentours. Faut pas que j'oublie pourquoi j'suis là sous prétexte que j'papote avec quelqu'un après tout !

J'lui adresse une petite grimace désolée en l'entendant m'parler de la douleur qui l'empêche de dormir et, même si clairement j'l'aurais pas fait à sa place vu à quel point j'ai peur de l'infirmerie, j'tente quand même. Et tu voulais pas faire un tour à l'infirmerie pour qu'ils t'filent un truc pour avoir moins mal? C'est vraiment dit gentiment en plus hein. Pas en mode j'veux qu'elle m'foute la paix ou quoi ! Elle m'dérange pas.

Au reste, je hoche la tête quand elle m'souligne qu'c'est calme. Puis j'laisse un p'tit rire soufflé par le nez m'échapper à sa remarque. J'sais bien, mais j'préférais préciser que j'suis pas obligé de donner mon avis si t'as pas envie de l'avoir. Et t'inquiète pas, c'est juste que j'suis de garde depuis le début de la nuit et jusqu'à ce qu'il fasse jour, et la journée a été longue ! J'lui offre un sourire amical, tout en lui jetant un coup d’œil rapide avant de reprendre mon observation. Y'a pire dans la vie qu'être fatigué.

C'est quel genre, tes cauchemars ? C'est lié à tes blessures ?

J'écoute ce qu'elle me raconte et j'me contente de hocher la tête quand elle m'annonce qu'elle a déjà tout ce qui lui faut côté infirmerie. Bon, tant mieux pour elle d'un côté. D'un autre, c'est vachement con que ça marche quand même pas. Bref. Au moins, avoir quelqu'un avec qui discuter m'aide à rester plus éveillé qu'avant. Du coup même si je reste concentré sur ma surveillance des alentours, je suis attentif aussi à ce qu'elle me dit.

J'en ai entendu parler vite fait. Sacré bordel ce truc là apparemment. J'pensais pas que c'était chaud à ce point là-bas. Bon j'ai pas non plus tout écouté quand les gens ont parlé de ce qu'il y avait eu donc j'en sais pas plus que « ouah c'est chaud de ouf ». Mais c'est suffisant. Et puis de toute façon, Erika enchaîne rapidement en m'expliquant de quoi ça vient ses cauchemars.

Aouch. Ça fait mal ça, que j'dis quand elle m'parle de ses blessures. Mais j'avoue que j'suis un peu surpris par le reste. J'lui lance même un p'tit regard rapide, de quelques secondes à peine, avant de reprendre ma surveillance et de reprendre la parole. C'était la première fois que tu tuais quelqu'un ? J'demande ça avec un ton bien plus posé qu'avant. Comme si j'venais de prendre quinze piges de maturité d'un coup. J'sais que j'suis souvent vu comme le p'tit con de service. Mais j'sais aussi parfois en avoir dans le crâne, juste que les gens l'oublient la plupart du temps. C'est sûr que c'est pas facile la première fois. Mais c'est un truc auquel faut s'habituer. T'sais, quand tu dois faire le choix entre protéger les tiens ou laisser repartir un ennemi, y'a pas à réfléchir. On est des apprentis combattants d'élite. Si y'a bien des gens qui doivent pas avoir peur de se salir les mains pour protéger les autres, c'est nous. Et même si j'suis jeune, j'compte plus les fois où j'ai été obligé de buter des gens. On trouve toujours des excuses pour s'mentir à soi même et justifier ce qu'on fait. Le tout, c'est d'être en accord avec soi-même. Et j'le suis. Perso, j'tuerai pour protéger les miens. Sans hésiter une seule seconde.